Pochi & Mimi

Sécheresse et chaleur. Les gouttelettes d’eau qui s’abattirent sur le sol s’évaporèrent en l’espace d’un soupir. On aurait dit le feu d'un forgeron. Mouillé jusqu’aux narines quelques instants plus tôt, le petit Pochi était déjà séché. Le soleil illuminait la région avec tant d’intensité que le monstre rouge avait peine à laisser les yeux ouverts. L’air était rare ; un homme aurait probablement suffoqué.
Le familier prit une direction au hasard, cheminant vaille que vaille sur la terre râpeuse. Il n’aurait pas craché sur des fers, comme ceux qu’on trouve sur les chevaux, ou sur de jolis brodequins. Mais rien de ça n’était jouxte la délicate créature.
Au loin, l’astre du jour se mit à perdre de son éclat. Paisiblement, il s’esquiva derrière les hauts plateaux, loin devant. L’étouffante chaleur, en revanche, avait conservé sa place.
Bien après que le Dieu Originel ait fermé les rideaux sur le Continent de l’Eau, Pochi s’écroula de tout son long. La fatigue semblait l’avoir gagné, lui qui ne fermait jamais les paupières, lui qui avait vécu dans les enfers sans avoir une once de repos. C’était impossible : Épuisement ne faisait pas partie de son vocabulaire. La Magie rôdait.

« Pitoyable ! Se laisser abattre de la sorte ! Allez, animal boiteux, avance ! » S’exclama une voix, rudement.

« Cher, cet "animal boiteux", comme vous le désignez, c’est nous. » Répliqua moqueusement une autre voix, au timbre plus aiguë. « Encombrer l’air de vos plaintes ne nous déliera en rien de ce sortilège. Allons donc. Cherchons plutôt la source de notre mal. »

« Empoté ! Vous me prenez pour un imbécile ? J’ai rivalisé avec les divinités du temps de l’Ère Élémentaire ; reconnaître leur magie est très aisé pour moi. » Rétorqua Malvyn.

« Leur magie ? Vous voulez dire que… »

« Pauvre Odyssée ! Une Déesse vous nargue et vous ne vous en rendez même pas compte ! »

Pochi ouvrit ses paupières et émit une plainte, semblable en tous points à celle d’un chien. Face à lui, une fillette à la peau de porcelaine détaillait son anatomie.

Elle l’avait senti comme on sentait un odeur : Sa présence était venue à elle, comme portée par le vent. D’abord choquée, elle avait employé presque une heure à se recueillir sur un minuscule rocher, nostalgique. Le passé ressurgissait soudainement : Sa naissance, provoquée par Dieu, ses sœurs, Darva, détrônée par Stalers, le peuple qui les avait reniées et…Malvyn, sans compter les milliers d’être qu’elle avait elle-même damnée, que l’ancien Roi d’Anfauglith semblait porter avec lui. C’était donc cela le présage ? Le Retour de Darva, celui de Malvyn, celui de toutes ces âmes dangereuses ?
Ses sœurs n’étaient pas avec elle. Cependant, Mitroble se devait de tenter d’éliminer le Mal dans son berceau. C’était son devoir. Elle devait le faire pour l’Eau.... pour ses sœurs. Elle s’était donc transportée près de Pochi, l’avait observé, puis usé de sa magie pour l’affaiblir.

« Comme c’est étrange… » Dit-elle d’une voix douce comme une vague. Elle posa sa main sur le museau du monstre rouge, et usa de toutes ses forces pour tenter de le noyer.

*Si je dois mourir pour l’empêcher de faire le mal, eh bien soit, je mourrai.*

La Déesse de l’Eau se mit à chanter une berceuse de sa voix magnifique, plus pour se donner courage à elle-même que par soucis de rendre plus efficace son offensive.

« Cher Malvyn,
Prince des Enfers,
Que Dieu ait pitié de toi
Et de tes pairs.

L’Eau t’emportera,
Comme t’emporterait une rivière,
Comme l’Océan t’enlacerait, tel une mère.

Que Dieu ait pitié de toi,
Malgré tous tes pêchés…. »

Un sourire s’était d’abord esquissé sur le visage de Pochi. Le familier avait cru à une marque d’affection gratuite. Il s’en avait cependant avéré autrement. De l’eau tombait partout sur lui. Dans ses narines, plus exactement.
Le monstre rouge était certain d’une chose : Mitroble voulait lui faire prendre une douche. Une manière très peu subtile de lui passer un message bien simple, selon lui : il puait. Puait ? Était-ce si insupportable, écoeurant ? Mais Pochi aimait la puanteur, lui ! Le savoureux parfum de la pestilence, les délices apportés à ses narines par l’infection… O, que c’était succulent, tout ça.
Cependant, la petite déesse ne semblait pas apprécier. « Quelle est capricieuse », se dit le jeune Pochi, qui n’était pas le moins du monde offusqué. Lui-même n’appréciait pas l’odeur de la poupée. Ah. Une poupée ? Le Dernier soupir aimait mordre dans les jouets. La chair de Mitroble serait-elle aussi tendre que celle d’une peluche ?
En grand curieux, Pochi débuta une investigation. Elle fut courte. Sa bouche s’ouvrit grand grand grand, presque autant qu’une commode antique, et avala la déesse tout d’un coup. Glup !
Mais l’eau n’arrêta pas de couler.
Les Océans des alentours ne firent pas moins de bruit.
Les poissons étaient toujours aussi énervants.

L’eau n’était pas disparu ?
Pourtant, la Déesse était morte- et elle avait été délicieuse.
C’était la première.
Darva avait relégué ses pouvoirs à Stalers avant d’emprunter le train des enfers.
Lidralyou avait confié l’Air à une petite fée, Sylphe, avant de décliner.
Guerluse avait passé l’Éternel flambeau à sa plus grande fidèle, Aziyls.
Mais Mitroble était morte.
Et l’Eau était tout aussi présent.
Pochi avait tué la Déesse, mais pas l’élément. L’élément persistait. Sûrement parti vers une Nouvelle Demeure.
…
…
C’était la première fois. La première fois qu’une Déesse mourrait sans qu’elle ait assuré la continuité de son élément. Alors qui ? Comment ? Comment une nouvelle Déesse allait-elle apparaître ? Pochi aurait cru que soit Éliminé l’Eau en même temps que la déité. Mais ce n’était pas le cas. Comment faisait-on pour détruire l’élément ?

« Moi, je sais » ricana la voix de l’ancien chef d’Anfauglith. « Un Dieu doit être tué par un Dieu. Ith’Djad s’est donné la mort. Il l’a réussi, car il était Divin. Divin, il faut être Divin. Voilà la solution! »

Alors il faudrait laisser les Déesses à Darva ?
Bref… les éléments étaient faibles, hors de l’Originel.
Seul la Terre était à l’Origine, même si affaibli.
Lorsque la Terre tomberait, le Monde serait emporté avec elle, choisit Pochi, avant se s'en aller vers de nouvelles aventures.