Clairière

Les chevaux sauvages s'éloignaient à l'approche du géant. S'il avait seulement pu, il aurait surement massacré ces animaux à puissants coups de poings, ne laissait à son habitude que des carcasses infectes traîner au sol. Marchant lentement, Théodoric était consicent du contact des hautes herbes sur sa peau sans pour autant la ressentir... Et la rage voulu monter, rage d'avoir perdu toute sensibilité, rage d'être devenu ce qu'il était...

Mais non, nulle rage, nulle colère ne pouvait s'afficher. Trop de lassitude, trop d'ennuis, trop de néant... Et cela renforça ce sentiment de malheur et d'emprisonnement. Son corps même était une prison qui ne pouvait s'extérioriser. Théo s'y essaya, ouvrit une paume en avançant pour laisser les herbes la caresser... Et sans même s'en rendre compte, il arracha les plantes au passage, incapable de les toucher sans les sentir.

Rage sourde et invisible, intangible, Théo se perdait dans le néant, toujours, toujours et encore... Sa mémoire lui fesait défaut, il ne comprennait plus rien. Le colosse se mit à genoux au milieu de la clairière et regarda fixement le soleil levant. Il le regardait sans pour autant réellement le voir, sa lueur était terne comme toutes les autres. Et la voix infernale ne se taisait jamais. Il le savait, Théo n'était pas stupide malgré tout... Seulement atrocement traumatisé et détruit. Il le savait... la voix allait lui imposer de tuer, le faire se lever et retourner frapper, déchirer, brûler, tuer...

C'était la seule chose, aussi artificielle soit-elle, qui contribuait encore à lui donner un semblant de bonheur. Théo râla, soupira dans le vide. Sa barbe et ses cheveux commençaient doucement à repousser... À sa main l'épée volée à Arkanne le brave, et autour de sa taille une robe faites avec des capes de femmes... Théo resta là, immobile, perdu dans son monde grotesque et terrible, en attente d'une pulsion, en attente de l'instinc, en attente d'un message... Et ainsi, il attendit...

Némésis n'avait pas trop de misère à suivre les traces de Théodoric. En fait, ses yeux s'étaient habitués à la noirceur et elle réussissait à voir les énormes pas du géant. Marchant à ses trousses, Némésis espérait au moins qu'il ne marchait pas trop vite et qu'elle réussirait à le rattraper. Le jour se levait peu à peu quand elle arriva aux abords d'une grande clairière. De longues herbes y poussaient et elle voyait facilement le chemin que l'homme avait suivi au milieu de toute cette végétation. Une voie serpentait entre les herbes hautes, cette voie était bien tracée, car on voyait que les plantes avaient été piétinées.

De plus, la jeune femme apercevait Théodoric au loin. Décidant de ne pas se montrer tout de suite et de ne pas faire exprès pour qu'il la repère, Némésis s'accroupie pour être entièrement cachée par les herbes. Elle avançait plus lentement comme ça, mais, au moins, on ne le voyait pas...

Comme celui qu'elle suivait s'était arrêté, elle n'eut pas trop de misère à le rattraper. Bientôt, elle ne fut qu'à une dizaine de mètres derrière lui à attendre de voir ce qu'il faisait. Elle ne voulait pas arriver derrière lui brusquement, qu'il s'enflamme et l'attaque sauvagement en suivant les mauvais conseils du démon. Donc, elle était là à attendre quelqu'un qui semblait lui aussi attendre....

Le vent était doux, posait une caresse contre le torse massif et nu de l'homme. Le paysage pour sa part était magnifique alors que l'astre du jour se repointait le nez à l'horizon, et jetait ses inombrables bras lumineux au dessus des montagnes et partout sur la plaine qui se dessinait au loin... L'herbe haute et tendre bougeait au gré de la brise, telle une immense crinière appartenant à la terre elle même. Et dans le silence que seul ne brisait le murmure des cieux, quiconque eut été comblé et émerveillé de pouvoir se retrouver ici seul avec soi même, au milieu de ce paysage de rêve...


Les yeux rougis de sang ne voyaient rien. Un voile gris donnant sur une large étendue de terre qui ne fesait que rappeler un passé conscient et heureux. La voix du démon coulait dans ses oreilles comme un terrible venin, déformant la plus pure et naturelle des beauté en un acte volontairement sadique du destin pour le forcer à regarder cette magnificiance à laquelle il ne pouvait goûter... Les caresses du vent sur son buste, il ne les sentait même pas. Les rayons du soleil, ils n'étaient qu'autant de reflet pâle et sans substance qui brouillaient sa vision. L'horizon était néant et l'herbe était intangible. Mais Théodoric regardait fixement la scène, se masochisant horriblement à l'espoir de pouvoir ressentir ne serait-ce qu'un semblant de son ancienne vie en cet endroit qu'il savait doué de la plus digne des magies.

Ho comme il aurait voulu verser une larme en cet instant. Mais il ne le pouvait pas, tout était terne et médiocre, rien n'avait de goût, tout n'était que poussière et cendre. Sa gorge le brûlait depuis si longtemps... une gorge qui répugne à toute nourriture, qui n'est qu'un ulcère douloureux où se cache le mal vicieux. Un picottement partout dans son être, au fond de ses viscères. Sa vision se tâche de rouge, et ses yeux se teintent de noirs. Et doucement il commence à murmurer, sentant dans sa bouche des marres de goudron se former. Tout n'est qu'illusion. Réalité abjecte, perception odieuse. Sensation horrible de poussière et de pétrole coulant dans son corps, sans même qu'il ne le brûle ou ne le blesse. Sensation obscure et impossible à supporter, les murmures deviennent paroles démentes et éparses, divaguant lentement hors de la réalité.

Théodoric souffre, souffre sans rien sentir. Souffre de ne sentir qu'un mal le posséder sans qu'il ne puisse rien répliquer. Sans qu'il ne puisse rien percevoir. Tout ce qu'il ressent est diffu, imprécis. Et balançant son corps d'avant en arrière comme un gamin insécure, le géant prononça en boucle sa litannie.
- Je ne suis pas pieux je suis infidel, mais par tous les dieux donnez moi des ailes, par le feu et les cieux, déversez sur moi votre fiel... Fermez à jamais ces yeux, Faites taire les supplices de l'éternel...
Déesses je vous implore, entendez mon appel...

Les plaintes devinrent demandes, et les demandes devinrent bientôt brutales exigences, alors que Théodoric semblait devenir bestial dans son platonisme, intense dans son manque d'émotion, ses des marques noires et groscières se mettant à recouvrir son visage et ses dents devenant crocs. Postionnant alors que son visage se déformait comme celui d'un requin près à l'assaut, les mains du colosse prirent soudain feu et embrasèrent les herbes à quelques mètres aux allentours avant de s'évaporer... comme par magie. Et du même coup, Théodoric reprit son apparence initiale et baissa la tête en cessant de parler. Une goutte d'encre noire tomba du visage face au sol, telle une larme. La larme de Théodoric, sombre et obscure, douloureuse et pesante. Un millier de lames et des tonnes d'acier et de sang versé... C'était ce qui se trouvait au fond de cette ultime corruption d'une tentative de sentiment humain.

Théodoric resta muet un court instant, le regard perdu dans le vide, avant de lancer pour lui même, assez fort pour que derrière lui une femme terrifiée (probablement, puisque les herbes viennent de se consummer près d'elle...) puisse comprendre les sombres paroles ;
- Déesses je vous implore, ayez pitié... Soulagez moi de cette vie... Cessez de vous cacher... J'ai besoin qu'on me guide jusqu'à votre miséricordieux châtiment...

Et la main de Théo se leva dans le vide devant lui, comme pour attraper celle d'un ange...

Némésis était à bonne distance de Théodoric pour pouvoir l’observer sans crainte d’être repérée. Alors qu’elle le regardait là, immobile, le regard perdu dans le lointain, elle éprouva une nouvelle vague de compassion pour cet être malheureux. Elle souhaitait par-dessus tout pouvoir l’aider, lui ouvrir cette porte par laquelle il pourrait s’échapper et reprendre sa liberté. Elle n’avait jamais connu de personnes possédées du démon, mais elle arrivait facilement à s’imaginer leur calvaire…

*Non… Je ne peux pas m’imaginer à quel point il souffre… Je peux peut-être deviner une infime parcelle de sa douleur, mais il reste une grande partie que je n’arriverai jamais à comprendre… Je voudrais tellement, tellement pouvoir lever le voile gris qui recouvre ses yeux depuis sûrement bien des années. Je ne sais seulement pas comment…* Pensa tristement la jeune femme.

Dans l’esprit du géant, les pensées semblaient se bousculer. Il devait sûrement combattre à chaque seconde de sa pénible existence la voix maléfique qui habitait au fond de son âme. Alors qu’il commençait à se balancer sur lui-même d’avant en arrière, Théodoric se mit à parler d’une voix presque monotone. La guerrière entendait bien ses paroles : il suppliait qu’on l’aide, qu’on le libère, qu’on le tue… La voix de l’homme possédé devint de plus en plus violente et le combat intérieur se voyait maintenant nettement, devenant un combat extérieur. Némésis ne le voyait que de dos, mais elle devinait que les traits de Théo s’étaient déformés comme sous le coup d’une intense douleur. Quand du feu jaillit de ses mains pour enflammer les herbes autour de lui et tout près de Némésis, celle-ci recula de plusieurs pas. Elle faillit trébucher sur les longues herbes derrière elle, mais réussit à reprendre son équilibre pour ne pas tomber. Le feu s’éteignit aussi subitement qu’il avait jailli pour ne laisser comme seule trace, un cercle de plantes brûlés.

Se concentrant de nouveau pour entendre ce que le colosse disait, la femme l’entendit de nouveau demander de l’aide. Elle n’en pouvait plus, elle ne pouvait rester plus longtemps sans rien faire pour accéder aux pressantes demandes de l’homme qui se tenait non loin d’elle. Avançant de quelques mètres, Némésis s’approcha de l’autre. Elle ne savait pas vraiment comment il réagirait en la voyant arriver derrière lui, en l’entendant lui parler. Le démon entrerait-il dans une grande colère? Sauterait-il sur elle pour l’attaquer? Resterait-il là à la regarder sans comprendre ce qui se passait? Lui parlerait-il de sa propre voix pour lui dire comment elle pouvait l’aider? Elle ignorait comment un homme possédé pouvait réagir. À chaque instant, le démon pouvait se réveiller, prendre le dessus et commander les pires massacres.

Prenant son courage à deux mains, Némésis murmura le nom de Théodoric pour l’aviser de sa présence. Elle resta là, immobile à attendre qu’il se retourne, à attendre de voir comment il serait avec elle. Peu importe, elle voulait l’aider. Elle ne l’avait pas suivi pour s’enfuir comme une froussarde. Elle ferait face au démon s’il le fallait, elle ferait tout ce que sa vie lui permettrait de faire.

- Théodoric...

Un instant, le géant resta complètement immobile. Ses doigts larges, impressionant à eux seuls, se recroquevillaient doucement sur eux même. Théodoric râla ; c'était un grognement, un souffle sonore et cassé par le goudron et le Mal qui encrassait sa gorge. Sa tête se balança dans un mouvement extrèmement lent... pesant et douloureux comme un relant de peste dans le coeur de la jeune femme tout près... Dans ses yeux se lisaient la peur ; jamais il n'eut cru qu'on ne l'aurait entendu dans sa plainte. Le regard sombre, rouge, noir, sordide... du guerrier du continent de la terre, toujours dans le néant, fixé sur l'endroit où se tenait dame Némésis, sa paume droite se referma vivement sur la poignée de l'épée d'Arkanne...

Le bras puissant, invincible, infatigable se leva avec l'arme gigantesque du demi-ange ; non mais quelle ironie quand même... ; fesant sursauter la femme. Prenant un élan considérable en balançant dans l'air son épaule toute entière, le visage toujours de marbre, le colosse leva l'épée...
Et l'abbati violement dans le sol, y plantant la lame jusqu'à mi longueur.

Théo se leva, ce qui sembla demander beaucoup d'effort de concentration à l'homme possédé. Maintenant dans toute sa grandeur, dominant de plusieurs têtes la jeune guerrière, le géant posa ses yeux pesant de lassitude contre la dame. Regard analysant un tas de détails au passage.. qui était donc cette personne qui ausait se dresser parmis les siens et tenter cet honorable impossible que cette mission d'aider la victime de l'infini malheur ?....

Théodoric grogna ; il l'avait déjà vu quelque part, mais son esprit troublé avait égaré cette information pourtant si récente. Il ne se souvenait plus de ce genre de détail, le temps était devenu pour lui une notion unitile ; il souffrait toujours, et chaque seconde était exactement pareille à la précédente. Aucun bon souvenir, même dans ces rares moments où il avait partagé un plaisir démoniaque et malsain, violant de jeunes chaires et en déchirant d'autres.

Rien ne subsistait pour le sans âme... Même la musique évoquait la cendre et la fin de toute chose. La fin de toute beauté sur terre....
Gigantesque devant la femme, le géant osa même avancer d'un pas, semblant perdu dans ses pensées, terrifiant et sans gêne.. Il était tout près, et Théo ne nota pas les distances.

Incertain de si elle avait changé de place, déstabilisé et confu, Théo soupira et à nouveau fit une mise au point de la situation. Levant la voix, blasé, déconcerté et sans même réussir à réfléchir à ses propres paroles, l'homme possédé lança ;
- Vous avez entendu mon appel ?... Êtes vous une déesse ?...

Aucun espoir dans ces mots. Cette notion n'existe même pas. Même tomber maintenant dans la fin ne pourrais pas le satisfaire ; seule la fin réelle le pourra. La fin de toute chose... La fin du Mal....

Némésis tremblait intérieurement en attendant la réaction de Théodoric. Elle prévoyait le pire : qu’il se retourne vers elle et l’empoigne violemment pour en faire ce qu’il voulait, ou plutôt ce que le démon voulait… Alors, lorsque le géant se tourna pour la regarder et qu’il leva la lourde épée d’Arkanne, elle ne broncha pas. Elle ne bougea pas d’un seul centimètre en faisant face à la mort elle-même. Elle en était persuadée, il fallait quelqu’un pour faire face à la puissance de Théodoric, sans peur, mais également sans bataille. C’était la seule chose qui pouvait peut-être encore le sauver. Elle s’attendait donc à ce que l’épée s’abatte lourdement sur elle quand, finalement, Théo planta la lame dans le sol devant elle.

Elle observa ensuite le géant se lever pour la regarder de haut. Il semblait se demander qui elle était et pourquoi elle était là devant lui. Il fit un pas vers elle. Qu’il était imposant, qu’elle gardait contenance. Si elle s’était écoutée, elle se serait enfui depuis de longues minutes déjà. Elle n’avait jamais fait preuve d’autant de courage de toute sa vie… Malgré une voix au fond d’elle qui lui commandait de courir, courir le plus vite et le plus loin possible, Némésis resta là, le regard plongé dans celui de l’homme. Elle attendait toujours qu’il fasse quelque chose, qu’il dise quelque chose. C’est alors que l’être devant elle lui posa une question qui méritait une réponse réfléchie.

« Vous avez entendu mon appel?... Êtes-vous une déesse?... »

Elle ne pouvait pas lui répondre platement qu’elle n’était pas une déesse, qu’elle n’était qu’une simple guerrière qui combattait la magie. Elle ne pouvait pas lui avouer qu’elle ne croyait pas à l’existence de ces fameuses déesses, qu’elle doutait même qu’elles aient déjà existé… Quoique, maintenant qu’elle y pensait, si lui était possédé par un démon, il pouvait bien y avoir des déesses qui vivaient encore quelque part dans ce monde cruel. Prenant le temps pour trouver les bons mots, Némésis garda son regard dans celui de Théodoric. Son regard qui semblait dire qu’elle était là pour l’aider, qu’elle était prête à mourir pour le libérer de son mal.

- Si pour vous une déesse est quelqu’un qui vient vers vous malgré la peur, quelqu’un qui veut à tous prix vous aider, quelqu’un qui donnerait sa vie pour la vôtre sans même savoir si cela pourrait donner quelque chose, alors, oui, je suis une déesse.

Était-ce la réponse attendue, espérée par Théodoric? Avait-elle réussi à enjoliver la réalité pour la faire "gober" par l’homme possédé? Elle s’attendait encore à ce qu’il l’attaque, mais elle réussissait de mieux en mieux à oublier sa peur. Elle ne pouvait plus reculer de toute manière, elle était là et allait tout faire pour l’aider.

Théo est plongé dans la brume. Son regard malade fixe le vide autour de Némésis, alors que lentement, un pas à la fois, il s'approche d'elle, la fait reculer. Colosse possédé... Son esprit dans les vapes semble analyser les dernières paroles de la femme. La tête du géant tangue d'un côté à l'autre d'un air psychopathe, perdu dans des réflexion attentitves et incroyablement exigentes. Ainsi, on pourrait croire que l'homme est idiot. Il n'en est rien. Outre, le sans âme ne sait plus distinguer le vrai du faux, l'illusion du réel. Tout est gris et terne. Tout est flou, impossible de se focusser nulle part.

Et dans la tête du monstre, les pensées bouillonent. Paroles démoniaques inspirant des tics à ton visage suintant. Il fait soudain si chaud... Si chaud... comme en enfer. Théodoric sut à grosses gouttes alors que Baal-Peor traffique ses réflexions, l'induit en erreur, le perd plus profondément encore dans la brume. Théodoric souffle un peu plus fort, son haleine est si brûlante sur la jeune dame qu'elle se sent soudain prise de fièvre... Corps ardent.

Une déesse ? Non, impossible. La détruire est donc inutile. La détruire... Violer, briser, défoncer, laisser traîner la charogne aux bêtes sauvages, gâchant cet endroit magnifique de par ce corps atrocement tordu et sanglant. Quelle mortelle peut oser prétendre à ce titre ? Qui ose s'avancer devant Théodoric, qui donc ?!

La fumée s'échappe du corps du géant, autour de lui il apperçoit du feu que Némésis ne peut même pas imaginer dans ses plus sombres cauchemards. Pluie de cendre, Théodoric se sent brûlé somme on a déjà maintes fois tenté de le brûler. Corps chaud et humide, puissant, invincible... Nul ne peut rien faire contre lui. Le démon est inarrêtable. Le dos de Némésis rencontre un arbre. Des bras massifs se pose sur le végétal, vis à vis ses hanches. Le monstre lève ses yeux haineux et rougeoyants dans ceux de la naïve jeune femme. À quelques centimètres d'elle, il essait de la voir, de la regarder, sans même faire semblant d'y parvenir. Incapable de percevoir même la couleur de ses yeux... Le géant fulmine, et s'approche encore davantage, tournant de la tête pour essayer de voir, essayer de trouver... Son corps est si chaud que la dame se sent comme dans un fourneau. Toute trempe, et au bord de la crise...

Regard fou... Une énorme main se pose sur la joue de Némésis, passant près de lui arracher un cri de douleur ; sensation de fer chaud sur son visage, contenir ses cris devant la douleur. Et le regard dément reste sur elle, tentant de déceler les pensées qui s'y cachent, les motivations. Elle doit être bien belle, pense le géant sans pouvoir le voir lui même. Tout lui arrive diffu, elle a mal mais il ne s'en occupe pas. Sa main se retire...

Son corps lourd et infernal aussi. La pauvre est presque inconsciente, assomée par la peur et la chaleur. Théodoric la regarde. Elle n'est pas morte. Elle n'a pas crié. Le regard vide du monstre la regarde comme n'importe qui aurait regardé le vide, dans la lune. Lentement la chaleur se dissipe, la fumée s'éteint, l'eau coule doucement au sol...

- Jeune déesse, mène moi à ma rédemption, je t'en conjure. Je te suivrai....

Et le colosse se recula de quelques pas, et resta immobile, stoïque, en attente des indications...

(H.J.: Me revoilà!! Après une... *tousse* légère atttente... C'est tout là...)

Némésis se tenait droite devant le géant Théodoric. Au fond de son esprit, elle espérait que son affirmation d’être une déesse ne le mettrait pas en colère. Il s’avança vers elle, la forçant à reculer lentement jusqu’à ce qu’elle soit acculée à un arbre. Il semblait perdu à des années lumières de là, ne comprenant pas tout à fait ce qui se passait autour de lui. Mais elle, elle comprenait, elle voyait très bien l’être possédé d’un démon avancer dangereusement vers elle. Elle se sentait extrêmement petite et inoffensive face à lui. Mais elle continuait à lui tenir tête. Sentant la chaleur émanant du corps de l’homme, Némésis était de plus en plus mal à l’aise, mais elle faisait tout pour ne rien laisser paraître…

*Il ne doit même pas se rendre compte de ma présence. Ou si il s’en rend compte, il ne s’aperçoit pas des sentiments que je peux laisser voir.* Pensa-t-elle, tentant de détendre quelque peu son corps raide.

La tête lui tournait, les genoux lui fléchissaient, elle avait de la difficulté à demeurer consciente tant la chaleur était intense, tant la peur l’envahissait. Mais elle gardait les yeux grands ouverts, posés sur le visage haineux de Théodoric. Qu’allait-il lui faire? Quand il posa ses deux immenses mains sur le tronc d’arbre de chaque côté du corps frêle de la guerrière, elle ne broncha pas. Elle était trop prise pour réagir comme elle se devait. Le géant approcha son visage du sien comme pour voir à l’intérieur d’elle, comme pour deviner qui elle était au plus profond d’elle-même. Le souffle brûlant contre sa peau, le regard démoniaque posé dans le sien, la jeune femme était sur le point de flancher. Elle n’en pouvait plus. Si il ne reculait pas bientôt, elle s’emparerait de son poignard et lui transpercerait le cœur. Elle avait eu de bien bonnes intentions ; elle voulait sauver ce pauvre homme du démon qui le possédait, mais elle était prête à tout abandonner. Dans son esprit, deux voix lui criaient de choses complètement différentes. L’une lui disait de laisser tomber, qu’il était impossible de sauver le géant. L’autre voulait la persuader de tenir bon, de continuer à faire face au mal qui tentait de s’insinuer dans son âme également.

Deux voix bien distinctes qui se faisaient la guerre à l’intérieur d’elle. Voilà ce que Théo aurait vu si il avait été capable de le faire. Mais il avait déjà assez de difficulté à être entièrement présent dans le monde réel. C’est peu à peu ce que Némésis comprenait. Elle aussi ne se sentait plus tout à fait là. Elle délirait, rien ne semblait plus réel autour d’elle. C’est à peine si elle remarqua que l’autre avait posé sa grosse patte sur sa joue. Une douce chaleur, une douce folie enivrante envahissait son corps et son âme seulement par la pression de cette main sur sa peau à vif. Trop… Pas assez… Elle ne savait plus rien, plus aucune voix dans sa tête, plus rien ne semblait se produire dans son esprit. Pourtant, elle était toujours vivante, toujours debout adossée à l’arbre, le corps de l’homme contre son corps en sueur. Mais elle n’en avait plus conscience. Elle savait seulement qu’elle n’était pas morte.

Quand la main de Théodoric se détacha de son visage brûlant, la tête de Némésis tomba sur le côté, comme s’il ne tenait que parce qu’il était soutenu par cette main. Le géant reculait doucement, pour elle ne savait quelle raison. Elle était trop faible pour se poser la question. Son corps fiévreux s’affaissa sur le sol, car elle n’avait plus la force de se tenir debout. Recroquevillée au pied de l’arbre, Némésis tentait du peu de forces qu’il lui restait de garder conscience. Elle leva difficilement sa tête lourde pour regarder l’homme possédé qui se tenait toujours devant elle. Il était là sans l’être vraiment. Elle était là sans l’être vraiment. Quelqu’un qui serait passé par là, à cet instant précis, aurait été bien surpris de voir ces deux êtres complètement perdus ailleurs dans un monde différent, comme drogués, comme enivrés.

Lentement, Némésis sentit qu’il faisait moins chaud, comme si quelqu’un avait ouvert la porte du four dans lequel elle semblait se trouver. Une douce pluie, aussi fine que de la brume tombait sur son corps encore brûlant. C’est alors que la jeune femme eut conscience que Théodoric prononça quelques mots. Toutefois, il lui était impossible de rassembler ses esprits pour comprendre ce qu’il lui disait. Le regard toujours dans le vague, Némésis réussit à faire le point et regarda le géant avec une telle intensité, comme si elle cherchait à communiquer avec la partie encore humaine de l’homme. Elle voulait que cette partie enfouie au fond de lui voit, comprenne, se batte et triomphe. C’était son plus cher désir en ce moment ; elle ne pensait à rien d’autre. Elle ne savait pas trop comment elle était pour faire cela. Tout ce qu’elle était capable de faire pour l’instant, de toute manière, c’était de fixer son regard à celui de Théodoric.

Elle n’avait jamais fait de télépathie, mais elle était là, à essayer de communiquer sans paroles avec un être caché derrière un démon. Peut-être son esprit était-il encore embrumé, car elle espérait vraiment de toutes ses forces que cela marcherait. Mais c’était absurde. Depuis le début, elle s’était aventurée dans un chemin beaucoup trop tortueux. Elle voulait aider quelqu’un dont la cause était perdue d’avance. Elle n’était pas une déesse, il fallait bien qu’elle le lui dise, pour ne pas qu’il se fasse de faux espoirs. En même temps, elle ne pouvait se résoudre à briser le petit espoir qui avait commencé à germer dans l’esprit de l’autre. Il semblait que la partie humaine reprenait peu à peu le dessus sur le démon. Mais cela n’était peut-être qu’une espérance vaine. Elle ne le savait plus. Elle ignorait totalement ce qu’elle allait faire.

Agissant comme une automate, comme guidée par une force extérieure, Némésis se leva. Sa bouche s’ouvrit lentement pour laisser s’échapper des paroles qui ne lui étaient pas dictées par sa tête.

- La seule manière de vaincre le démon qui est en vous est de l’accepter, de ne faire qu’un avec lui et de l’aimer…

Aussitôt avait-elle prononcé ses mots qu’elle les trouvaient ridicules. Comment l’amour pouvait-il vaincre le mal alors que l’amour lui-même naissait du bien et du mal réunis? C’était affreusement contradictoire et risible. D’autant plus qu’elle ignorait comment Théodoric réagirait à ce qu’elle venait de dire.

Une profonde lassitude envahie le géant. C'était comme si dans sa tête la vermine démoniaque bavait d'ennui dans son crâne, sentiment de chatouillement horriblement désagréable... Théodoric devait bouger. Immédiatement. L'attente le tuait. Lui donnait l'impression de vomir lentement, de la bile imaginaire remontant comme un tentacule le long de sa traché et hors de sa bouche... Il n'entendit pas la voix de Némésis, trop concentrer à endurer cette douleur encrée dans l'inaction, le fait de s'arrêter savourer cette infinie torture.

- Nous devons trouver les déesses. Guide moi à elles. Trouves-les. Cherches-les pour le coeur aveugle...
Ces mots avaient été lancé du même ton grave et gutural, mais quelque chose dans le son révélait la douleur et l'anéantissement d'où ils provenaient. Des mots soufflé dans un râle quasi-métallique, comme un objet vieux et rouillé, tordu et vicieux...

Le sans âme ne se fit pas prier et imposa une direction à sa "guide". Avec elle, peut-être pourrait-il éviter tous ces massacres, pour le bien de ce qui subsistait de son humanité. Les réduire du moins. Elle trouverait les gens à contacter. Elle pourrait leur parler, intéragir avec le monde réel où Théodoric n'était qu'un ulcère destructeur, une plaie parasitant le monde, le tuméfiant, détruisant tout sur son passage sans que rien ne puisse l'arrêter. Non, Théo le sentait, la conscience lui échappait. Ses yeux se fermèrent presque lorsque soudain....

Fixant le vide, le souffle creux et le visage pâteux, le colosse avança tout à coup. Sans courir, sans se presser, mais d'un pas si rapide et apparement si déterminé que Némésis en fut surprise. Théodoric n'avait en rien assez de force pour courir. Jamais. Pour aucune raison. Son âme était trop grugée. Mais aucune fatigue ne l'atteignait, et il fonçait en ne ralentissant jamais, défonçant les obstacles au besoin sans le moindre effort. Le massif personnage força donc Némésis à canaliser toute son énergie pour le suivre, alors que ses pas le menèrent vers la destination aléatoire que sa terrible confusion lui avait indiquée ; la taverne du chien qui aboit...

[suite ---> la taverne du Chien-Qui-Aboit]