Un texte écrit entre quelques cours soporifiques (bon, ok, pendant
quelques cours soporifiques) pour ensuite traîner dans mon sac plusieurs semaines avant que je ne me décide à le taper. Il est censé s'agir du début de l'histoire d'un personnage que je doute de créer un jour, mais le scélérat refusait de me laisser tranquille avant que je n'ai au moins écrit cette scène. ^^ Je m'excuse d'avance pour toute incohérence éventuelle, et remercie Sylphe de sa participation involontaire. 
On va dire que c'est un cadeau de Noël un peu en retard pour tous les gens du forum. Joyeux Noël ! 
Le jeune garçon plissa les yeux et examina la tablette de plus près. Ses cheveux couleur rouille lui tombèrent devant le visage et il les repoussa d’un geste agacé.
Autour de lui, les ruines de l’ancien temple se taisaient, immobiles dans la nuit. Le site avait tant été envahi par la végétation que, lorsqu’il l’avait pour la première fois découvert quelques mois auparavant, il n’avait vu là que quelques pans de murs effondrés parmi un fouillis de verdure. Vignes grimpantes, ronces, herbes folles, et même un ou deux pommiers se pressaient, rivalisant d’ingéniosité pour camoufler leur précieux trésor.
Et pourtant, il n’y avait quasiment rien, ici. Il avait fallu plusieurs semaines de recherche acharnée pour qu’il déterre enfin cette tablette, ce misérable morceau de pierre sculptée à demi poli par le temps et effrité en maints endroits.
Mais enfin, enfin il approchait du but. Tous ces bouseux du village allaient payer pour tout ce qu’ils lui avaient jamais fait subir, le gros Jeremy et ses laquais viendraient geindre et pleurer à ses pieds et il leur rirait au nez. Ils verraient tous, ils comprendraient l’ampleur de leur erreur lorsqu’il lâcherait la fureur des Déesses contre eux ! Les anciennes Déesses, les Déesses guerrières et vengeresses, celles qui avaient su soumettre tous les peuples sous leur coupe et les mener dans une guerre sanglante contre les pions de Stalers, leur propre allié dans cette gigantesque campagne d’éradication des mortels.
Oh oui, ils en avaient peur, des Déesses, et à juste titre ! Ils les avaient vaincues autrefois, bien qu’il ignore comment, mais elles étaient toujours là, cachées quelque part, attendant le moment le plus propice à leur réapparition et à leur vengeance. Elles l’accepteraient, sans aucun doute, le prendraient comme serviteur et lui cèderaient un peu de leur pouvoir pour qu’il puisse préparer le terrain pour elles, pliant les mortels et les soumettant comme au cours de leur précédent règne. Alors il ne serait plus jamais l’orphelin, plus jamais le sale gosse mendiant dans la rue pour survivre, et plus tard volant ce qu’il pouvait quand les marchands de la grande place ne faisaient pas attention, évitant de son mieux les coups de fouet du boucher et les coups de poing de son lourdaud de fils et des autres gosses du village. Et il leur ferait payer, à tous autant qu’ils étaient.
Ses mains tremblaient et il dut s’y reprendre à plusieurs fois pour enflammer les herbes qu’il avait eu tant de mal à collecter. Une goutte de sueur glissa le long de son nez en trompette et tomba en grésillant sur l’étincelle qui venait de s’allumer. Il souffla un bon coup, excédé, recommença.
Ses yeux bleus trop pâles s’illuminèrent d’une impatience fiévreuse lorsque la flamme prit enfin. A tâtons, il s’empara de la couverture qu’il avait amenée avec lui, la jeta par-dessus sa silhouette dégingandée d’adolescent. La fumée odorante envahit peu à peu l’espace confiné de la tente improvisée et il respira à fond, frisson après frisson d’excitation traversant son corps.
Peu à peu, sa respiration ralentit, ses membres se détendirent. Ses bras retombèrent sans force à ses côtés, son menton vint se loger contre sa poitrine. Ses pupilles dilatées fixaient encore le petit feu à travers des paupières mi-closes, et il se sentit glisser dans un état de semi-conscience léthargique.
Luttant contre le sommeil, il dut fournir un effort de volonté pour que les images de la tablette lui reviennent en mémoire. Les mots émergèrent de ses lèvres entrouvertes sans qu’il cherche à les comprendre, les laissant plutôt couler en une psalmodie basse et lointaine qui attirerait à lui ce qu’il cherchait, il le savait.
Dans son hébètement, il lui sembla entendre mille voix reprendre ses paroles, mille murmures se joindre à lui pour appeler celle qui lui donnerait le pouvoir qu’il désirait tant. Il s’enhardit et s’enflamma, la priant de son esprit autant que de sa voix, Sylphe l’Aérienne, déclencheuse de tempêtes et manipulatrice de cyclones. Il lui ouvrit son âme et la lui offrit, jeta ses pensées et ses souvenirs aux vents, mettant à nu son désir de vengeance et sa haine des mortels.
Et en retour elle lui ouvrit les cieux et soudain il bascula dans un royaume de toute-puissance, touchant du doigt les rêves des Dieux et s’y brûlant cruellement, lui, simple mortel qui avait prétendu à leur attention. Il vit le chaos et il vit l’ordre, perçut le passé, le présent et le futur, vécut le commencement du monde et la fin de temps, et plus que tout il ressentit la Balance Eternelle, la lumière douloureuse d’un amour et d’une compassion sans fin, les ténèbres terrifiantes d’une haine et d’une cruauté sans limites.
Et tandis que son âme Voyait le Tout, ses yeux mortels impossiblement dilatés distinguaient une frêle silhouette au cœur des fumées qui se déroulaient paresseusement devant son visage. L’être de vapeur le fixait, et dans son regard brillait une sagesse et une tristesse infinie. Elle voyait toute la noirceur tapie en lui, la haine et le mal et la cupidité, et elle voyait la peur, la solitude et la faim. Et sur son visage de petite fille, nul jugement, nulle condamnation. Seule cette pitié douloureuse, et le faible froncement de sourcils qui troublait son front lisse. Elle ne parla pas mais il entendit tout de même, suspendu tel qu’il l’était entre spirituel et matériel.
‘Non mon enfant, je ne puis t’aider, car ton chemin n’est pas le mien.’
Et ses mots parlaient de pardon et d’amour, de lumière et de rires. Ils évoquaient une vie de joie et de justice, loin de la noirceur, du mal et du vice.
Alors il pensa au boucher et à son gros fouet de cuir. Il pensa aux cicatrices sur son dos, au gros Jeremy et à ses laquais, à leurs rires gras et à leurs coups de poing. Il pensa aux regards mauvais des villageois et à leurs injures, il pensa à leurs crachats lorsqu’ils parlaient de sa mère, morte en donnant naissance au rejeton d’un démon.
Et comme venu de très loin, il entendit un terrible hurlement. Il lui fallut plusieurs secondes interminables pour comprendre que c’était lui qui hurlait.
Il arracha la couverture de sa tête et recula en rampant aussi vite qu’il le pouvait, loin des yeux tristes, si tristes de la Déesse-Enfant, loin de la Vérité terriblement nue qu’il ne pouvait supporter. La couverture retomba silencieusement sur le petit feu et l’étouffa. L’air de la nuit qu’il aspirait à grandes goulées sortit enfin son esprit des limbes, le soustrayant au monde qu’il n’aurait pas dû voir. La Déesse n’était plus là, la Vérité était partie, mais toujours il reculait, en proie à une terreur inexorable.
C’est en trébuchant qu’il se remit debout, gauche et maladroit dans sa précipitation, et il courut, courut toujours plus loin, loin des ruines et des visions maudites qu’il y avait éveillées.
Et quand enfin il s’arrêta, hors d’haleine, près d’un petit ruisseau, l’eau lui renvoya son image : celle d’un adolescent trop maigre, à la peau trop pâle et aux iris trop clairs, qui avait cherché les ténèbres les plus profondes qui soient et s’était brûlé les yeux à la lumière du soleil.
Celle d’un garçon aux cheveux blancs comme neige.
Ven 5 Jan - 10:00
