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 Calliope [OK]

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Calliope
Muse du feu
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Calliope


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MessageSujet: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:01

Indications personnelles

Nom : d’Aragon, née Obliotte

Prénom : Calliope

Surnom : Ô combien de noms l’Eloquente Calliope a-t-elle pu porter au cours des siècles, des aventures, des souffrances et des rencontres ?
Au début de sa vie, sa mère adoptive, Cassandra, la surnommait affectueusement sa petite Cally, surnom qui tomba dans la désuétude après sa mort.
Il y eut aussi une époque trouble où l’on murmurait que, dans une tourelle sombre du siège de l’Inquisition de Rhydderch, l’Abjuratrice savait faire céder les plus convaincus des loyalistes. C’était elle, et même si le commun s’imaginait plutôt une vieille sorcière elle avait encore l’apparence d’une très jeune fille à cette époque.
Quand elle réussit enfin à échapper aux griffes de l’Inquisition pour recommencer une nouvelle vie, on l’a appelée la Fille aux Tournesols, patronyme référant à sa passion pour ces fleurs que son mari lui offrait régulièrement.
Hélas ! le bonheur n’est point éternel, et quand vint le temps du deuil, torturée de mille regrets elle parcourait tout le Continent avec les airs d’une damnée. Les gens l’appelaient alors Dame Douleur, âme tourmentée qui cherchait le repos… Et punissait les loyalistes et les enfants pas sages, s’il faut en croire la légende populaire.
Aujourd’hui on l’appelle plutôt Callya la Lionne, sulfureuse, pulpeuse, libertine… Prête à tout, en vérité, pour préserver ce qu’il reste de son amour d’antan.

Âge : Deux siècles environ, même si elle ne les parait pas vraiment.

Continent & Royaume : Continent du Feu, Royaume de Rhydderch

Race : Muse

Tendance : Les Déesses ? Peut-être les a-t-elle un jour appréciées par défaut, car elle est leur essence, leur prolongement, et quoi de plus normal qu’aimer ses parents quand on vient de naître ? Mais tout ça c’est du passé, maintenant elle leur voue une haine viscérale, peu importe son but, sa mission, elle sabotera tout si besoin est ! Tout pourvu que plus jamais les Déesses ne reviennent au pouvoir…

Indications corporelles

Apparence Physique : Au cours de ses deux siècles d’existence elle a plus d’une fois changé d’apparence, parfois de façon radicale…
La Petite Cally
Calliope naquit sous les traits d’un enfant, une petite fille guère plus âgée que de douze ans. Des cheveux écarlates aux nombreux contrastes, dont certaines mèches agrémentées de petites perles blanches ; un visage bien rond et juvénile ; ses pommettes rosées respiraient alors la bonne humeur et ses yeux vert clair scrutaient le monde avec l’innocence des premiers âges…
Néanmoins elle décida de se ternir les cheveux quand elle cessa de croire aux Déesses, et c’est dans l’opulence, la luxure des robes de soie et du maquillage de la dernière mode pour unifier son teint rosé que l’Abjuratrice remplissait son sombre office…
La Fille aux Tournesols
Cinquante ans plus tard, se fut sous les traits d’une jeune fille virginale qu’elle s’éveilla. Tout de blanc vêtue, elle avait alors un visage calme et serein, libéré de toute crainte ; ses longs cheveux auburn, si lisses de nature qu’elle ne devait qu’à peine les brosser, retombaient sur ses épaules avec la grâce des prudes pucelles. C’est à cette époque qu’elle prit un homme pour époux, et celui-ci aimait à lui offrir des tournesols, ses fleurs préférées.
Dame Douleur
Mais un jour elle changea à nouveau, pour prendre les traits d’une femme mûre qui respirait l’expérience, mais aussi une certaine tristesse ; mélancolie et deuil se lisaient sur son visage fermé, secret. Elle errait alors tel un fantôme, dans ses riches vêtements carmin dont les volants ajoutaient à son allure de spectre. Mais elle ressemblait en fait à cette Fille aux Tournesols qui aurait pris vingt ans…
Callya la Lionne
Le visage qu’elle porte au jour d’aujourd’hui est presque à son opposé : à cette période de sombre mélancolie s’est succédé un être extraverti, une libertine, une sauvage… Ses formes, généreuses sans être vulgaires, font d’elle une jeune femme des plus attirantes ; sous les traits de cette blonde aux yeux d’un bleu envoûtant, Calliope –ou Callya comme elle aime à se faire appeler– n’a jamais eu autant d’amants que lors de ces cinquante dernières années.
Il est à noter que ces derniers temps la Muse se montre de plus en plus posée, moins volage… Plus digne dans son rôle de Baronne.
Ce changement progressif de personnalité pourrait bien être un signe significatif qu’elle va bientôt changer à nouveau d’apparence.

Signe Particulier : A ceux qui y regardent de plus près, il ne pourrait échapper une trace rougeâtre sur sa main gauche… Certains ricanent que cette fille de petite vertu se serait frottée à homme trop brûlant, à cela elle leur répond d’un air sibyllin : « Mon compagnon éternel m’a trouvé trop infidèle que pour que je puisse le toucher… »
Mais parle-t-elle vraiment de feu son mari ?

Indications mentales

Caractère : Tantôt parlant affaire comme une Matrone expérimentée, tantôt dansant sensuellement pour l’amour de l’argent, Calliope est une énigme pour quiconque la côtoie et il faudrait énumérer tous les Esprits Forts qu’elle a pu effleurer pour commencer à comprendre les bases de sa logique… Mais en définitive, en a-t-elle vraiment une ou n’est-ce qu’un amas lunatique de philosophies diverses ?
En fait si, mais son cœur fut troublé par tant de contacts qu’il s’en retrouve à jamais meurtri, et dans les flots infernaux qui hantent son âme elle s’accroche au souvenir du seul moment où elle fut réellement heureuse, à l’époque fleurie de cette jeune fille en robe blanche…

Ce que votre personnage aime : Elle a aimé les Déesses, elle a aimé Cassandra sa mère, elle a même fini par apprécier la cruelle Ivonna… Tous ces amours se sont effondrés un par un sous le coup du temps et des trahisons, et seul un demeure encore et toujours, inchangé et inaltérable : celui qu’elle portait à Lysandre d’Aragon, son époux, mort il y a un siècle de cela.
Elle a aussi pris goût, au fil du temps, au luxe qui sied à la noblesse ; le maquillage qui affermit ses traits, les robes somptueuses, la douce saveur d’une viande de venaison, les parfums subtils de fleurs exotiques,… Elle sait s’en passer, mais elle aime ces petits plaisirs.

Ce que votre personnage déteste : Calliope a appris à haïr, à déféquer de toute son âme celles qu’elle aurait du aimer de tout son cœur : les Déesses. Et cette haine elle la reporte sur tout ce qui a un quelconque rapport avec elles : le Flacon de Guerluse, sa mission, et ceux ou celles qui s’aviseraient encore à les honorer. Pour eux, elle est sans pitié…

Ses plus grandes peurs : Elle craint… Elle craint chaque jour, chaque nuit, qu’un être surnaturel vienne à la rappeler à ses devoirs, les raisons de sa conception et cette foutue mission dont elle n’a plus rien à faire… Cet être elle le tuerait, et brûlerait ses entrailles sur l’autel de l’Inquisition !
Elle a également une autre phobie des plus singulières… La Muse a peur de ceux qu’elle appelle les Esprits Forts, ceux qui font briller de mille feu le Globe de Vérité, ces gens si surs d’eux, avec des idées si abouties, que son propre esprit en devient tout chamboulé. Elle n’a que très rarement fait ce genre de rencontre, mais chacune d’entre elles est comme une marque au fer rouge sur son âme meurtrie…

Rêve(s)/Espoir(s) : C’est un souhait illusoire, impossible, une pure chimère… mais si elle le pouvait elle aimerait que la mort lui rende son Lysandre ! Et que cette fois elle puisse être une femme normale, fertile en enfants, vieillissant naturellement et, surtout, loin de ces histoires de Muses et de Déesses. Comme elle aimerait pouvoir effleurer son homme sans provoquer chez lui des élans philosophiques ! Et tenir un enfant dans ses bras, son propre enfant…
Que les Déesses n’aient été qu’un mauvais songe, et cette vie ordinaire une tangible réalité.

Talents/Pouvoirs/Capacités : Quand Calliope effleure quelqu’un du bout des doigts, peu importe son âge, son sexe ou sa race, il se passe un moment magique où les pensées de la personne s’enflamment à toute vitesse, et prennent alors une clarté inouïe qui s’apparente à une philosophie personnelle, qu’elle soit d’air pure et d’eau fraîche ou de sang et d’honneur… Si pendant le contact elle se met à parler elle peut influencer le cours de ce torrent d’idées nouvelles, surtout si l’homme est affaibli ou a peu de caractère.
Il existe également des gens qu’elle appelle les Esprits Forts, des espèces de surdoués de la philosophie, parfois des génies, parfois tout simplement butés. Contre ceux-là elle ne peut rien, et la moindre parole se transformera en minable balbutiement… Pire encore : leurs idées sont si fortes qu’elles empoisonnent celles de la Muse, qui se voit martelée d’horribles souffrances qui la mettent bien souvent à genoux avant qu’elle n’ait pu tenter le moindre geste.
Ils sont les ombres qui hantent ses pires cauchemars… Et c’est d’avoir rencontré ce genre de personnes qui l’ont rendue tel qu’elle est.
La fille a également le don de faire apparaître ce qu’elle appelle le Globe de Vérité, une sphère en temps normal couleur pourpre qui change de teinte en fonction de l’esprit de la personne : dans les tons jaunes orangés pour les loyalistes, bleus sombres pour les ordinaires et le noir le plus profond pour les pires membres de l’Inquisition…
Il y a aussi de complexes nuances qui lui permettent de jauger à l’œil nu la loyauté du sondé envers un camp ou l’autre, sa fragilité d’esprit et la facilité avec laquelle il pourrait être influencé. Mais quand il brille de mille feu, elle sait qu’il lui faut s’éloigner au plus vite…

Inventaire

Si l’on oublie les tenues provocantes dans lesquelles elle se trémousse contre de grosses sommes d’argent et l’héritage en ruine que lui a laissé son mari la Muse ne possède rien de bien particulier… Oh bien sur il y a bien, au fond de la cave de son manoir, un petit flacon qu’elle n’ose toucher, car l’essence même du pouvoir de Guerluse la punirait de cet affront…
Elle le sait pour en avoir déjà payé les frais.
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:01

Indications Historiques

Histoire : (…) et au milieu des fanatiques qui scandaient à tout va leur haine des divinités, j’aperçus une enfant qui n’avait rien à faire dans ce champ de bataille : son corps frêle n’avait rien de celui d’une combattante, ses yeux ne brillaient pas de la lumière des révolutionnaires, ni même des larmes d’une orpheline… La bouche grande ouverte, perdue dans un monde qui était neuf à ses yeux vert, ses mains branle brelandes ne portaient rien d’autre qu’un petit flacon pourpre qui aurait pu faire croire qu’elle assistait un quelconque guérisseur. J’aurais passé mon chemin, je l’aurais oubliée, si au fond de ses yeux en amande je n’avais entrevu l’innocence de ceux qui n’avaient rien vu des massacres qui ont précédés…
Extrait du journal de Cassandra Obliotte
Archives secrètes de l’Inquisition de Rhydderch


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(© Anne Claire Payet)


Unique témoin d’un phénomène bien plus important qu’on aurait pu le croire, Cassandra a croisé le regard d’une petite fille, alors que tout le monde s’évertuait à huer les Déesses… et silencieuse parmi les plus vifs harangueurs de foule, elle l’observa, seule, perdue, ses yeux vert pâle cherchant des parents qu’elle ne trouvait pas, ses lèvres roses tremblotant dans un sanglot qui ne sortait pas, ses mains, moites, qui caressaient machinalement son unique possession, comme par crainte que les vagissements des autres ne brisent le verre. Et ses yeux, toujours ces yeux qui balayaient la foule dans un mouvement de panique, comme si elle y cherchait un visage familier…
Qui pourrait rester de glace face à cette vision ? Tout un amas de personnes trop occupées à leurs discours pour s’en soucier. Mais la femme n’en avait que peu à faire de ces généraux de la Révolution Athée, elle ne comprenait pas comment ils pouvaient ainsi retourner leur veste, passer du fanatisme religieux à un régime iconoclaste en l’espace d’une journée, elle ne comprenait pas comment cette femme avait pu susciter autant de réactions alors que quelques minutes avant ils hurlaient tous encore les noms de leurs Déesses… Certes elle était bien mal placée pour porter un tel jugement : elle-même les trouvait depuis longtemps trop promptes à la Guerre contre le Mal pour être véritablement bénéfique, mais tout de même c’était bien trop radical, trop rapide, inattendu ! Peut-on donc perdre aussi rapidement la foi, suffit-il de quelques accusations bien scandées après une victoire à la Pyrrhus pour changer la face du monde ?
Et cet enfant, seule au milieu de tous, îlot d’innocence au milieu des fous… Que faisait-elle là, pourquoi les discours les plus virulents étaient tenus auprès d’elle, et pourquoi… Pourquoi ces yeux la mettaient si mal à l’aise ?
Elle ne savait trop pourquoi, mais Cassandra sentit immédiatement qu’il fallait qu’elle l’éloigne au plus vite de cette masse sur le point d’exploser en un hurlement de démence, pour son bien, pour le bien de tous… Et elle lui attrapa le bras, l’emporta, l’emporta au loin, là où personne ne pourrait rien lui faire.
Par un portail connu d’elle seule, elle l’emmena dans sa modeste demeure à Rhydderch, apeurée à l’idée qu’il puisse lui arriver quoi que ce soit.
–Mes sœurs… pleurnicha la fille, tentant de s’échapper à travers la foule meurtrière.
Mais Cassandra ne fléchit pas, et tandis qu’elle la tirait par le bras cette vague idée devint la plus intime des convictions : cette enfant avait besoin d’aide, et elle serait cette aide. Quoi qu’on en dise, quoi qu’on en fasse, elle serait sa mère.

La femme l’a déposée dans l’unique lit de sa petite masure, car un enfant avait droit à ce qui se faisait le mieux. Et celle-ci serait la plus gâtée du monde. Elle le serait… Elle était si belle, si mignonne avec ces cheveux si brillants, ces joues si roses, et ces yeux dont le souvenir l’obsédait encore, quand bien même demeuraient-ils clos ! Et plus que tout ce mystère qui l’entourait, cette impression que rien ne pourrait l’arrêter quand elle a attrapé sa main, ce bien-être qu’ont les gens sûrs d’eux… Elle aimait déjà cette fille, rien que pour la bouffée d’orgueil qu’elle trouvait à l’avoir sauvée des griffes du bas peuple. Être mère… Elle en avait toujours rêvé, mais depuis… Depuis.
Et la voilà, dans les doux bras de Morphée aux mains de draps blancs, paisible, si calme en contraste aux remous du monde. Elle est si belle…

Plusieurs heures déjà que la femme était à son chevet, quand soudain la petite se mit à émerger, ouvrir ses yeux. Ses yeux pâles qui papillonnaient d’un air ensommeillé… Ses lèvres bougèrent comme pour demander quelque chose, mais elle avait du mal à articuler. Voyons voir, que pourrait bien vouloir un gosse après les horribles cauchemars qu’elle avait forcément fait après une journée comme celle de la veille ? La réponse lui sauta presque tout de suite aux yeux : un bon repas, de quoi repartir sur des bases saines pour cette pauvre petite orpheline !
Immédiatement elle s’attela à la tâche, alla à la remise chercher un peu de farine et fit cuir un pain bien chaud, tout bon comme tout enfant en rêverait. Et elle retourna voir sa petite protégée qui était maintenant assise sur le lit, l’air hagard, perdue à nouveau. Puis elle se retourna pour voir celle qui l’avait accueillie…
Tout sourire, la maman par procuration tendit une miche à sa fille, qui l’accepta d’un air étonné, et mordit sans conviction. Cassandra trouva ça touchant, elle comprenait aisément que la fille pouvait se montrer méfiante. Quoi de plus normal quand on se réveillait un beau matin dans la maison d’une inconnue ? Elle espérait seulement qu’elles ne le resteraient pas.
–Bonjour, dit-elle alors, s’asseyant à ses côtés. Tu vas bien ?
La fille resta silencieuse quelques instants, puis détourna son regard d’un air craintif.
–Où il est ? s’enquit-elle d’une voix enrouée.
La femme resta interdite, elle ne savait trop de quoi elle parlait… Un frère ? Un père ? Un tuteur ? « Il » pouvait être n’importe qui ! Comment savoir ? Comment deviner de qui il pouvait s’agir ? Le problème c’est qu’elle ne pouvait pas, elle en était totalement incapable ! Une mère devrait tout deviner, pourquoi n’a-t-elle pas cet instinct maternel dont se vantent certaines femmes ?
C’était si embarrassant, l’ignorance…
–De qui parle-tu ? répondit-elle, masquant son désarroi par un sourire qui sonnait faux.
L’enfant sembla un moment hésiter, puis enfin lâcha abruptement :
–Le flacon à ma maman… Enfin je crois que c’est un peu ma maman… Toute rouge, comme son sang… Elle doit avoir mal sans…
Cette révélation frappa Cassandra comme le plus glacial des poignards, oui elle aurait du s’en douter : la fille avait déjà une mère. Mais quel monstre odieux pouvait abandonner son enfant en plein champ de bataille ? Malheureusement un enfant aime sa mère, qui qu’elle soit, il pouvait tout lui pardonner par le seul fait qu’elle l’avait mis au monde. Elle-même avait aimé, à cet âge-là…
Elle deviendrait pas si vite mère, en fin de compte.
–Et… se risqua-t-elle. Qui est ta maman ? Que lui est-il arrivé ? Tu as un prénom au moins ?
C’était beaucoup en une fois bien sur, mais l’enfant promit de répondre. Elle dirait tout si on lui rendait le flacon.
Celui-ci n’était pas bien loin, tout simplement tombé du lit tandis qu’elle dormait il avait glissé sous la commode. Un peu de chipotages avec le manche du balai et la petite pu le reprendre, et le serrer bien fort comme l’unique objet qui la rattachait à ce monde étrange.
–En fait, personne m’a dit mon nom, commença-t-elle, mais… Y’avait un traité dans l’un des Temples Rouges.
–Temple ?
Ce mot soudain l’inquiéta… Temple ? Un mot à proscrire à tout prix vu la conjoncture actuelle, c’était un suicide de le prononcer avec tant d’insouciance !
Mais elle tu ses pensées, ce n’était pas le moment…
La fille lui expliqua alors qu’elle avait fait un songe, un rêve étrange durant lequel, entre autres, elle avait visité un pays pourpre où se trouvait quelques Temples. Combien ? Elle ne les avait pas compté, trop nombreux, mais chacun représentait sa propre idéologie…
–Dans l’un d’eux, expliqua-t-elle, y’avait une drôle d’histoire, une espèce de prophétie… Je crois qu’elle parlait de nous.
–De vous ?
–De moi, de mes sœurs… De nous.
La situation allait de mal en pis, ce qu’elle avait pris pour une fille perdue s’avérait être le fruit d’une étrange prophétie. Elle n’aimait pas ce mot, un jour une voyante avait dit à son mari qu’il allait mourir, entraînant sa famille dans le drame. Le naïf a alors tellement craint de lui faire du mal qu’il s’est jeté du haut d’un ravin, se disant qu’au moins là il n’entraînerait personne. L’idiot, s’il savait ce que c’était de vivre seule, semer soi-même ses graines, récolter soi-même sa moisson, pour ses pauvres bras de femme, sans homme pour l’épauler.
Et elle était bien trop vieille pour se remarier… Oui, elle l’avouait volontiers, en assistant à cette bataille elle avait espéré recevoir un coup perdu, rejoindre son défunt époux.
Et maintenant la voilà avec cet énigmatique enfant…
–Il a été écrit par une certaine Pythie, une Chamane je crois, y a très très longtemps… Elle m’appelle Calliope l’Eloquente.
La femme restait encore dubitative, se demandant si l’enfant ne se moquait pas d’elle. Mais, soutenant son regard, elle n’y vit rien d’autre qu’une sincère innocence.
–Mais… Qui te dit que c’est vraiment toi Calliope ? Des filles qui parlent bien il y en a plein, la Chamane ne parlait peut-être pas de toi…
–Si, c’est moi… Je le sais. On était quatre, elles étaient quatre, nées de la déchéance de quatre Mères. Nous sommes les Muses, je suis celle du Feu. Celle de la Philosophie, et surtout de la Révolution des Esprits… J’ai pas tout compris mais je dois encourager les gens dans leurs idéaux je crois, et puis aussi… Et puis aussi trouver Guerluse ma Mère…
C’en fut trop pour la pauvre Cassandra, qui s’effondra comme une pierre sur le lit. Elle qui se montrait déjà méfiante vis-à-vis des puissances supérieures avant même que ça ne devienne la grande mode, la voilà avec sous son toit la fille d’une Déesse. En ces temps d’Inquisition, c’était une chose peu recommandée…
Paniquée, l’enfant se précipita sur elle, et se mit à lui tapoter la main comme si sa vie en dépendait. Ses yeux verts s’humidifiaient.
–Ne m’abandonnez pas, je vous en prie ! gémissait-elle. Je… Je suis seule, j’ai besoin de vous, j’ai besoin d’une maman même si c’est pas la vrai… Le, la Chamane disait que l’Eloquente a besoin d’aide, de beaucoup d’aide, qu’elle est comme une poupée de chiffon, de, de porcelaine, fragile, très fragile… Et que si je tombe mes débris vont faire mal à tout le monde ! « Des quatre le danger pourrait venir d’elle », c’est ce qu’elle disait…. Ne m’abandonnez pas !
La femme entendait sans entendre, et ses yeux clos pleuraient avec elle. Comment résister ? La petite Calliope avait besoin d’une mère, la grande Cassandra voulait une fille… Ne se complétaient-elles pas à merveille ?
Se relevant avec difficulté, la mère chercha à tâtons le corps le corps de son enfant, et le serra bien fort dans ses bras.
–Je ne t’abandonne pas, jura-t-elle, j’ai juste besoin de sommeil.
Un sourire pâle apparut alors sur le visage de la Muse, et elle déposa sur le lit son corps exténué par une nuit de veille au chevet d’une petite orpheline… Elle avait une maman.
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:02

Il en était dorénavant fini de ses doutes, cette méfiance vis-à-vis de tout ce qu’il y avait attrait à la magie… Non qu’ils aient définitivement disparus, mais elle décida de les mettre de côté. Pour sa fille, sa fille unique…
C’est ainsi qu’elles commencèrent leur vie commune dans la petite masure, elles dormaient ensemble dans le lit commun, se levaient de bonne heure s’occuper des potagers et autres parcelles de céréales, mangeaient leur croûte à deux, vivaient comme le ferait un couple, à la différence peut-être de cet amour maternel qui les unissaient. Et le temps passait, la routine instaurait son petit train-train quotidien. Tout doucement, sans heurt ni dispute…
Et chaque soir elles parlaient, tantôt de la journée, tantôt des choses de la vie, parfois même d’un rêve que Cassandra a fait ou d’une spectacle amusant que leur avait offert un animal dans les champs. Parfois même, c’est du passé qu’elles parlaient…

–C’est quoi ça ? avait un jour demandé la petite Calliope, montrant un livre sur une étagère. Je croyais que tu savais pas lire…
Les yeux de la mère s’embrumèrent alors l’espace d’un instant, mais immédiatement la fille lui prit la main, l’apaisant de quelques mots doux. Séchant ses larmes, la femme lui répondit :
–Il était à mon mari… C’était un érudit tu sais, il a reçu une éducation complète chez des prêtres de Guerluse avant de venir ici. Il aurait pu convenir à mille autres filles bien mieux instruites, mais bizarrement c’est moi qu’il a pris…
Elle lui raconta alors l’histoire de son mariage, comment alors qu’elle allait en ville chercher des provisions pour ses parents un jeune homme, un peu timide et maladroit, s’est mis à la suivre… Quand elle a quitté l’agglomération, l’homme n’a cependant pas osé la suivre plus loin, la regardant partir avec des yeux humides. Et à chaque fois qu’elle y retourna ce fut pareil, et elle en vint à s’amuser à jouer à cache-cache avec lui : deux ans, deux ans qu’elle l’a ainsi fait tourner en bourrique le pauvre homme. Et puis elle s’en lassa, et alla elle-même lui parler…
A la question de savoir ce qu’il s’était passé ensuite, elle répondit par un sourire rêveur, et raconta que leur amourette dura encore un an avant que leurs familles s’en aperçoivent, et qu’ils avaient fuit, fuit au loin, et ils avaient construit de leurs propres mains cette petite maisonnette qui faisaient leur fierté. Et puis ils avaient vécu…
–Pourquoi j’ai pas de papa alors ? demanda-t-elle en toute innocence, jouant encore ce jeu qui consistait à dire que Cassandra était vraiment sa mère, et pas seulement d’adoption.
Mais la femme, elle, ne jouait pas…
–Parce qu’il a été idiot, dit-elle sèchement, avant de partir ranger la cuisine.

Les jours suivants l’enfant se montra plus prudente à ce sujet qui semblait encore douloureux dans le cœur de la pauvre femme, mais néanmoins ce livre l’obsédait au plus haut point… Quel était cet étrange écrit, le seul qu’avait emporté un homme bien né tandis qu’il s’enfuyait avec sa pauvresse bien aimée ? Cela demeurait un mystère des plus excitants à ses yeux verts !
Prétextant de vouloir faire un grand nettoyage de printemps, la fille laissa sa mère aller seule aux champs, et après quelques rangements rapides se plongea dans la lecture du récit… qui l’étonna au plus haut point. Elle qui s’attendait à un quelconque livre de prière ou traité philosophique en rapport avec Guerluse elle se trompait au plus haut point ! Un conte, une fable sous la forme d’une lettre à l’humanité, qui comptait l’histoire d’un Mage désespéré auquel on avait dicté une prophétie : « De tous tes projets un seul aura une conséquence bénéfique, mais celui-là sera le plus important de tous ». Elle resta alors plongée des heures durant dans le grimoire de ses mésaventures, ses inventions toutes aussi farfelues les unes que les autres qui finissaient toutes à se retourner contre lui ou ses proches… Il y avait côté comique à cette histoire, mais aussi dramatique. Pauvre homme tout de même ! Et à chaque fois il pense que c’est la bonne, et à chaque fois cela se termine par un accident, voir même des hécatombes parfois : des bâtons lanceurs d’éclairs qui auraient du servir à se protéger des bêtes sauvages a été repris par l’armée pour mieux décimer les lignes ennemies…
Mais avant qu’elle n’ait pu finir, la porte s’ouvrit sur une Cassandra surprise de retrouver sa fille ainsi. Que lui était-il passé par la tête ?
–Maman, s’exclama l’enfant, cherchant à faire oublier qu’elle lui avait désobéi, viens, j’ai une magnifique histoire pour toi !
Interloquée, la femme s’assit à ses côtés et la petite retourna au début pour lui faire la lecture de sa petite voix fluette…
Et elles restèrent ainsi, l’une lisant l’autre écoutant… Et quand l’appel du doux sommeil se fit trop fort elles fermèrent soigneusement le livre pour aller rejoindre les draps.

Le rituel des discutions se changea peu à peu en séance des mésaventures du pauvre homme, mais à chaque fois comme elles oubliaient la page elles devaient recommencer du début, si bien qu’elles le connurent bientôt par cœur et pouvaient le réciter comme ça, de tête, et dans les champs elles s’amusaient parfois à jouer quelques-uns des passages les plus burlesques entre deux longs temps de travail… Une pause agréable où le rire était toujours au rendez-vous.
Mais il advint qu’un jour, alors qu’elles faisaient avec joie leurs pitreries, un voyageur les aperçut au loin, et, appuyé contre un tronc d’arbre, se mit à applaudir les deux actrices. Toutes rouges qu’elles étaient à se faire surprendre ainsi, elles s’excusèrent auprès de l’homme et l’invitèrent à partager leur modeste repas dans la chaumière.
Celui-ci s’avéra être quelqu’un de cultivé, un musicien dans la force de l’âge qui allait de théâtres en théâtres pour proposer ses services, vaquant d’une troupe à l’autre sans réel attache. Rythlock Sandr’amor, ainsi se présenta-t-il.
–Vous savez, leur dit-il tandis qu’ils mangeaient ensemble du ragoût, vous pourriez avoir votre petit succès en ville… Je connais quelques organisateurs qui pleureraient pour donner un spectacle aussi original que le vôtre !
Il y eut un moment de réflexion durant lequel seul le bruit des couverts se fit entendre, puis enfin la mère Obliotte prit la parole :
–Peut-être… Mais je ne crois pas que le public apprécierait un spectacle de « magie » après ce qui s’est passé dans la Grande Plaine.
Mais l’homme se mit à rire à gorge déployée, laissant les deux paysannes muettes devant tant d’hilarité. Qu’y avait-il de drôle là-dedans ?
–Mais chère amie, s’expliqua-t-il, les gens des villes ne sont pas ceux des campagnes, toute cette diabolisation, cette mystification de la magie… Ca les rend curieux, même s’ils n’osent l’avouer ! En public ils vous diront qu’ils désapprouvent, mais s’ils peuvent voir une fois un spectacle interdit sans que ça se sache ils se rueront dessus ! Et puis vous n’êtes pas de vrais mages n’est-ce pas ? Donc si l’Inquisition vous coince vous pourrez dire que c’est juste votre boulot de comédie, point à la ligne…
Cassandra fronça les sourcils face à cette idée si saugrenue, la ville c’était plein de gens, des masses informes qui épient le moindre faux pas de celui qui n’y est pas né. Elle n’a jamais aimé les villes, même celle où elle allait chercher les provisions quand elle était jeune : il n’y avait vraiment que le garçon pour lui donner le courage d’affronter les foules.
Mais l’autre paire d’yeux brillait d’une curiosité non contenue, elle connaissait par cœur la maison et les alentours mais ce qu’il y avait au-delà était abstrait à ses yeux d’enfants… Pourquoi rester plantées là quand il y avait tant à voir ?
–Allons-y maman, la pria-t-elle en lui prenant le bras, et je te promets que je te protègerai : personne pourra t’embêter tant que je suis avec toi !
Les adultes sourirent alors devant cette exubérance, comme si un petit pouvait protéger un grand ! On aurait tout vu…
–D’accord chérie, lui dit-elle tout de même en la mettant sur ses genoux, je me sens tout de suite plus rassurée… Il est pas encore né celui qui vaincra l’horrible Cally !
Et tous trois furent pris d’un immense fou rire devant le ridicule de la situation, mais néanmoins leur décision était d’ors et déjà prise : les Obliotte partiraient avec le ménestrel…

Et le lendemain ils s’en allèrent, emportant juste quelques effets personnels et leur précieux livre pour « partir à la conquête du monde », comme ils le chantaient si joyeusement en chemin.
La petite troupe parcourut les campagnes, s’arrêtait parfois dans un petit village pour se ravitailler grâce à une « monnaie de singe » au sens le plus pur du terme –il fallait avouer que certains sketchs peu relevés plaisaient beaucoup aux ivrognes des auberges et autres tavernes.
Cela étonna beaucoup Cassandra qu’on puisse vivre aussi facilement d’une vie vagabonde, mais immédiatement Rythlock la démentit : l’acteur connaissait la région et savait parfaitement où on les accueillerait volontiers. Il rajouta de même qu’ils avaient fait nombre de détours pour éviter certaines communautés peu ouvertes d’esprit…
–C’est qu’il y en aurait pour vouloir ma mort ! plaisanta-t-il, découvrant d’un geste désinvolte des oreilles en pointe que camouflait ses longs cheveux ébènes.
Mais pourtant, sous ses airs insouciants, c’était des craintes bien réelles qui se cachaient…

Et puis bientôt, à l’horizon, c’est la ville qui vient poindre le bout de ses tourelles, et au chant des oiseaux se succéda celui de la foule. Les deux campagnardes furent alors comme paralysées devant cette fourmilière humaine, la dernière fois qu’elles avaient vu de tels masses c’était lors de la guerre. Mauvais souvenirs…
Heureusement Rythlock était un bon guide, et il les mena sans l’ombre d’un problème à travers la foule compacte jusqu’à un quartier plus calme, serein, vide diront certains. Les maisons cossues y poussaient comme des mauvaises herbes dans un champ en jachère.
–Excusez-moi quelques instants, les pria-t-il, pénétrant dans l’une d’entre elle.
Il en ressortit quelques minutes plus tard, annonçant qu’ils feraient le soir même une représentation privée sur les planches d’un vieil ami à lui : Sir Marcus Cablioni.

Jamais de toutes leurs vies, même dans la bataille, même au milieu des rebellions naissantes, l’Obliotte n’eut un tel traque… Pour la toute première fois, devant un public qu’elle ne connaissait pas, dans une ville dont elle ne savait rien, dans un monde où l’intolérance magique était à son comble, elle devrait interpréter les scènes d’un livre qui narrait les aventures d’un jeune mage. Certains auraient parlé de pure folie, Cassandra s’accusait carrément de suicide !
En fait seule Calliope semblait plutôt sereine, si Rythlock a dit qu’elles n’avaient rien à craindre ce devait être le cas, non ? Et puis ça avait plu à tant de monde… le ménestrel, les ivrognes, et même ce noble qui les hébergeait semblait si curieux à leur égard ! Et elle se promit de n’en décevoir aucun…

Ce fut d’ailleurs le cas : devant une petite assemblée d’aristocrates en mal de loisirs inédits, elles firent quelques petites saynètes mettant en scène le « terrible » Mage se trompant mille fois, et l’humour, sans réelle surprise sinon de la part des actrices, fut apprécié de ces dandys de Cour. Il faut dire que l’Inquisition était un groupe qui embêtait ces familles de Haute Naissance, toujours à soupçonner tout le monde d’un pacte avec les Démons ! Beaucoup avaient eu des Mages dans leurs ancêtres, et, même si méfiants, ils demeuraient curieux face à cet art mis sous tabou.
Ce n’était alors qu’une petite délégation, mais bien vite des bruits coururent dans les hautes sphères sur ce spectacle mettant en scène l’Art Proscrit, et même si ce n’était que pure fiction la salle se remplit de plus en plus, devenant une attraction locale à laquelle étaient conviés tous les membres du club privé de Sir Marcus, qui devint l’un des plus prisés de la ville.
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:02

Et chaque jour ils faisaient, improvisaient, inventaient même parfois des histoires qu’aurait pu vivre le pauvre sorcier. Rythlock proposa même à Cassandra de lui apprendre la lecture afin qu’elle puisse lire elle-même la suite de l’histoire tandis que sa fille dormait, offre qu’elle accepta avec plaisir, elle qui avait toujours rêvé d’être plus intelligente.
Calliope, elle, observait avec curiosité la vie des mondains, sans réellement comprendre ce qui se cachait derrière cette vie de soie et de scène. Elle vivait dans un monde en constante agitation, avec sa mère et des gens qui l’admirait, que demander de plus ?
Il y avait néanmoins quelque chose qui l’ennuyait, il lui semblait qu’elle s’était éloigné de ce but premier pour lequel elle a été conçue : rendre à Guerluse ce qui est à Guerluse. Pourtant elle ne pouvait se résoudre à abandonner Cassandra : elle avait été si bonne envers elle, et puis la femme avait tant besoin d’elle, d’une fille à chouchouter, à aimer de toute son âme… Elle ne pouvait lui faire ça !

Défila le temps, les représentations, la vie… quelques années durant lesquelles la vie fut un éternel bal de manières nobles et courtoises, un apprentissage de la vie aisée après celui du labeur des rustres.
Tout était si idyllique, et aurait pu le rester encore longtemps. Très longtemps…

Il s’avéra qu’un jour, néanmoins, sa mère vint lui parler seule à seule pour une raison « de la plus haute importance », chose qui l’étonna car voilà un bon bout de temps qu’elles ne se voyaient plus que pour les spectacles. Ses leçons de lecture et d’écriture lui prenaient tant de temps !
Elle se mit tout d’abord à tourner autour du pot, à évoquer leur vie à deux dans la cabane, et puis de lui expliquer consciencieusement le pourquoi du comment de ses silences à propos de son défunt époux, mais que c’était du passé ; elle avait décidé de tourner la page et de prendre de la distance avec cette vie de pauvresse inculte qu’elle avait menée.
La femme prit alors une profonde inspiration et, prenant la main de sa fille pour la poser sur son ventre, elle l’annonça enfin :
–Cally, je n’aurais jamais cru, à mon âge tu sais mais… J’attends un enfant ! Tu vois, moi et Rythlock… Oh mais tu as certainement du t’en douter, hein, tu es si intelligente ! Enfin quoi qu’il en soit nous allons bientôt officialiser notre union, si tu savais comme je…
Non, en réalité elle ne s’en doutait pas, aucunement ! Calliope fut comme paralysée, sous le choc, mais sourit néanmoins pour faire plaisir à la mère. En elle, elle craignait d’ors et déjà ce rejeton qui dormait au sein de sa mère, et qui la lui volerait sans aucun doute…

Les jours qui suivirent furent consacrés aux préparatifs de l’union, laissant l’enfant bien seule face à son désarroi. Elle ne dit néanmoins rien, mais réfléchit beaucoup, et songea que tout avait commencé par la faute de Rythlock, qu’elles vivaient bien toutes les deux avant qu’il ne vienne perfidement s’introduire dans leur petit couple… Son esprit insouciant d’enfant gâté se mit alors à échafauder une théorie simpliste qui règlerait tous ses ennuis : si le ménestrel était la cause de tous ses problèmes, peut-être tout redeviendrait-il comme avant si Cassandra se rendait compte qu’il n’était pas fait pour elle ?
Et dans les méandres de son esprit s’éleva tout doucement l’édifice de sa vengeance…

Quelques jours avant le mariage des hommes armés mirent à sac la demeure de Sir Marcus, et quand quelques gardes tentèrent de s’interposer ceux-ci brandirent un mot d’ordre de leur supérieur : le Baron Janus d’Aragon, plus connu parmi la populace sous le titre de Pourfendeur des Sorcières… L’un des membres fondateurs de l’Inquisition, et de loin le plus terrible de tout le Continent du Feu : on comptait les massacres qu’il avait commis au nom de l’Athéisme par milliers de têtes, pas toujours entièrement coupables d’ailleurs…

Personne ne comprit pourquoi il avait ainsi ordonné l’assaut du manoir, ni même ce qu’il espérait au juste y trouver. Ce n’est que le soir qu’on se rendit compte que le marié avait disparu, et le lendemain déjà les crieurs clamait l’exécution prochaine d’un « espion elfe » venu empoisonner la bonne foi de la population avec ses tours de passe-passe…
Calliope seule savait alors ce qui s’était passé : son courrier était enfin arrivé. Il était temps !
Avait-elle seulement mesuré les conséquences de son acte ? Jeune enfant naïve dorlotée dans la soie, sûrement pas…
Sa pauvre mère était sans dessus dessous, en état de choc face au malheur qui frappait le second homme de sa vie, détruite et paralysée de peur, de honte et de désarroi. Le pire de cette torture c’est qu’elle ne pouvait qu’attendre l’inévitable, seule, et pour la vie cette fois… L’enfant naîtrait sans père, et cela elle ne pouvait le supporter.
Et Calliope eut beau la prendre dans ses bras, la couvrir de mille baisers mais rien y fit : elle aimait encore son Elfe. Son bel Elfe…
Cela la petite Muse ne l’avait pas prévu.

Quand vint le jour de l’exécution on pria la femme de rester chez elle, mais elle refusa net : elle serait là, à ses côtés jusqu’à ce que la mort les sépare, point. Là, à ses côtés, à le couver de bras imaginaires, le consoler, lui tenir une main qui n’existerait qu’à leurs yeux. Le protéger de défenses ésotériques que personne n’était à même de comprendre.
Et personne ne comprit en effet, la dignité de ses pas, la brume de ses yeux tandis qu’on traînait son aimé, alors que la foule piaffait d’impatience, alors qu’elle restait là, stoïque, le regard dans le vague en une concentration inouïe. La manière dont elle canalisait son chagrin en quelque chose de jamais vu encore, spectacle inédit qu’elle relâcha devant le pilori en un mot que personne ne comprit… mais peu importait face à la volonté qu’elle y avait mise, espoir futile de libérer son fiancé.
La réaction fut d’autant plus détonante qu’elle-même ne savait à quoi s’attendre : elle n’avait fait que suivre les conseils que le Mage donne un moment à son apprenti dans le conte, une forme de magie sauvage et instinctive à laquelle elle s’était rattachée en un espoir illusoire de pouvoir l’appliquer elle-même… Elle ne su ce qui l’étonna le plus : la réussite ou la panique qui s’en suivit ?
Une onde de choc vint frapper de plein fouet les gens autour d’elle, et au milieu du chaos elle lâcha la main de sa fille pour prendre celle de son bien-aimé, et courir, courir loin de la mort et du carnage, vers la liberté promise d’une vie de paria.
La petite Muse, laissée plantée là au milieu de la foule, comprit alors que sa mère avait choisi : à l’enfant trouvé elle préférait l’homme perdu d’avance. Elle ne serait plus jamais vraiment sa mère, une mère n’abandonne pas sa fille au milieu d’une foule en furie…

Lysandre d’Aragon, fils cadet du Baron Janus, fut appelé d’urgence de son château de campagne pour retrouver les deux fugitifs, et la populace toute entière se porta volontaire pour rattraper l’espion et la traîtresse qui avait osé lui porter secours, leur promettant mille morts, mille souffrances… On avait rarement vu un tel enthousiasme pour si peu de choses, mais l’Inquisition ne s’en plaignait pas : ils n’étaient peut-être que deux mais les Aragon savaient d’expérience qu’une seule capture, si l’on savait lui appliquer les méthodes adéquates, permettait bien souvent d’en attraper tout un groupe. Or si ce simple espion semblait aussi muet qu’une carpe, même face à la plus odieuse torture, qu’en serait-il de cette magicienne aux pouvoirs encore tâtonnants ? Ces spécialistes ont reconnu là cette magie instinctive dont se servent les Apprentis, et qui dit Apprenti entend forcément Maître non loin.
L’Elfe n’ayant rien d’un mage, cela ils en étaient certains, restait donc à remonter la piste de l’élève et lui faire avouer le nom du professeur pour étouffer dans l’œuf cette nouvelle école…

En réalité la cavale des tourtereaux n’alla pas bien loin : les portes de la ville avaient été fermées à temps et ils durent trouver refuge sur le toit d’un vieux taudis abandonnés, où ils tentèrent de reprendre leur souffle en attendant l’aube et la réouverture des portes. Un mendiant ne tarda pas à dénoncer leur cachette en échange d’une bourse bien remplie…
Ils étaient cernés de toute part, la populace hurlait mille jurons alors que les amants se recroquevillaient pitoyablement contre la cheminée, perdus, irrémédiablement condamnés.

Noyée dans la masse de la foule opaque, comme elle le fut à une autre époque déjà, Calliope pu sentir autour d’elle toute la haine, tous les quolibets qu’on attribuait à sa pauvre mère : on la disait Sorcière, Adoratrice des Déesses et autres insultes qui sonnaient faux à l’oreille de ceux qui l’ont connue. Tout le monde la jugeait sans savoir qui elle était… Mais que feraient-ils, bon sang, en apprenant que la fille d’une Déesse se trouvait parmi eux ?
L’enfant frissonna en portant sa main à la poche qui contenait encore et toujours le flacon, et ferma les yeux en une grimace de dégoût. Que pouvait-elle faire ? A quoi cela servait-il d’être la Muse de l’Eloquence si elle était incapable de protéger ceux qu’elle inspire ?
Elle sentit soudain autre chose au creux de ses mains, et baissant les yeux elle remarqua une grosse bille pourpre qui s’assombrissait à chaque fois qu’elle l’élevait vers un homme en de subtiles nuances qui lui permettait de lire en l’être comme dans un livre ouvert : des suiveurs, ils étaient tous des suiveurs, moutons de Panurge qui ne juraient que par leur chef. Il lui fallait le trouver, ce chef…

Trop occupée à ses vociférations, la foule ne remarqua même pas cette petite fille haute comme trois pommes se faufiler parmi elle, une sphère nichée au creux de la main. Quand enfin elle arriva face à Lysandre elle fut étonné de le sentir tout aussi influençable que les autres, ce n’était donc pas lui le gardien du troupeau… Elle était prête à s’en détourner quand soudain le globe se mit à briller si fort, avec tant d’ardeur qu’elle du le renvoyer immédiatement dans sa dimension originelle avant que les curieux n’en remarquent l’origine.
Levant les yeux vers le cheval du noble elle pu voir le véritable cerveau de l’Inquisition : une femme d’âge mûr qui chuchotait à l’oreille du jeune homme… sa mère la Baronne Ivonna, éminence grise derrière l’Empire des Aragon.
S’approchant encore un peu elle pu même saisir la teneur de ses murmures : « … comprends bien qu’il ne faut faire preuve d’aucune pitié… »
Le sang de la gamine ne fit qu’un tour, et bientôt elle se jeta sur l’impie en un hurlement désespéré. « Elle est innocente, elle est innocente ! » auraient-ils pu entendre s’ils avaient su écouter, mais immédiatement mille armes la visèrent tandis qu’elle empoignait la main de la femme.
Et pourtant de toutes les lames de l’armée qui l’entourait la seule réellement dangereuse était celle sur laquelle elle s’était jetée, et d’un seul coup elle se sentit submergée par la haine et la rage de cet esprit obscur, et son innocence, sa naïveté et son amour envers sa mère : autant de digues qui s’effondraient une à une sous le torrent qui déferlait en son sein, et s’infiltrait en chaque recoin comme un poison qui la paralysait.
–Ce… ce n’est pas… elle, non ! Non… fut la seule chose qu’elle réussit à balbutier après moult efforts, avant de s’affaisser, s’effondrer en larme devant tant d’horreur.
L’enfant de l’espoir était tombée à genoux devant la mort en personne, comme l’avait évoqué Pythie dans sa nébuleuse prophétie.
Ce fut là le début d’un long cauchemar…
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:03

L’enfant se réveilla dans une petite cellule sombre et humide, tremblante elle ne savait pourquoi, ne comprenait plus. Esprit embrumé, lourd, douloureux.
Elle sortit de sa poche sa précieuse fiole, et voulut un moment la serrer contre elle, comme pour se rassurer.
Bizarrement quelque chose l’en empêchait… Respiration haletante, cœur en chamade, colère intérieur : elle le jeta violemment contre le mur dans l’idée de le détruire.
Celui-ci rebondit, et retomba dans sa main. Elle ne pouvait le détruire… L’enfant serra le poing tandis que coulaient de ses yeux vert quelques gouttes de rage.
Elle ne pouvait le détruire… Personne ne le pouvait ! Alors elle le garderait, jusque la fin des temps s’il le faut absolument, mais jamais une Déesse ne mettra la main dessus !

Elle passa ainsi des heures à se morfondre, se maudire, maudire sa mère, ses deux mères : l’une pour l’avoir mise au monde, l’autre pour avoir osé la trahir ainsi. C’était sa faute, leur faute si elle souffrait autant.
Plus tard –peut-être une heure, une journée, un mois entier ?– quelqu’un d’autre fut jeter avec elle, une masse de vêtements sales qui pleurnichait sur ses genoux, comme à la recherche de réconfort.
–Ils l’ont tué, ils l’ont tué… gémissait pitoyablement la chose d’une voix qui ressemblait à celle de Cassandra.
Immédiatement cette détresse ébranla le cœur de l’enfant, qui entoura sa pauvre mère de tout l’amour qui lui était encore possible de donner.
–Ne pleure pas, Maman, disait-elle, cela valait mieux pour tous, il ne souffre pas, il ne souffre plus…
Elle semblait parfois se détendre, s’apaiser, mais sitôt une crise de sanglot détruisait tout ce travail durement accompli.
–Ca va aller, Maman, répétait-elle.
–Non, sanglotait la mère, non, notre sort est pire que la mort, cette femme c’est le mal, le mal en personne… J'veux mourir, j'veux mourir !
Calliope n’écouta pas, pas assez, pensant qu’elle dramatisait, exagérait. La femme était peut-être en état de choc mais elle savait encore ce qu’elle n’avait pas dit même sous le coup de la douleur, mais aussi ce que révélerait très certainement un petit journal qu’elle avait cru intime…

Quelques heures plus tard on leur apporta de quoi se nourrir, mets délicats en vérité, en comparaison à leur statut de prisonnières, et, naïves, affaiblies par leur incarcération, elles ne purent s’empêcher d’y goutter.
Ce qui se passa ensuite ? Elles ne purent l’affirmer avec certitude…
Si Cassandra affirma ne se souvenir de rien, sa fille, elle, pu se rappeler avec certitude avoir vu, comme dans un rêve, cette femme ; son sourire plein de malice ; sa main, sa main effilée aux longs ongles pointus qui empoignait ses petites menottes bien en chair ; le visage creusé de la Baronne qui exultait ; et lui murmurait à l’oreille qu’elle était une enfant vraiment exceptionnelle. « Nous pourrions, disait-elle, faire de grandes choses ensemble… »
Et la Muse, les yeux dans le vague, finit par lover sa tête sur les genoux de la Dame, bercée par le son de ses mots doux, convaincue en son cœur que la lutte n’en valait plus la peine, que si les Déesses étaient mortes c’était pour une bonne raison, qu’il fallait pas aller les chercher du fond de leur cercueil contre l’avis même du peuple, que ça n’en valait pas la peine. Plus la peine…
Le premier contact l’avait ébranlée, fait douter de ce qu’elle était vraiment et l’avait forcée au fond d’elle-même à chercher ses inspirations profondes ; le second fut mortel à sa mission, et lui montra la route d’un monde meilleur où nulle divinité ne foulerait cette terre, où tous les mortels seraient égaux.
Un monde sans magie, sans guerre au nom de la Foi car tout le monde saura que les Déesses ne sont qu’inventions des Sorciers pour justifier leur art démoniaque. Mais pour cela elle avait besoin d’elle…
Et quand elle s’éveilla de sa torpeur elle n’était plus qu’un instrument entre les griffes d’Ivonna d’Aragon.

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(© Linda Bergkvist)


Enfermée dans un cocon de soie, l’enfant recevait tout ce qu’une fille de la Haute Noblesse pouvait rêver, et bien plus encore : de magnifiques robes de soie, de la nourriture raffinée, quelques jouets pour s’occuper et tout un arsenal de coquetteries pour se faire belle : du parfum qui lui rappelait les fleurs des champs, quelques poudres et autres onguents qui lui donnaient un joli teint rosé, très à la mode chez les jeunes filles de bonne lignée.
Pour mieux oublier son passé peu glorieux, elle fit retirer les perles de cette chevelure, trop obscènes à son goût, et réclama une teinture sombre pour étouffer cette flamme ardente qui trônait derrière son front. « Je ne suis plus une Sorcière de Guerluse ! » se justifia-t-elle sous le regard amusé de l’Inquisitrice.

La femme venait parfois lui prendre la main pour la conduire dans un sombre cachot où un homme (ou plus rarement une femme), abruti par quelques drogues et de longues séances de tortures, était attaché. Souvent, il la regardait alors d’un air morne, et, la langue pâteuse, lui marmonnait quelques insultes incompréhensibles.
Dans les premiers temps l’enfant était comme épouvantée, elle voulait s’enfuir, rentrer dans sa chambre et aller pleurer dans ses draps blancs. La femme la prenait alors à part et lui expliquait : l’homme qu’elle avait devant les yeux était malade, un prophète menteur avait embrumé son esprit de vils mensonges et il était maintenant prêt à mourir au nom des Déesses. Elle seule pouvait le soigner de ce mal, et l’homme pourrait alors révéler le nom du Prophète et on pourrait l’arrêter avant qu’il ne contamine d’autres braves citoyens.
–Aide-le, disait-elle, aide-les, lui et ses frères trompés.
Alors l’enfant sortait son Globe de Vérité, comme elle ne tarda pas à l’appeler, et vit bien vite qu’il était dans le Mensonge, mais qu’il était si faible qu’il ne pourrait pas résister à la dure et crue vérité, qu’il verrait bien vite son erreur et abjurerait ses croyances…
Elle s’agenouillait donc à ses côtés, puis lui parlait tout doucement, lui demandait qui il était, s’il avait une femme, des enfants, ce qu’il faisait avant d’être arrêté, elle apprenait à le connaître et lui répondait en toute franchise, séduit par ses yeux vert si pleins de vie.
La Muse le raisonnait, lui rappelait qu’il avait une famille, des amis, une vie… Quand enfin elle posait la question fatale : qu’est-ce que les Déesses avaient fait pour lui, sinon détruire ce qu’il avait mis des années à construire ?
Ils restaient généralement muets, certains pleuraient, d’autres hurlaient, mais tous finissaient par l’écouter et adhérer à son point de vue : les Déesses étaient mortes, et les mortes ne se vénèrent pas. Mais au fond, avaient-elles seulement existé ? Ce n’était peut-être qu’un prétexte des prêtres pour justifier leurs pouvoirs démoniaques…
Quand enfin le Jaune du Mensonge laissait place au Bleu de la Vérité, elle savait que l’homme était sauvé, et elle lui conseillait de dénoncer le Démon qui avait osé lui mettre ces sornettes en tête, pour qu’il ne puisse plus jamais nuire à de braves gens tel que lui, et enfin de veiller sur les siens, de leur prodiguer tout l’amour dont ils avaient besoin et de les élever dans les Sains Principes de l’Athéisme. Que jamais ses enfants ne vivent ce qu’il avait vécu…
Et Ivonna, fière de sa petite protégée, la ramenait dans sa tour pour qu’elle puisse se reposer.

Elle n’avait pas à se plaindre, rien à redire ou réclamer et d’ailleurs elle ne le faisait pas tant l’idéal des Aragon était ancré en son âme.
Et elle prit les mains de mille hommes, leur murmura mille promesses avant de les quitter, fière de son office. Jamais elle ne su ce qu’ils étaient devenu ensuite, s’ils avaient rejoint leur famille, vécu heureux dans la quiétude, sans cette sangsue divine qui dévorait leur vie…
L’enfant n’eut jamais de nouvelles d’aucun d’eux, même si elle se plaisait à se rappeler de la situation de l’un ou l’autre, et à s’imaginer sa vie actuelle, une vie normale.
Mais de toutes ces têtes anonymes un seul l’ébranla réellement…

Cela commença comme n’importe quelle séance : Ivonna partit la chercher vers le milieu de l’après-midi pour l’emmener dans les ténèbres des sombres cachots, où l’attendait un être solidement enchaîné, le visage enfouit dans une sombre capuche.
Le prisonnier ne leva même pas la tête, blasé, patient, il attendait la nouvelle torture à venir.
Intriguée par cette attitude qu’elle n’avait que très rarement vue, l’Abjuratrice commença par le questionner, mais l’homme demeurait muet, l’ignorant superbement comme jamais personne ne l’avait fait. Même le Globe de Vérité restait terne face à ce mur d’acier qu’il s’était construit.
L’enfant jeta un regard perplexe à Ivonna, mais celle-ci se contenta de lui lancer un hochement d’encouragement.
Alors elle s’avança, interloquée, et voulut tendre sa main vers le silencieux mais, d’un geste si vif qu’elle pu à peine le voir venir, celui-ci lui prit le bras, la faisant sursauter. Alors seulement l’être leva la tête, ses yeux marrons qui sondèrent les petites pommes au fond de ses prunelles.
–Alors ce que l’on dit est vrai, petite Cally ? susurra-t-il d’une voix rauque.
La bouche de la gamine s’ouvrit sous le coup de la surprise, personne ne l’avait jamais appelée ainsi, pas depuis… depuis longtemps.
–Ainsi c’est donc vrai, murmura la créature d’un petit ricanement moqueur, ainsi donc de parodie divine tu es passé à… à instrument, ustensile de torture va !
Les lèvres tremblantes, l’enfant secoua vivement la tête, rejetant de ce geste le perfide mensonge. Mais le doute s’en prenait à elle, petit à petit, tout doucement…
–Qui… Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, perturbée par une telle force de caractère.
Alors la chose releva la tête, laissant sa capuche retomber en arrière, découvrant le visage émacié de ce qui devait avoir été une très belle femme. Etique, squelettique, amoindrie : une lueur de folie luisait dans les profondeurs des yeux noirs de Cassandra.

Elle était sortie en trombe de la cellule, le cœur en chamade, brisé… Des sanglots au fond de sa gorge la faisait hoqueter comme jamais encore, si bien qu’on eut aucun mal à la repérer, à l’arrêter.
–Que s’est-il passé ? demanda la Baronne.
–Je veux voir ma mère, répondit-elle après une minute entière de silence absolu. Je veux voir ma mère, seule. Je veux savoir…
Et si ses pouvoirs de Muse n’avaient que bien peu d’effet sur la matriarche, le regard qu’elle lui lança, plein d’espoir, demeura irrésistible à son cœur de pierre. Qu’il en soit ainsi : elle lui parlera, elle comprendra… Et peut-être arrivera-t-elle à remettre cette pauvre folle sur le droit chemin ?
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:03

On amena la femme dans la chambre de la petite princesse, traînée jusqu’à elle l’aliénée ne se débattait pas, trop fatiguée, certainement, par l’effort mental qu’elle avait fourni pour résister au charme… A moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle ruse pour l’attirer dans un piège ?
L’enfant n’en avait rien à faire, et, comme l’autre l’avait fait quand elle avait eu besoin d’aide, elle la coucha sur le lit et se mit à veiller, veiller un jour, veiller une nuit, la forcer de temps à autres à se nourrir de quelques raisins fraîchement cueillis en l’honneur de l’Abjuratrice. Elle tentait de recracher, au début, mais de ça au moins elle savait la convaincre : il fallait qu’elle mange.

Et puis un jour enfin, ses yeux noirs semblèrent retrouver un élan de lucidité. Des yeux ouverts, fixes, même si tout l’amour qu’elle lui avait connu semblait avoir fondu. Fondu telle la neige sous le feu ardent de la haine…
L’enfant tenta de lui prendre la main, mais elle se déroba. Animal méfiant.
–Que s’est-il passé ? demanda-t-elle, blessée par tant de froideur.
Immobile, recroquevillée dans un coin du lit, la mère garda le silence un long moment, instants fragiles où elle étudia le visage de sa fille. Cette fille qu’elle n’était plus… « Pourquoi ? » a-t-elle baragouiné. Sèchement, une boule de colère semblant obstrué sa gorge.
Pourquoi, voilà ce qu’elle demandait, pourquoi était-elle toujours là, toujours si jeune, toujours si belle, pourquoi le temps ne passait pas sur elle, alors que son propre visage se couvrait de rides ? Pourquoi, pourquoi Rythlock s’était-il jeté sur la flèche, sauvant la vie de sa belle au dépend de la sienne, pourquoi ceux qu’elle aime se sentent obligés de se sacrifier pour elle, pourquoi l’abandonnent-ils tous ainsi ? Pourquoi, pourquoi… Pourquoi !
Pour quel raison, par quel prodige : sur la Grande Plaine, les discours les plus virulents se tenaient à côté d’elle, pourquoi donc avait-elle l’impression…
Un sourire mauvais effleura ses lèvres, mais elle se tu, continuant d’observer l’enfant du coin de l’œil.
Sous le regard inquisiteur de la femme, ce fut Calliope qui passa aux aveux :
–Je suis désolée, je… je ne pensais pas à mal, déglutit-elle, la tête baissée. C’est… c’était moi pour la lettre.
En un bond elle était sur elle, la Muse plaquée contre le mur ne cria pas, gémissante sous la menace elle avoua tout, tout… Tout de sa jalousie, des raisons qui l’ont poussée à cette extrémité. Mais elle ne pensait pas à mal, non ! Juste à son bien, son propre bien, celui de sa tendre mère… Cassandra, elle, ne comprit pas cette détresse, et n’y répondit qu’à un reniflement dédaigneux.
–Tu n’es qu’une sale gamine égoïste pourrie gâtée ! l’accusa-t-elle, lui crachant au visage. Mon bien, hein, mon propre bien ? Alors écoute un peu ce qui s’est passé pendant que tu t’pouponnais, petite garce !

Et elle raconta, ne lui épargnant aucun détail, aucune souffrance… Lui narra la manière dont les villageois les ont pris d’assaut, dont son fiancé s’était jeté sur une flèche destinée à la Sorcière, et qu’il vivait encore quand une brute épaisse lui a arraché son aimé, qu’elle a vu la populace se jeter sur lui sans pitié, achevant à coups de pieds et de pierres l’effroyable espion tandis qu’on l’emportait au loin, très loin…
L’interrogatoire, les sévices subis, parfois sous l’œil amusé de la cruelle Ivonna, parfois en cachette, quand un garde venait la visiter dans sa taule… Toute la douleur, toutes les tortures, tous les instruments : elle détaillait avec la froide précision d’un Maître Bourreau les apparences de chacun d’eux, et les trucs et astuces qu’ils employaient pour ne pas la tuer.
Le sang, le sang qui a coulé de son ventre, celui de son enfant qui n’aura jamais eu la chance de naître…
En un moment de lucidité, elle avait aperçu des portraits dans le bureau, des visages qu’elle avait de suite reconnu, qui la hantaient encore depuis longtemps, très longtemps… « C’est eux ! a-t-elle hurlé, montrant du doigt les tableaux. C’est eux, ils l’entouraient, les discours les plus virulents, les… C’est eux ! »
Ils ont fait taire la folle, ne la savait-elle donc pas ? Oui, bien sur que c’était eux, eux les pères, les Fondateurs de l’Inquisition. Cette révélation l’avaient fait trembler au plus profond de son âme, eux, c’étaient eux, elle les avait déjà vus mais pas ici. Sur la Grande Plaine, autour d’elle
Ivonna, seule, sembla prendre en intérêt cette étrange réaction.
Une convocation, dans son bureau, sans gardes ni bourreaux. Elle n’en avait pas besoin, disait-elle, la sorcière ne l’attaquerait pas. Esprit embrumé, elle avait trop mangé, elle croyait, pour une fois que ce n’était pas une nourriture infecte… De la drogue, elle le savait maintenant !
Elle l’interrogea, calmement, et elle répondait à toutes les questions, naïvement, sans y penser… lui disait qu’elle avait trouvé une enfant en plein milieu de la Grande Plaine, au milieu des futurs Inquisiteurs, qu’elle avait été sa mère et elle sa fille, qu’elles avaient vécu dans sa masure, heureuses.
–Et qu’est-elle devenue, cette fille ? demanda l’Inquisitrice.
–Elle était avec moi, quand je suis arrivée ici…
–A quoi ressemble-t-elle ?
Elle lui fit une description détaillée, mais l’Inquisitrice fronça les sourcils. Peut-être était-elle ainsi au début de leur vie commune, mais maintenant ? Pareille ? Mais bon sang voilà plus de quinze ans que les Déesses ont disparu !
Quinze ans… Cela faisait-il si longtemps ?
Mais la drogue perdait de son effet, et bientôt la mère comprit, comprit le danger dans lequel elle mettait sa fille, les plans de la Baronne, et…
Elle chercha à se rebeller, à s’enfuir, mais immédiatement elle retourna sur la table, avec de nouvelles machines infernales, de nouvelles souffrances. Mais elle ne dit rien… C’était peine perdue, en vérité, car l’horrible bonne femme finit par mettre la main sur son journal.
La Sorcière était désormais inutile : tout était révélé dans le livre, un livre qu’elle avait écrit en ville pour que ce savoir ne se perde pas après sa mort. Un journal qu’elle avait cru anodin, intime…
Elle vit une dernière fois sa fille dans une cellule, puis elle fut à nouveau droguée et emmenée. Emmenée loin de chez elle, dans une carrière de pierres à Aegnor…
Le travail, la sueur, les ampoules à ses mains, les plus anciens qui tombaient de fatigues, vite remplacés par de nouveaux prisonniers plus frais.
Les mines, la chaleur, les éboulements, l’obscurité… Le pain rassis qu’on leur servait une fois par jour, les limaces, les larves d’insectes qui traînaient parfois dans les dortoirs. Manger, manger cela si elle voulait survivre ; réticente d’abord la faim pousse au-delà des limites du probable.
Le travail, les gens, les rumeurs… Combien d’années là, au juste ? Marre, rébellion, puisque c’était ainsi elle serait ce qu’ils l’accusaient, et elle se rattacha à l’idée d’un dieu quelque part, un dieu qui la récompenserait pour son courage… Folle.
Découverts, on les avait châtiés au fouet, mais trop de courage trop de détermination : la tuer aurait fait d’elle un martyr, et tous se seraient levés. En secret on l’avait ramené ici, pour qu’elle abjure ses théories avant l’exécution, que les bagnards voient la soumission dans son regard.

Voilà où elle en était, par la faute de la peste. Plus d’enfants, plus de famille, plus rien, plus qu’une croyance qu’elle avait embrassé par désespoir ; tout ça pour le plaisir personnel d’une petite garce bien dodue.
Elle aurait pu s’arrêter là, mais elle ne voulait pas, oh non qu’elle souffre : que les mots blessent autant que les fouets l’on couverte de cicatrices !
Elle lui parla du livre, dit qu’elle l’avait lu jusqu’au bout avec Rythlock, et que toutes les blagues n’étaient qu’un prologue à la véritable histoire : le Maudit se prit un moment du projet le plus ambitieux qu’il n’y ait jamais eu : créer l’Être Parfait, celui qui guérirait l’Humanité de tous ses maux. Après un long rituel, il modela à partir d’éther une femme nommée Pacifique, qui garantirait la paix dans le monde entier : dés que quelqu’un l’apercevait, en effet, il ne pouvait s’empêcher de jeter les armes et de lui jurer allégeance.
Mais, voulant éviter tout conflit, la créature devint par la force un véritable tyran, et, réduisant le peuple tout entier en esclavage, se mit à agir de manière bien plus horrible que les généraux d’antan.
–Tu es cette Pacifique, petite Cally, susurra-t-elle à son oreille d’un air malsain, mère de l’Inquisition tu ne feras jamais rien de bon ! Tu penseras que c’est le mieux, mais non, non c’est le pire… Tu n’es pas la chose la plus importante au monde : la chose la plus importante c’est de t’arrêter avant qu’il ne soit trop tard !
Avec une violence inouïe, Cassandra s’empara de la main de la fillette, qui pleurait à chaudes larmes, sans comprendre. La femme la traîna sans ménagement vers la fenêtre, et escalada son rebord.
L’enfant fut comme paralysée.
Et elle tirait, elle tirait, mais Calliope résistait du mieux qu’elle pouvait. Des larmes, des larmes au fond de ses yeux pommes.
–Tu vas me suivre, oui ! vociférait-elle, tremblante de rage.
–Non ! cria l’autre en un souffle.
La femme s’immobilisa, interdite.
–Non, pleurnicha la petite Muse, non, vas-y toute seule, moi je veux pas…
Sans un mot, comme atterrée par ces paroles pleines de sincérité, la femme lâcha sa prise, ses efforts. Se laissa tomber en arrière, silencieuse chute mortelle… Un sinistre craquement se fit bientôt entendre.

La vie reprit, elle oublia, se força à oublier, ne s’en souvenait plus qu’au fond de ses draps, seule dans la nuit noire. Serrant une poupée elle décompressait. S’endormait, oubliait…
Elle continua à parler aux prisonniers, les convaincre, d’autant plus convaincue en sachant ce que la foi avait fait de sa mère. Plus jamais, plus jamais ça !
Le temps passa, s’écoula, et puis un jour Ivonna ne vint plus la voir… L’avait-elle oubliée ? Avait-elle trouvé une autre Muse, une Abjuratrice plus efficace ?
Elle ignorait, et préféra rester dans cette incertitude plutôt que de replonger dans le cercle de la jalousie. Un jour, un jour elle reviendra la chercher, un jour elle lui annoncera qu’elles avaient gagné…
Mais ce jour ne vint jamais, personne ne vint la voir, nulle nourriture dans son écuelle, nul jouet pour remplacer les anciens. Même le maquillage vint à manquer, mais toujours rien.
Oubliée dans cette chambre qu’on pensait condamnée, elle vivait tel un fantôme, spectre maudit d’une tour ancestrale. Et pourtant elle attendait, attendait…
Attendit longtemps, sans nourriture ni occupations : du premier elle s’en fichait royalement, mais l’autre lui manquait terriblement.
Puis un jour elle cru mourir…

Son corps tout entier se convulsait, se déchirait, ployait sous un mal sans nom comme si mille volatiles la picoraient de l’intérieur, et tremblante elle hurla, hurla de tous ses poumons, de toute son âme, hurla à l’aide, à la Baronne. Mais elle ne venait pas… de l’aide, de l’aide, n’importe laquelle !
Des bruits dans le couloir, la porte qui s’ouvre à la volée mais elle est aveugle, ses yeux la brûlent. Elle ne fait qu’entendre, entendre ses cris, entendre les pas.
Et puis soudain quelqu’un lui prend la main, à son chevet reste muet. Elle ouvre ses yeux, voit un jeune prince, le prince charmant qui vient la délivrer de son tourment. Mais dans le reflet des yeux de l’éphèbe, ce n’est pas une petite fille qu’elle entrevoit…
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:04

Calliope [OK] Filleauxtournesols5oo
(© Linda Bergkvist)


Les deux jeunes gens se regardent, yeux dans les yeux, la bouche en cœur, le cœur en chamade, la chamade de ceux qui se voient pour la première fois. De ce contact elle sentit cette adoration qu’il vouait à cette jeune pucelle dans sa robe trop petite, ému devant ce visage tout ce qu’il y avait de plus pitoyable, cette souffrance qui s’était lue dans son regard… En retour elle renvoya sa détresse, son besoin d’affection, l’amour d’une mère qui l’avait rejetée.
Mais des bruits venaient d’en bas, de la porte ouverte, des bruits d’épée, de fer, qui firent sursauter les tourtereaux.
Vite, il fallait agir vite : l’homme lui offrit sa cape pour qu’elle se couvre et ils s’enfuirent, dévalèrent les escaliers tout en esquivant les combats, atteignirent les écuries comme par miracle, main dans la main. Un rouan leur servit de monture pour s’enfuir, lui devant, tenant les rennes, elle derrière, tremblante, s’agrippant à son sauveur.

Avait-il un nom ? Lysandre, répondit-il, il s’appelait Lysandre d’Aragon, second du nom. La femme frissonna en entendant ce nom, mais se détendit en se rendant compte qu’il ne devait s’agir que du fils du premier Lysandre.
Des mains de la Matriarche elle passait à celles du petit-fils, mais à nouveau elle s’y abandonna corps et âme, avec plaisir cette fois. Son cœur de Muse ne battait que pour lui, comme le sien battait pour elle ; ensemble, suivant la même cadence…

Il s’était passé du temps depuis qu’elle était entrée dans l’Inquisition, comme elle ne tarda pas à l’apprendre : le Baron Janus était mort il y a douze ans, suivi sept ans plus tard par son épouse… L’héritage fut alors éparpillé entre leurs cinq enfants, ce qui diminua beaucoup l’influence des d’Aragon au sein du Continent : l’attaque de ce jour n’était que la finalité du long processus de décomposition de cette famille…
Mais peu importait au jeune Lysandre en ce jour béni, car au sein de l’horreur il avait trouvé sa lumière, sa raison de vivre ! Gai comme un pinson il lui promit une vie heureuse dans un vieux manoir de la famille que personne n’irait réclamer, et il le rendrait beau que pour elle, ses beaux yeux, si elle pouvait en retour consentir à l’épouser.
Elle répondit par un sourire si rougissant, empli de tant de pudeur qu’il disait tout à lui seul…

Il la mena alors à travers les campagnes jusqu’à un champ, un champ de tournesol qui rayonnait de ce jour heureux. En haut trônaient les ruines d’un vieux Temple qui n’était plus depuis longtemps.
Sous un portique dont ils ignoraient tout de la signification profonde ils échangèrent leurs vœux, et un bouquet de tournesol car ils manquaient d’argent pour l’alliance.
Ainsi voit-elle le plus beau jour de sa vie : gros et rond comme un soleil, un tournesol… Cette fleur devint pour eux le symbole de cette union.

Le soir venu, il la conduit dans une vieille bâtisse, un manoir grinçant de toute part, quelque peu sinistre, certes, mais la présence de Lysandre la rassurait. Il la portait jusqu’en haut, jusqu’à une chambre, jusqu’à un lit, un lit qu’ils partagèrent à deux. Chamade à l’unisson…
Première nuit du couple mais de loin la plus terrible : car soudain la jeune Calliope sentit une douleur vive à la cuisse.
Criant, la femme se releva tout à coup, persuadée que ses vêtements avaient pris feu tant la sensation de brûlure était terrible, mais il n’y avait rien de tel, rien.
Alors qu’elle se débattait un vieil ami qu’elle croyait pouvoir définitivement oublié roula sur le sol. La douleur cessa.
Les jeunes mariés restèrent interdits, en face au maléfice du flacon pourpre. C’était dorénavant officiel : elle n’était plus fille de Guerluse. Bon débarras !
Elle s’en empara, voulant le jeter dehors d’un geste de rageur, mais à peine l’eût-elle touché qu’elle sentit la chair de sa main cuire en un horrible fumet. Elle le lâcha, ivre de douleur : sur sa main la marque rougeoyante de l’objet maudit, cicatrice qui jamais ne s’effacerait. Après maints efforts ils arrivèrent à l’enfermer dans un coffret qui devait avoir contenu les bijoux d’une Dame, et coururent l’enfouir dans le cellier dés l’aube pour ne plus jamais avoir affaire à lui. Toujours il y demeure, jamais déterré…
Lysandre ne posa pas de questions ; elle ne lui donna point d’explications. Ils oublièrent tous les deux cet épisode, comme d’un commun accord.

Leur vie en couple commença par le travail : il fallait retaper cette maison qui grinçait de toute part, réparer le toit qui fuyait avant l’hiver et lui redonner un peu de la dignité des d’Aragon. Ils travaillèrent ensemble, et Calliope retrouva étonnamment vite l’ardeur du travail de ses premières années. Un peu de simplicité après la folie, la démesure… cela lui faisait énormément de bien.
Avec l’argent d’anciens meubles qu’ils n’utiliseraient certainement jamais, ils achetèrent bientôt quelques animaux pour subvenir à leurs besoins : deux ou trois poules, un coq pour les féconder, et une vache qu’ils allaient régulièrement engrosser chez un fermier voisin pour qu’elle continue à donner du lait. Ils tuaient les jeunes coqs pour garnir leur table, et vendaient leur surplus à la foire agricole d’un village voisin, leur fidèle rouan conduisant toujours la charrette.
Ils vivaient bien, modestement mais bien.

Le matin ils travaillaient d’arrache-pied pour tout remettre en ordre, mais l’après-midi, alors que le soleil continuait inlassablement sa course vers l’Occident, ils retournaient aux ruines, au champ de tournesol. Il lui offrait alors un bouquet, elle le remerciait d’un tendre baiser…
Quand il n’y avait plus rien à faire à la ferme, elle se plaisait à se promener ça et là, sur les chemins de campagne. Dans sa jolie robe blanche, quelques tournesols à la main : le voisinage l’appelait la Fille aux Tournesols.

Il ne leur fallut qu’une année ou deux, et la demeure était à nouveau belle, habitable, confortable… Il ne manquait plus qu’une ribambelle de rejetons braillards pour la remplir à nouveau de vie. Des enfants qui tardèrent, tardèrent…

Le temps passait sur le visage de son tendre époux, et ses joues douces et lisses se tapissèrent de rides, tandis qu’elle restait fraîche, belle, jeune. Comme au premier jour…
Le rouan était mort, tout comme la vache : ils en avaient acheté d’autres qui moururent à leur tour. Ils en étaient à la quatrième génération de bêtes.
Et pourtant elle continuait à l’aimer, à s’occuper de lui, et ce même quand il la soupçonnait d’aller fricoter avec quelques jeunes fermiers voisins elle lui restait aussi fidèle que dans sa jeunesse. Même si son sauveur avait perdu de sa grâce, même s’il était vieux et grincheux… Même si elle n’avait pu avoir d’enfants de lui, même si les autres pensait qu’elle était sa fille, non son épouse.
–D’quelle race es-tu donc, pour rester verte j’qu’à soixante ans passés ? lui demandait-il parfois tandis qu’elle lui préparait le repas.
Jamais elle ne lui répondit, par crainte qu’à jamais il la rejette…

Puis un jour cela arriva : en voulant le réveiller le matin le corps était froid.
Sans comprendre, elle resta à son chevet, patiente : elle attendrait le temps qu’il faudra, mais elle ne l’abandonnera pas dans son sommeil ; elle lui fit ses plats préférés, les mettant sous son nez. Rien n’y fit.
Quand les mouches se mirent à envahir la maison, à se balader sur le corps inerte de son époux, elle su qu’il était temps pour elle de partir…

Elle courut, courut à travers la campagne jusqu’aux ruines, ruines des temps heureux où ils s’aimaient, où la fougue de la jeunesse les menait ! Elle ramassa alors quelques tournesols et s’assit à l’endroit même où ils avaient échangé leurs vœux.
Elle pleura, pleura et attendit, attendit que la mort daigne lui rendre son époux, qu’ils puissent s’embrasser dans le majestueux pays des morts… Pour toujours.

Des nuits et des jours passèrent sans que rien ne se passe, plus d’une fois les tournesols se fanèrent sous les frimas de la froide saison, puis redorèrent sous le soleil printanier… et puis tout d’un coup la mort vint : la souffrance, les convulsions ! Mais cette fois elle ne broncha pas, affrontant courageusement la mort de son corps d’enfant, acceptant une nouvelle étape…

Calliope [OK] Damedouleur7ew
(© Linda Bergkvist)


La douleur cessa, après un moment, et bientôt Calliope pu découvrir son nouveau corps : comme le précédant, en réalité, mais plus vieux, mature et sinistre ; palpant son visage elle pu y sentir une ride, une ride qui la remplit d’une fierté sans bornes. Son premier pas vers une mort prochaine… Mais elle ne viendrait pas en Enfer les mains vides : elle exterminerait d’abord la vermine loyaliste !
Cette robe blanche, naïve et juvénile, ne convenait plus guère à la veuve ivre de vengeance qu’elle était devenue, et elle s’empressa de retourner au manoir pour récupérer une vieillerie qui avait appartenu à la Baronne Ivonna. Terne, sombre, aérienne et fantomatique, la robe témoignait à elle seule de cette nouvelle autorité qu’elle s’était appropriée.
N’osant monter pour affronter le visage de son éternel amour, elle se contenta de lever le poing vers l’escalier et de jurer :
–Repose en paix, mon doux ami, je continuerai l’œuvre de tes ancêtres… En ta mémoire, en la mémoire de tous les d’Aragon !
Entre ses doigts fins le Globe de Vérité était réapparu : l’Abjuratrice reprenait du service, plus sage, plus forte que jamais auparavant… Tremblez, tremblez Adorateurs des Idoles Passées ! Car Calliope, fille de Guerluse, a été mariée à Lysandre d’Aragon… Et elle remettra tous les idiots vénérant encore sa mère sur le droit chemin.

Et elle se mit à errer, errer sur tout le Continent ; des forêts de Rhydderch aux rudes falaises volcanique d’Aegnor, en passant par les glaciales contrées de Nennvial : on parla d’un fantôme, un fantôme qui se faisait appeler Dame Douleur, un spectre qui jurait la mort de tous ceux qui s’aviseraient encore de se déclarer loyaliste. De nombreuses légendes coururent sur elle, toutes aussi folles, aussi rocambolesques les unes que les autres… Mais jamais elle ne laissa entendre qu’elle était affiliée aux d’Aragon.
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:04

Alors que le jour elle se reposait dans un coin sombre, à l’abri des regards, c’est la nuit qu’elle appliquait ses vieux adages… Chasseresse sans pitié, elle se baladait dans les villes, dans les campagnes, son orbe entre ses mains telle les serres mortelles d’un terrible rapace, balancée de gauche à droite, parfois levée sur une maison ou un passant qui passe, toujours aux aguets, prête à piéger l’Ennemi.
Tel un phare dans la nuit, la Sphère la guidait, jugeait, jaugeait et lui désignait en silence ses pauvres victimes : quand des teintes pourpres venaient se mêler aux profondeurs de la nuit on disait que l’heure de la mort sonnait… En pleine ville cela se traduisait par une dénonciation ; en rase campagne elle se contentait de lui parler, lui murmurer à l’oreilles d’horribles insanités, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, qu’il craque : que d’une main tremblante, malhabile, il mette lui-même fin à ses jours.
Le pardon ? Elle n’y croyait plus, ce n’était que des lubies d’une enfant trop naïve : seul le poison vient à bout des rats, et il faut l’appliquer au plus vite avant qu’ils ne prolifèrent, ces pestiférés.
Le pardon ? La possibilité d’abjurer ses croyances ? Cela ne pardonnait pas les crimes qu’ils avaient commis, à répandre une foi fausse et malsaine, convaincre des pauvres gens à les suivre dans leur folie… Et pourtant elle venait leur parler avant que ne brûle le Feu Purificateur, et prenait une joie sadique à leur arracher leur croyance avant la fin, et voir au fond de leurs yeux de sincères regrets. Trop tard, trop tard ! Et ils s’abandonnaient aux flammes de leur Guerluse tant chérie, odeur cramoisie de la chair qui hurle.
Doux délices pour l’héritière d’une haine ancestrale…

Elle ne comptait plus, ne vivait plus : au jour le jour elle marchait, errait, insatiable, pas après pas fouillant le sol du Flamboyant, et seul Glingal, protégés par les meurtrières barrières de cette Mer qu’elle n’osait franchir, fut épargné par l’hécatombe.
Et pourtant il en restait, encore et encore, de plus en plus malins, habiles : ils écoutaient les rumeurs, la fuyaient, se cachaient. Elle le savait, elle le sentait ! Ils étaient là, là tout près… à la guetter, son moindre faux-pas.
Mais elle les aurait tous, tous jusqu’au dernier ! Tous, tous et son Continent sera épargné par une Guerre Sainte, une croisade des plus futiles comme il y en eut tant aux temps jadis… Non, pas ici, et puisse ses sœurs faire de même sur leur propre territoire !

Fouinant, débusquant, traquant, les prises se faisaient de plus en plus rares, plus malignes… mais elle n’abandonnait pas, et toujours ils finissaient par commettre des erreurs. Toujours !
Et pourtant un jour, à Aegnor, une se montra sans crainte, sans fuir, sans cacher, dissimuler… Ignorante des dangers elle était passée devant elle sans même s’en rendre compte : une femme aux traits mûrs qui respirait l’expérience, une enfant de 200 ans qui ne savait rien de ce qui se passait en ce moment même.
Elle sentit le globe comme gémir entre ses doigts glacés, un globe jaune comme un soleil au zénith qu’elle cacha sous un pan de sa robe. La femme s’était retournée dans la nuit, la Dame se cacha au coin de la rue. Le monstre de pureté a passé son chemin, abandonnant la Muse là, interdite.
Sa sœur, son miroir d’un autre Continent…
Aérienne voyageuse, se souvint-elle, n’est jamais dormeuse ; artiste, vagabonde, parcourre le monde : Thalie, la Comédienne, cherche toujours les siennes.
Qui l’eût cru que la seule qui l’ait reconnue fut celle qui avait abjuré ?
Un ricanement de dédain lui chatouilla la gorge tandis que la femme s’éloignait… Alors elle explorait son monde à sa recherche ? Eh bien elle avait de la chance : elle venait de la croiser. Puisse ce voyage être l’ultime erreur de la Fille de Sylphe…

Un vagabond tapi dans l’ombre, aura de cupidité parmi tant d’autres… La main pâle d’un fantôme sur son épaule. Peur, panique, la dague dans sa bottine ! Mais non, elle ne lui veut pas de mal, juste l’aider, l’aider. D’ailleurs comment tuer un fantôme, comment compte-t-il donc faire, hein ?
Non, qu’il regarde plutôt cette femme pleine d’assurance qui marche dans la rue : son allure noble, son air calme, serein, l’expérience qui se lit au fond de ses pupilles… Et pourtant qu’est-elle face à de braves détrousseurs de Bas-fonds ? Faible femme, faible femme ! Oh, que ses poches sont lourdes, lourdes… Et ne serait-ce pas un éclat doré qui dépasse de sa poche ?
Qu’il oublie le fantôme, et aille plutôt rameuter la racaille du quartier : ce gibier vaut gros, sans aucun doute.

Il n’y eut pas d’affrontements directes, elle ne le voulait pas : son esprit était plus fort encore que celui d’Ivonna… Un contact trop fort, trop intense : même si elle n’était plus une enfant le risque qu’elle la fasse basculer était bien trop grand.
Elle ne pouvait se le permettre !
Dame Douleur observa les bandits partir tendre leur embuscade dans un petit chemin désert, mais elle ne les suivit pas : elle leur faisait confiance, il la tuerait par jalousie si elle avait l’argent promis ; par vengeance si elle s’avérait pauvresse.
Elle était condamnée, c’était là sa seule certitude ; et si les Muses ne pouvaient mourir puisse-t-elle servir de cobaye au bourreau local ! N’avait-elle pas ce qu’elle méritait, après tout ?
Sans aucun remord pour la suppliciée, le terreur du loyalisme s’en détourna, et reprit sa croisade comme si de rien n’était.

Dame Douleur fit son temps, puis, comme les précédentes, s’effondra dans douloureuse agonie. La nuit en pleine rue, alors qu’elle sondait un quartier malfamé où elle chassait ; ivre de cette vengeance qu’elle n’avait pu mener jusqu’au bout elle se laissa aller à hurler son désespoir.
Trop tard.

Calliope [OK] Callyaea0
(© Linda Bergkvist)


Trop tard.
Un homme gras, jeté ivre d’un bar, se trouvait par là. Mauvais moment, mauvais endroit. Trop faible, si faible après que la si fantomatique Dame Douleur se mua en… en… jeune fille innocente ?
Belle, généreuse par son corps. Confiant de son charme inexistant, il tenta de la courtiser ; elle le repoussa. Il insista.
Ce qui se passa cette nuit-là ? Elle préféra l’oublier : trop de honte derrière tout ça.

Parodie du prince charmant de ses cinquante ans, l’ordure fit couler en elle un poison ardent, pécher qu’elle n’aurait jamais cru commettre. Une drogue lancinante qui lui rappela sa solitude : son homme était mort, et elle n’avait plus d’homme. Même si elle en retrouvait un il finirait aussi par mourir, alors qu’elle vivrait.
Un homme ne convient pas à une immortelle, il est trop faible. Il lui faut des hommes, et une vie intense de plaisirs pour oublier le sombre passé, torturé de moralité stupide.
Des hommes…

A Nennvial, une épidémie vénérienne avait ravagé le cabaret : ils cherchaient des filles, de bonnes poires incultes à qui l’on ferait miroité un avenir de danseuse étoile… Elle seule savait à quoi elle s’engageait, mais qu’importe : elle aimait ça, le regard des hommes sur ses formes saillantes.
Plus ils l’aimaient plus elle était chère, plus l’argent coulait plus elle pouvait se mettre en valeur par ses vêtements grandioses… Mais il se murmurait dans les bars que la réelle beauté ne se révélait que par une exquise nudité, et que le contact de sa main brûlante faisait naître chez tout homme quelques idées inconvenantes.
Ils aimaient ça. Et elle aimait les voir rendre avec ardeur ce qu’elle leur avait offert tout en douceur.
S’il y eut étoiles dans la maison close, la plus brillante devint bien vite la dénommée Callya, la Lionne comme on l’appelait parfois.

Pourtant, la vie n’était pas rose au sein du ballet… Mais elle s’y attendait. Aurait-elle été assez naïve pour croire les amants tous aussi doux et intentionnés que son premier amour ? Que nenni : il y avait de tout dans la clientèle.
Elle avait tout de même un avantage sur ses consœurs : même le plus brutal des chacals se faisait docile sous l’assaut d’une caresse et d’un mot apaisant. Toutes n’avaient pas cette chance…
Combien de blessures, d’écorchures, de souillures ? Elles faisaient pitié, ces enfants de la misère, mais leur détresse n’atteignait le sommet qu’avec un retard dans le saignement qui les paniquait à l’extrême. Qu’est-ce qu’elle les enviait, pourtant ! Si elle avait un enfant, fusse-t-il d’un parfait inconnu, elle aurait au moins un autre but que son plaisir égoïste…

A défaut de la chair de sa chair, elle s’occupa de ces gamines qu’elle considérait dés lors comme autant de petites sœurs : puisant dans ses économies bien garnies par ses extras elle paya le médecin aux malades, le pain aux chétives, et parfois même la fuite aux plus désespérée.
Certaines, dans les premiers temps, lui jalousaient son prestige, et cet argent qu’elle pouvait ainsi se permettre de jeter par les fenêtres ; toutes finirent néanmoins par avouer que peu auraient passé l’hiver sans son intervention.
Et l’employeur, pendant ce temps, qui s’engraissait des bénéfices engendrés par les filles…

Au fur et à mesure des années, des contacts avec ces filles désabusées, elle se rendit compte de l’immense influence qu’elle avait sur elles : plus que du respect, plus qu’une admiration, mais plutôt quelque chose qui ressemblait à de l’adoration… Chose indécente, bien sur, si cela avait été pour sa sorcellerie ou son statut de Muse, mais elle ne voyait aucune injure aux Sains Principe de l’Athéisme à se faire apprécier pour ses qualités humaines ! Grâce à elles, d’ailleurs, ses compagnes avaient eu la gentillesse de ne pas faire remarquer son éternelle jeunesse, supposant qu’il s’agissait là d’un attribut de leur Ange tombée du Ciel.
Elle ne les démentit pas, s’amusant de cette version si fantaisiste.

Quoi qu’il en soit c’était ainsi : elle était leur chef spirituelle, à défaut d’avoir une quelconque autorité légale. Quand elles avaient une réclamation à faire au Patron, c’était elle qu’on poussait pour parler, d’autant plus qu’elle avait un don rare pour persuader le propriétaire que des couvertures supplémentaires pour l’hiver ou un peu de cette poudre contraceptive que proposait le guérisseur n’en seraient que plus bénéfiques à la Maison. Personne ne savait comment elle s’y prenait pour convaincre cette tête de mule radine, mais les effets étaient là et personne ne se plaignait de son « petit secret ».
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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 17:05

Mais le temps passait, le temps, cet ennemi qui l’avait toujours pris de court… Et quand elle changerait, devrait partir, que deviendraient les filles ?
Le patron se faisait vieux, et son fils n’était guère mieux que lui : ignorant des conditions de vie de ces gamines bien vite à la retraite dés que venaient les premières rides il trouverait sûrement bien plus économique de trouver des nouvelles que de soigner les anciennes… Non, ce qu’il faudrait c’était quelqu’un qui savait ce que c’était, de vivre ainsi.
Il fallait que les filles soient dirigées par les filles.

Elle organisa de petites réunions, parla à ses camarades des éternels problèmes auxquels elles devraient à jamais se confronter, de ces hommes qui ne savaient rien d’elles sinon l’argent qu’elle leur apportait… Et si elles voulaient leur indépendance, il faudrait la payer !
Une cotisation ? Ils la prirent pour une folle : jamais elles n’auraient assez ! Et quand bien même elles atteindraient la somme demandée l’homme gagnait trop bien sa vie que pour se défaire de son capital…
Et pourtant elle était convaincante, elle l’avait toujours été. Qu’est-ce que ça leur coûterait d’essayer, comparé à ce qu’il y avait à la clé ?
Individuellement elles n’avaient presque rien, mais ensemble leurs économies commencèrent à valoir quelque chose, même si l’on était loin du compte… Quelques mois à laisser à laisser une partie de leur salaire de côté et les marchandes d’amour virent leur capital grossir, jusqu’à atteindre des sommes qu’elles avaient du mal à concevoir !

Un jour Callya alla voir le boss dans sa chambre… Elle y resta longtemps, très longtemps, mais quand elle en ressortit c’était avec le titre de commerce à la main.
Jusque sur son lit de mort, il ne su jamais expliqué ce qui l’avait poussé à céder aux caprices de cette vulgaire catin ; certains murmuraient qu’il en était tombé amoureux, mais l’homme a toujours nié. Non, il n’était pas une exception : quelque chose en cette fille transformait tous ses amants en pantins désarticulés, comme si elle leur retirait toute fierté masculine pour en faire ses choses
Mais il se tu, comme les autres, tous les autres. Ils ne l’avaient jamais fréquentée, un point c’est tout. C’est tout, et ignoraient tout de ses pouvoirs de Sorcière.

Elle resta encore quelques années à la tête du cabaret, pour superviser la transition ; puis petit à petit elle délégua ses responsabilités aux plus matures de ses compagnes, leur apprenant à vivre seules. Enfin indépendantes dans ce monde de brutes épaisses…
Puis, un jour, elle partit, leur confiant l’affaire.

Il n’y eut pas d’adieux en larmes, de grandes embrassades ou autres fadaises de ce type : elle partit comme une voleuse, tout simplement, le titre de propriété déposé sur la table de nuit. Ils ne devraient plus jamais entendre parler d’elle.
A nouveau, Calliope traversa de part en part tout son Continent, mais cette fois il ne s’agissait plus d’une errance meurtrière : juste un retour dans ses pénates. Au lointain Manoir d’Aragon, dans le Royaume de Rhydderch.
Mais quand elle le retrouva, il était en bien mauvais état…

Un siècle d’absence, d’abandon, de pillages : ce qui restait de valeur avait été dérobé par quelques vagabonds sans scrupules (à moins qu’il ne s’agisse des fermiers eux-mêmes ? impossible d’en être sur) et le reste avait pourri sur place sous la douloureuse pression du temps et des intempéries.
Des larmes lui montèrent aux yeux alors qu’elle voyait cette si belle maison tomber en ruine, le dernier témoignage de ses amours avec Lysandre tomber en poussière. Il semblait que même son corps avait été déplacé, dans une fosse commune certainement, dans un cimetière anonyme devant lequel elle ne pourrait jamais se recueillir… Cette époque est morte et ses vestiges s’effritent ; mais contre ça, au moins, elle peut lutter.
Tout était à refaire. Seule, certes, mais elle avait toute une éternité devant elle.

Naïve enfant ! La pourriture était à un niveau fort avancé, et il s’en faudrait de peu pour que tout s’effondre… Une lutte contre le temps qu’elle ne pouvait tenir, un exploit hors de portée d’une simple bricoleuse.
Non, il lui fallait des bras… Et elle savait en trouver !

Quelques visites en ville, chez des aristocrates désireux de pouvoir contempler de leurs propres yeux quelques “danses folkloriques”, furent le salaire d’ouvriers forts enthousiastes, qu’elle flattait avec habilité avant de les rudoyer pour fainéantise… Cela les rendait à la fois productifs et fidèles ; et si la manœuvre était cruelle il la réclamait encore et encore, jusqu’à ce que leurs pauvres cœurs ne puissent plus le supporter !
Les femmes ? Elle savait les convaincre : leurs époux était fidèle parmi les fidèles, travaillait honnêtement et était honnêtement payé, en espèces comme il se doit (ce qui n’était qu’à moitié faux).

Le temps passa, s’écoula, et la maison, si elle avait perdu de sa splendeur d’antan, était hors de danger… Ses démonstrations se firent de plus en plus rares, et le gros des ouvriers fut renvoyé vers d’autres contrats, par manque de travail pour eux.
Il n’en resta bientôt plus que deux ou trois qui venaient périodiquement consolider la façade, ou réparer le toit quand elle les appelait.
Pour le reste, la Baronne d’Aragon se contentait de flâner entre ses murs, et de s’imprégner de ses souvenirs antiques en son éternelle solitude… Il lui semblait même par moment apercevoir l’ombre de Lysandre hanter ces lieux, mais sitôt elle s’approchait que déjà il s’évaporait.
Lysandre son premier et unique amour, mort il y a un siècle de cela. Il y a eu d’autres hommes mais seul lui avait eu droit à toute sa sincérité.

Combien de temps déjà sous cette apparence ? Longtemps, les changements ne pouvaient tarder ; et déjà elle se préparait lentement à cette fatalité, troquant ses tenues provocantes contre des vieilleries qui seyent mieux à son rang.
Mais nulle douleur sinon celle d’autrui : alors qu’elle se reposait en toute tranquillité contre les ruines du champ de tournesol (qui avait été depuis reconverti en culture de céréales, mais elle s’obstinait encore à l’appeler ainsi) un étrange malaise la prit ; mais pas le même que d’ordinaire.
Un froid, un froid mordant qui soudain la prenait, l’enserrait de son manteau glacial alors que le soleil continuait à briller avec ardeur. Elle n’avait jamais réellement senti le froid, auparavant, mais son corps tout entier tremblait de cette douleur imaginaire… Seul sa main gauche lui était épargnée, une main où brillait de mille feu une brûlure vieille d’un siècle et demi.
Puis au bout d’un temps indéterminé cela cessa, laissant la Muse toute hébétée de cette expérience imprévue : Guerluse sa mère n’était plus, et ce froid mordant était son ultime fessée pour l’avoir abandonner. Elle était morte, ainsi, comme Dame Ivonna l’avait toujours souhaité…

Comme Calliope l’avait toujours désiré, peut-être était-ce pour elle le début d’une vie ordinaire, où elle vieillirait comme n’importe quelle autre femme ? Peut-être, seul le temps lui dira ; en attendant elle profite, profite de son rôle de Baronne, profite de la vie, de sa jeunesse éternelle et de son pouvoir sur la gent masculine.
Elle profite du répit qui lui est accordé, tandis que gît la responsable de son tourment.

Personne, jamais personne n’apprendra son secret ; personne, jamais personne ne déterrera ce qu’il y a dans la cave ! Tout comme est morte la Première Flamme, ses sœurs suivront et le monde appartiendra aux mortels.
Tel que l’ont toujours voulu les Sains Principes de l’Athéisme. Amen.

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MessageSujet: Re: Calliope [OK]   Calliope [OK] Icon_minitimeJeu 10 Aoû - 22:03

Je n'ai pas tout lu, mais tout me semble parfait pour le moment. Au pire, je te le dirai si quelque chose cloche. Bravo!

[Bon... je n'ai même pas de muse, moi]

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