Perdu dans les neiges.

[HJ : Me voilààààà ! ^^]


Uranie plissa les yeux, perplexe. Il y avait une drôle de petite tâche bleue à l'horizon, sous ce qui ressemblait fort à un arbre rabougri. Les reflets du soleil sur la neige étaient trompeurs, mais de là à imaginer de toutes pièces une teinte aussi vive, quand il n'y avait rien d'autre que du blanc à perte de vue alentour... Qu'est-ce que c'était ?

Aussi près de la frontière nord de l'Aerandir, le climat était peu avenant et la lande sans cesse balayée par les vents venus de l'Aeglos, qui apportaient avec eux la neige et gelaient toute forme de vie jusqu'aux os. Se pouvait-il que la tâche de couleur soit un être vivant ? Quelle folie de s'aventurer aussi au nord, seul et durant l'une des périodes les plus froides de l'année. Folie qu'elle partageait manifestement, à en juger par sa présence.

Uranie commençait à regretter son imprudence, et songeait de plus en plus à rebrousser chemin. Elle ignorait tout à fait ce qui était en mesure de la tuer, mais la morsure cruelle du froid qui s'insinuait contre sa peau malgré ses vêtements minait peu à peu la décision hâtive qui l'avait poussée à défier les éléments. Il était vrai qu'elle avait très peu visité l'Aeglos ces deux derniers siècles, mais quel besoin avait-elle de se lancer dans pareil voyage sous de telles conditions ? Cela pouvait attendre, d'autant plus qu'elle ignorait même pourquoi elle parcourait encore le Continent de l'Eau.

Mitroble n'était-elle pas morte ? Sa Déesse n'était plus, elle n'avait donc plus de raison de la chercher. Et quand à la nouvelle Déesse de l'Eau... Comme à chaque fois qu'elle évoquait cette pensée, Uranie ressentit un mélange confus d'amertume et d'incertitude. Il y aurait une autre Déesse, elle en était sûre, mais ses sentiments à son égard restaient mitigés. Une nouvelle fois, comme bien des fois depuis la mort de sa mère, la Muse repoussa la question à plus tard.

Machinalement, ses jambes l'avaient rapprochée de la tache de couleur non identifiée, et elle put bientôt confirmer ce dont elle se doutait déjà : il s'agissait bien d'un être vivant, d'apparence humanoïde en dépit des ailes noir charbon qui émergeaient de son dos. Par chance, elle portait ses gants, bien que cette fois plus pour se protéger du froid que de manifestations intempestives de son pouvoir. Le petit être - parce qu'il était petit, environ de la taille d'un enfant humain - paraissait bien mal en point, adossé à un arbre désséché comme il l'était. À en juger par le peu de vêtements qu'il portait, c'était compréhensible. La teinte bleue de sa peau était trop vive pour être imputée au froid, mais tout de même...

"Ohé !" le héla-t-elle dès qu'elle parvint à portée de voix. "Ca ne va pas ?"

Uranie pencha la tête avec sollicitude et s'approcha encore. L'être paraissait en effet bien affaibli, et fixait d'un air morose la sacoche déchirée qui pendait misérablement à son flanc. La Muse ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil curieux à ses étranges ailes de chauve-souris et à sa peau d'un bleu électrique. Ce n'était pas tous les jours qu'on rencontrait semblable créature, et en deux cent ans de pérégrinations, elle n'avait jamais croisé son pareil.

"Puis-je faire quelque chose pour vous ?" s'enquit-elle. "Quoiqu'il en soit, vous ne devriez pas rester autant au nord. Moi-même, je m'apprêtais à renoncer à mon voyage pour retourner vers le sud. Il y a un village à un peu plus d'une journée de marche, c'est de là que je suis partie."

Et c'est là qu'elle allait retourner, oui, c'était décidé. Pour faire quoi, elle ne le savait pas encore, mais elle aurait tout le voyage du retour pour y réfléchir - d'ailleurs, il lui semblait qu'elle ne faisait que ça, ces dernières décennies : réfléchir. Tout de même, comment un être doté d'ailes pouvait-il réussir à se perdre en terrain découvert ? Il n'avait qu'à voleter d'une direction à l'autre et essayer de trouver des points de repère, non ?

Distraite, Uranie continuait à braquer ses yeux sur les ailes de son interlocuteur avec une expression curieuse. Ses années passées auprès de Kargas, son vieux mentor "savant", émergèrent quelque peu, et elle dut se rappeler que ce ne serait pas vraiment très poli d'essayer de toucher l'objet de sa curiosité. Un peu de retenue, que diable...

Uranie émergea de ses considérations techniques sur le pourquoi du comment, et son visage fin vint s'éclairer d'un sourire doux et amical. C'était étonnant d'arborer un apparence aussi jeune quand on était assez vieille pour se souvenir des premiers temps de l'Inquisition, mais si elle avait eu un peu de mal à s'habituer dans un premier temps, elle apprenait à présent rapidement à tirer parti de l'image d'inexpérience que ce corps dégageait.

"Bien sûr que vous pouvez m'accompagner, les routes sont à tout le monde ! Bien que vous arriveriez probablement plus vite au village en volant."

Uranie se détourna et fit quelques pas dans la direction dont elle venait, se repérant rapidement à la position du soleil dans le ciel. Elle jeta ensuite un coup d'oeil à son compagnon et à son apparence frêle, regrettant de ne pas avoir de vêtements chauds à lui prêter. La Muse ne voyageait qu'avec le strict minimum, et ne possédait pour tout habit que ceux qu'elle portait sur le dos. Elle avait bien une couverture, tassée quelque part au fond de sa sacoche, mais voyait mal de quelle utilité elle pourrait être pour le petit être bleu, étant donné qu'elle risquait plus de gêner ses ailes qu'autre chose.

"C'est par ici" indiqua-t-elle un peu inutilement, s'attendant à moitié à le voir suivre son conseil et s'envoler sans l'attendre.

La Muse sourit à nouveau, compatissante. Il avait en effet l'air bien jeune - bien entendu, de son point de vue, tous les êtres vivants dotés d'une espérance de vie comparable à celle des humains étaient invariablement jeunes, mais là n'était pas la question - et apprendre qu'il éprouvait des difficultés à voler ne la surprenait finalement pas tant que ça. Si l'on se référait au mode de vie des oiseaux, il était sans doute à peine plus vieux que le jeune épervier qui s'élance et chasse pour la première fois, après tout.

"Je me nomme Uranie" répondit-elle, son sourire s'agrandissant un peu plus.

Elle appréciait la manière brève et concise dont le jeune homme s'était présenté. 'Sylsan'. Pas de nom de famille, pas de titre quelconque ou autre qualificatif inutile. Elle avait trop souvent entendu les gens qu'elle rencontrait se présenter en donnant leur nom complet, puis en ajoutant "Je suis le boulanger du village", ou encore "Mon père tient l'auberge près d'ici". Bien sûr, cela lui donnait des renseignements intéressants sur ses interlocuteurs, mais il lui était toujours difficile de répondre à ce genre de présentations sans éveiller les soupçons. Elle ne possédait pas de nom de famille, n'en voyait d'ailleurs pas l'utilité, et les raisons de sa présence en tel ou tel lieu ne regardaient qu'elle.

Alors, 'je me nomme Uranie', c'était une manière agréable de se présenter, sans chichis ni prises de tête.

Elle se remit en marche, un peu dépitée tout de même de devoir reprendre ce long chemin en sens inverse. Elle avait tout le temps du monde, certes, mais... Mais peut-être qu'un jour, le monde en aurait assez de l'attendre. Et puis après tout, qu'importait ? Elle ne savait même pas où diriger ses pas, en quoi faire demi-tour pouvait-il donc être une perte de temps ? Au moins, pour l'instant, elle avait de la compagnie. Elle jeta un coup d'oeil à Sylsan, s'assurant qu'il pourrait la suivre sans difficulté.

"En marchant assez vite, on pourra peut-être arriver au village un peu après que la nuit ne soit tombée... Ca ira ?"

Le nom de cette jeune femme plaisait a sylsan, il trouvait que sa sonnait bien, elle portait bien son prénom. Il pris confiance en lui et se mit a hauteur d'uranie quand elle lui dit qu'ils pouvaient rejoindre le village au milieu de la nuit ou peu etre meme apres le crépuscule, il ne voulait pas paraitre trop faible, meme si c'était déja fait; mais il voulait montrer qu'il n'était pas aussi faible qu'il n'y parait, et que malgré son physique, il reste quelqu'un de determiné, qui a du mental, et surement bien assez pour tenir jusqu'a la nuit tombée. Il avait confiance en lui meme et savait qu'il pouvait le faire; il fallait aussi prouver a cette femme que malgré sa taille et son physique, il valait bien plus que ce qu'il paraissait. Surtout que, si on y réfléchit bien, il est surtout affaibli par la faim et la fatigue plutot que par le froid ou l'égarement et le stress.

"je suis pret, pret a atteindre ce village pour le crépuscule, je ne reculerait pas et ne faiblirai pas!!"

Il fit signe a uranie qu'il était pret a prendre la route, qu'il était déterminé a partir de ce desert blanc, que rien ne l'arreterai en chemin; pas meme la faim ou la fatigue qui le rongent. Il fit quelques étirements surplace pour se chauffer un peu les muscles, un peu engourdits par le froid, a etre resté plusieurs heures assis sans bouger. Mais la douleur a ses jambes était faible comparé au reste

"je suis déterminé, c'est le moment ou jamais, je sais que ce n'est pas de la neige qui m'empechera de faire ce dont j'ai envie!"

Uranie ne put retenir un éclat de rire surpris, amusée par la détermination inébranlable qu'affichait le petit Sylsan. A en juger par son expression butée, on aurait dit qu'il considérait la neige, le froid et le long chemin à parcourir comme une offense personnelle, qu'il entendait bien régler par le feu et la lame si nécessaire. Si elle avait été mesquine, elle aurait pu lui rétorquer que se battre contre des flocons n'avait jamais rien apporté de constructif, mais sa jeunesse et son inexpérience le rendait attachant à ses yeux, aussi se contenta-t-elle d'acquiescer avec un sourire bon enfant.

"Allons-y, dans ce cas."

[HJ : Tu m'excuseras, je vais faire avancer tout ça histoire qu'on ne reste pas des heures à décrire le trajet... Et zoooom ! On avance ! XD]

La marche était longue, et surtout ennuyeuse. Dans un paysage aussi désolé que celui qu'ils traversaient, les abris étaient rares et les sujets de contemplation plus encore. L'esprit ne pouvait guère que se concentrer sur l'interminable ruban que le chemin formait à l'horizon ou se perdre dans les méandres de ses propres pensées. Bien qu'il lui arrive parfois de rejoindre des caravanes d'itinérants, Uranie était habituée à la solitude de ces longs voyages, mais cela ne la rendait pas beaucoup plus attrayante. Elle aurait aimé pouvoir discuter avec Sylsan, mais préférait faire de son mieux pour que les conversations restent courtes afin que son compagnon ne s'essouffle pas inutilement. Elle avait instauré un rythme de marche assez rapide dans l'espoir de rejoindre le village avant la nuit, et elle-même dût s'avouer qu'elle fatiguait à mesure que les heures passaient.

Enfin, ils quittèrent les plaines et pénétrèrent dans une région un peu plus boisée. Uranie reconnut les lieux et constata avec satisfaction qu'ils approchaient de leur destination. Il était d'ailleurs temps, car la nuit venait tout juste de tomber, étendant son linceuil parsemé d'étoiles sur les terres glacées de l'Aerandir. La température avait encore chuté de quelques degrés, et Uranie observait avec fascination les nuages de vapeur qui se formaient devant son visage à chaque fois qu'elle expirait. La nuit était claire et un croissant de lune rebondi éclairait leurs pas. Au détour du chemin, ses rayons éthérés dévoilèrent enfin le village qu'ils attendaient.

Ne comptant guère plus qu'une dizaine de chaumières pelotonnées les unes contre les autres comme pour mieux se protéger du froid, le bourg était très modeste, mais la vue des minces filets de fumée s'échappant des cheminées suffit à instiller en Uranie ce sentiment de satisfaction qui envahissait toujours les voyageurs lorsqu'ils parvenaient à leur destination.

"Nous y sommes presque" commenta-t-elle un peu inutilement.

Elle se tourna vers Sylsan, et de l'inquiétude filtra dans son regard alors qu'elle constatait une fois de plus combien les maigres habits de son compagnon devaient peu le protéger.

"Est-ce que ça va toujours ?"

Uranie esquissa une grimace, à peine rassurée par la désinvolture apparente de son compagnon. Si ses jambes s'étaient engourdies, cela pouvait tout autant être dû à la fatigue qu'au froid, voire aux deux. Or, si la fatigue était rarement mortelle, elle savait qu'un froid extrême pouvait parfois causer des dégâts irréparables dans certains membres, notamment les doigts ou les orteils qu'il fallait alors amputer. Elle ne pensait pas vraiment que ce danger puisse guetter Sylsan puisqu'il avait malgré tout continué de marcher, mais elle n'avait cependant aucune envie de prendre pareil risque. C'est donc avec un pâle sourire qu'elle répondit aux remerciements du jeune homme, d'hors et déjà préoccupée par la nécessité de le conduire au chaud.

"Mais je vous en prie, je suis heureuse de pouvoir vous aider. Au moins, mon aller-retour n'aura pas été aussi vain qu'il aurait dû l'être."

Uranie s'engagea entre les quelques maisons du village, tournant la tête de-ci de-là pour se repérer à la lueur de la lune. Une bourrasque de vent vint balayer ses cheveux en travers de son visage et elle frissonna, commençant elle aussi à sentir le poids du froid et de la fatigue. Elle se frictionna un instant les bras, puis trouva enfin la masure qu'elle cherchait.

"Par ici, vous allez bientôt pouvoir vous réchauffer !" dit-elle en indiquant la maisonnette, sa bonne humeur retrouvée.

Elle frappa à la porte, espérant que la propriétaire ne dormait pas trop profondément. Heureusement, elle n'eut besoin d'attendre que quelques secondes avant que le battant ne s'entrouvre sur un oeil méfiant. Uranie offrit un sourire d'excuse à la vieille femme qui, la reconnaissant, consentit à ouvrir un peu plus la porte. Elle les examina d'un oeil critique, surtout Sylsan, sa peau bleue et ses vêtements légers, et les fit entrer d'un geste impatient du bras et de quelques marmonnements bourrus. Uranie s'exécuta aussitôt, poussant son jeune compagnon devant elle.

Quelques braises rougeoyaient encore dans l'âtre et il faisait une chaleur presque étouffante dans la pièce, par contraste avec le froid mordant de l'extérieur. Uranie sentit sa peau se mettre à picoter comme elle revenait à la vie, et elle frotta machinalement ses mains l'une contre l'autre.

"Je suis désolée Ma, j'espère que nous ne t'avons pas réveillée."

La vieille femme souffla quelques paroles quasiment inaudibles dans sa barbe inexistante, un froncement de sourcils peu commode sur le visage. Cette vue arracha un nouveau sourire à la Muse, tant Ma lui rappelait parfois son cher Kargas, l'homme qui l'avait recueillie et élevée... Selon sa conception de l'éducation, bien entendu.

"Ma a accepté de m'héberger pour quelques piécettes lorsque je suis passée dans le village il y a un ou deux jours" confia-t-elle à Sylsan en se penchant vers lui. "Je suis sûre qu'elle ne verra pas d'inconvénient à ce que nous restions ici cette nuit. Pourquoi n'allez-vous pas vous réchauffer près de l'âtre pendant que je lui parle ?"

Et qu'elle négociait leur séjour, aussi, parce qu'elle n'en avait peut-être par l'air, mais la vieille était dure en affaires.


[EDIT du 01/11/06 : Bon, je suis désolée Sylsan mais ça ne me dit rien de rester immobilisée plus longtemps. Encore navrée ! ^^"]

Quelques piécettes plus tard, Ma l'avait aidée à installer deux couches improvisées près de l'âtre, et Uranie avait eu tôt fait de pousser son jeune compagnon à s'enfouir sous les couvertures. Le silence de la nuit était retombé sur la maisonnette alors que la vieille femme retournait se coucher, et la Muse avait bientôt sombré dans le sommeil.

Lorsque vint le matin, Uranie se réveilla aux premiers mouvements de leur logeuse qui s'était approchée pour ranimer quelques braises. Sylsan dormait toujours, apparemment à son aise dans l'agréable chaleur ambiante, et la Muse sourit, amusée et vaguement attendrie. Elle ne pouvait cependant guère se permettre de s'attarder. Bien qu'elle ignorait toujours où aller, elle avait l'impression très nette qu'il fallait qu'elle reparte.

Sans un bruit, elle tira de sa sacoche une feuille de papier et entreprit de dessiner une carte grossière. Elle ignorait si Sylsan savait lire, aussi prit-elle soin de la rendre la plus imagée possible. Son oeuvre terminée, elle la posa près de la couche de son compagnon, sachant qu'il la trouverait à son réveil. Avec un peu de chance, cela l'aiderait à ne plus se perdre à l'avenir...

Puis elle rangea les couvertures que Ma lui avait prêtées, récupéra sa sacoche, et sortit avec un dernier sourire à la vieille femme. La neige crissa sous ses pas tandis qu'elle se dirigeait vers la sortie du village.

Puisque le nord était hors de question, il lui faudrait donc retourner vers le sud...


[ => Le village de Rurok]