Pour une poignée de pièces d'or...

Le galion marchand nommé le Leone voguait depuis des heures, glissant sur une bonne brise d’ouest. Il faisait trop chaud, le vent permettait à peine de rendre la situation supportable, mais au moins ça allait vite. Encore quelques heures d’ennui et ils pourraient toucher leur paie. Non que ça soit une somme mirobolante mais au moins ça aiderait à faire les courses. Et ça permettrait de payer l’entretient de l’équipement… Avec un peu de chance il en resterait même assez pour dépenser dans les auberges et faire croire qu’ils roulaient sur l’or…
Nishi ne se faisait pourtant pas trop d’illusions. Avec le sel, l’air du large, la chaleur et tout ce cuir, c’était déjà un miracle qu’elle soit toujours en vie et pas encore cuite. Elle transpirait (les inconvénients des armures) et détestait chaque minute qu’elle passait sur le pont de ce navire. Quand Meraziel avait affirmé qu’il était sur un coup en or, jamais elle n’aurait cru qu’il pouvait parler de ça ! Il savait pourtant qu’elle détestait les bateaux. Elle le soupçonnait d’avoir sauté sur l’occasion de la prendre en défaut.
*Grrrr*
Le mal de mer la rendait irritable et garder des marchands dodus qui se remplissaient les poches en payant des mercenaires un salaire de misère ne faisait rien pour la calmer. Voila bientôt 6 heures que Fiddler se traînait sur le pont, suivant l’ombre des voiles à mesure qu’elle se déplaçait. Pour tromper l’ennui, elle bossait sur une idée qui lui trottait dans la tête depuis un bon moment. Les explosifs étaient trop dangereux à utiliser de près, elle tenait la solution ! C’est ainsi qu’elle travaillait un morceau de bois massif sans relâche. Elle avait aussi allumé une de ses cigarettes autant par soucis de santé générale que pour se calmer. Elle avait pris goût à ces petites choses et à l’odeur de sapin qu’elles dégageaient. Les marins lui avaient jeté des regards en coin, peu enclins à laisser une étrangère (une femme !!!) paresser sur leur navire et fumer à côté de produits potentiellement inflammables. Elle les renvoyait immanquablement à leurs tâches plus urgentes d’un regard glacé (la seule chose de froide sur le navire d’ailleurs…).
Ses sombres pensées furent soudain interrompues par un son étrange, faible et lointain. Un instant plus tard, la vigie hurlait : « Pavillon Noir à bâbord ! ».
Nishi caressa la broche en forme de violon qui maintenait sa cape (image oblige…) comme toujours avant le combat et la décrocha. Elle roula l’étoffe en boule et la plaça de côté puis rangea son ouvrage et rengaina sa dague dans sa botte avant de se relever d’un bond qui surprit un marin. Avisant le navire des pirates, encore loin, elle décompta les guerriers présents sur le pont. Trop nombreux pour elle seule. Un coup d’œil aux marins du navire marchand lui révéla qu’il ne faudrait pas compter sur eux.
« Meraziel ! Ramène-toi ! On a de la compagnie ! »
Elle attrapa par l’épaule un marin qui encombrait l’espace devant elle et le repoussa de côté. La frégate était rapide, ils seraient à porté de harpon sous peu. Et Meraziel qui n’arrivait pas… Que pouvait-il bien fabriquer ?
Tant pis, ça ne l’enchantait pas de se battre (rien ne lui faisait plus plaisir que de gagner de l’argent sans rien faire), mais là, elle n’y couperait pas. Et qu’elle soit seule ne changeait pas le contrat.
Les hurlements étaient déjà plus distincts, elle voyait les visages des hommes agitant leurs couteaux en face, excités par la perspective d’une prise facile. Fiddler souleva d’un doigt son épée de son fourreau pour vérifier qu’elle glisserait sans encombre le moment venu puis fit un pas en arrière puis un second.
Les premiers grappins volèrent vers le bastingage du galion et mordirent dans le bois.Les coques s’entrechoquèrent. Un premier homme s’élança. Son élan fut coupé net par la pointe d’acier qui mordit dans ses chairs. Il s’écroula aux pieds de Nishi, un carreau de son arbalète de poing enfoncé dans le cœur. Sans attendre une seconde attaque, Nishi lança une de ses créations sur le pont ennemi. La boule de poterie émit un craquement sonore lorsqu’elle percuta le bois et que ses composants internes se mélangeaient. La déflagration qui s’en suivit éparpilla les morceaux de plusieurs flibustiers aux quatre coins du navire. Un sourire satisfait se peignit sur le visage de la mercenaire : au moins, les grand classiques, on pouvait toujours compter dessus, quoiqu’en pensent les mauvaises langues.
Ce n’était pas le moment de se congratuler. Et comme la meilleure défense reste l’attaque, avec cette engeance, elle sauta lestement sur le pont du navire ennemi. Elle aurait préféré faire autrement, histoire de ménager sa santé, et accessoirement de rester en vie au-delà des prochaines dix secondes mais un job est un job et le contrat précisait qu’en cas d’attaque, elle devrait se battre si elle voulait être payée. En ce moment, ne pas être payée serait pire que la mort : cela signifierait qu’elle avait échoué face à des amateurs en plus. Elle en aurait presque frissonné.
Nishi fut donc accueillie sur la frégate par une multitude de regards, certains haineux, les autres trop embués de larmes pour distinguer quoi que ce soit. Aucune importance, son travail l’attendait. Un second carreau vola et se ficha dans l’œil d’un pirate encore en état de combattre, le clouant au grand mat. Dégainant alors Nyx de son fourreau, elle lui fit décrire un arc de cercle qui faucha un des blessés : un de moins qui la frapperait dans le dos. Un rapide revers de l’épée fit ensuite chanter la lame avant de l’amener à terminer sa course dans les côtes d’un second pirate. Elle arracha l’arme du corps juste à temps pour parer l’attaque sournoise d’une grosse brute qui la dominait de plus d’une tête. La prenant à contre-pied, le corsaire poussa son attaque, déterminé à la faire plier par sa simple force physique. Résistant un instant, Nishi comprit que son endurance allait lui faire défaut. Elle changea donc de technique sans état d’âme. Le pirate ouvrit de grands yeux ronds qu’il baissa vers son abdomen. De son ventre sortait la lame de la dague de Nishi. Celle-ci la retira d’un coup sec et l’homme s’effondra. Elle eut à peine le temps de noter la douilletterie du soudard quand une sensation de douleur extrême lui parcourut l’échine. Elle venait d’être touchée par un carreau d’arbalète au côté droit. Serrant les dents sur la cigarette qu’elle tenait toujours entre ses lèvres, elle opéra une rapide rotation sur les talons et propulsa en réponse son propre couteau à travers l’espace qui la séparait de son agresseur qui tentait désespérément de recharger son arme. La dague lui perça le cœur. Nishi pesta, elle avait visé la gorge. Elle s’appuya l’épaule contre le bastingage le temps de tâter sa blessure de sa main libre. Verdict : pas trop grave, quelques centimètres de plus et elle aurait eu le poumon perforé mais le cuir avait bien fait son travail. Jamais elle n’avait été si heureuse d’avoir autant transpiré.
Mais le combat n’était pas fini. Et les flibustiers se réorganisaient enfin autour d’un de leurs chefs. Un homme se rua vers elle tandis qu’une vague fit s’entrechoquer encore les coques. Le mouvement déstabilisa Nishi et la lame de son ennemi marqua une strie sanglante le long de sa joue.
Elle lâcha un cri rageur. « Non ! Tout mais PAS CA ! »
Comme la mercenaire regrettait de ne pas avoir mis son masque et ses gantelets… Mais il faisait si chaud, elle n’aurait pas pu se le permettre. Avec un mouvement vicieux de sa lame elle embrocha un pirate qui pensait profiter de la situation avant de cracher par pure méchanceté son mégot dans l’œil de son agresseur encore tout jubilant de son coup d’éclat.
Voila, il faisait moins le malin maintenant à se rouler sur le pont. Un violent coup de talon sur la trachée artère le calma rapidement.
Elle se remit en garde et lécha le sang qui lui coulait le long de la pommette jusque sur les lèvres. Voila que Nishi se retrouvait seule face à tout ce qui restait de l’équipage de la frégate. Un équipage bien décidé à la passer par le fil de l’épée. Et la seule aide que les marins du navire marchant offraient était de se démener pour couper les câbles des harpons, les ordures…
Elle n’aurait pas du lancer sa dague, combien de fois l’avait-elle répété aux recrues : c’est joli mais stupide de lancer son arme… Et voila qu’elle avait fait une erreur de débutante. Heureusement Nyx était toujours là, elle allait apprendre à ces dilettantes ce que c’était que de se battre en professionnelle. Après tout, elle avait déjà été dans des situations plus difficiles, non ?
….
….
Un instant de réflexion plus tard elle hurlait de sa meilleure voix de commandement :

« Meraziel !!!!! C’est un peu urgent maintenant ! »

Le crâne du plus proche adversaire de Nishi explosa comme un fruit trop mur, pulvérisé par un carreaux venu du haut. Un deuxième tomba, le coeur perforé par un tir oblique qui lui emporta au passage un bon morceau de la clavicule. Puis un troisième, qui essayait de fuir, vit un de ses poumons passer devant luialors qu'il était cloué au sol. Une bonne rafale, en somme.

Meraziel descendit le long des cordages, un petit sourire aux lèvres. Terrifiés, les pirates reculaient peu à peu, bien qu'ils savaient qu'aucun ne pouvait courir plus vite qu'un carreaux d'arbalète à répétition. Derrière l'archer venait un jeune homme vétu de gris armé d'un arc court idéal pour les combats de proximité comme celui-ci. Il décocha négligement une flèche qui tua sur le coup un gros marin à la barbe noire qui essayait de contourner le trio. Et le sourire du jeune était un peu trop satisfait.

"T'endors pas, Nephalis. Le boulot n'est pas fini."

Après avoir rappelé à l'ordre de la sorte son apprenti, qui reprit immédiatement une position plus favorable, Meraziel se tourna vers Nishi qui toisait les pirates d'un oeil méfiant. La mort aussi subite de quatres d'entre eux n'avait pas l'air de les calmer. Il fallait surement enchainer sur des bases plus abouties.

"Ton pauvre visage, quel gachis..."

Il y avait comme du sarcasme dans sa voix, mais sans annimosité.

"N'aurais-tu pas changé la composition de ton jouet ? A moins que le souffre du continent de l'eau ait une odeur différente..."

C'est ce moment que les pirates choisirent pour enfin passer à l'assaut. Meraziel leva lentement le bras alors que derrière lui Nephalis lachait ses flèches de manières effrénée, et avec un total détachement de lui-même il vida son arbalète de poing à grande capacité sur la masse grouillante. Quand les pirates arrivèrent au corps-à-corps, la situation devint un peu plus dure. Meraziel n'était pas doué au corps-à-corps. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour l'éviter.

*J'aurais du rester là-haut. C'est mieux, les cordages, pour un archer*

Il dégaina néammoins ses dagues afin de riposter aux assauts de l'ennemi.

Nishi ne pu s’empêcher de jurer, sans considération pour l’image qu’elle donnait.
« Par tous les dieux et leurs putains »
Le premier trait était passé à un cheveu de son crâne, elle avait même senti le souffle du carreau alors qu’il volait vers sa cible. Nishi ne regarda même pas l’effet qu’avait le barrage sur les pirates, elle se retourna et observa avec un air consterné les deux hommes qui s’en donnaient à cœur joie. Elle aurait presque été satisfaite de voir ce spectacle sans cet air littéralement ruisselant d’autosatisfaction qu’arborait le protégé de Meraziel. Comment l’elfe pouvait-il tolérer un tel comportement, on n’était pas à la foire de Lomenildi, que Diable ! Tuer était une affaire des plus sérieuses. Elle aurait une petite discussion à sens unique avec le jeunot une fois que le contrat sera rempli…
Pendant ce temps, tous deux étaient arrivés sur le pont. Nishi les toisa d’un regard scrutateur, un sourcil relevé. Loin d’indiquer la raison de son retard, l’elfe poussa le vice jusqu’à aborder le sujet plus que délicat du visage de la jeune femme. Quel manque de savoir vivre…
Ignorant la provocation et n’ayant aucunement le temps de discourir des vertus comparées des explosifs à base d’alcool et de ceux utilisant les hydrocarbures, elle se contenta d’un conseil pratique.
« Très drôle Noiraud, rends moi service, dis à ton protégé de tirer loin de moi, si toutefois il parviendrait à se souvenir de mettre le côté pointu vers l’ennemi… »

Les flibustiers revenaient à la charge, plus déterminés que jamais à venger leurs morts, d’autant que les archers étaient maintenant à porter de leurs sabres. Fid s’en accommodait assez bien : s’il se sentaient confiants, ils feraient sûrement plus d’erreurs. Et puis elle avait soufflé. Dernière chose, l’elfe et le jeunot seraient des cibles supplémentaires qui réduiraient d’autant le nombre de SES adversaires directs. Parfait. Si ce carreau ne lui faisait pas un mal de chien à chaque mouvement, elle aurait pleuré de joie devant l’étendue des perspectives d’avenir que la situation leur offrait. Plusieurs dizaines de pirates enragés prêts à les mettre en pièces dans le meilleur des cas, ou à les torturer des heures dans le pire… Que rêver de plus ?
Elle leva les yeux au ciel, consternée par les caprices du destin (quel gamin celui-là) et cracha un peu de sang.
De sa main libre, Nishi fouilla dans sa sacoche. L’air marin n’avait pas arrangé ses affaires et il ne lui restait plus qu’un seul jouet. Elle le sortit… Et fut incapable de se rappeler ce pour quoi il avait été créé. Elle para d’un air absent un coup d’estoc, glissa de côté et, passant sous la garde de l’homme, fit remonter sa lame à travers sa mâchoire avant de la retirer d’un coup sec.
Finalement, cela n’avait pas d’importance, si elle l’avait fabriqué, c’est qu’elle devait trouver ça utile. Normal… Elle le jeta donc de toutes ses forces vers le grand mat. La poterie s’y écrasa et vola en éclat répandant un contenu visiblement inutile. Elle allait prononcer une formule traditionnelle peu convenable, quand le liquide s’embrasa de lui-même. Le feu adhérait à ce qu’il touchait, bois, vêtement ou chair. Il se répandit bientôt et consuma câbles et pirates.
A présent Fid se souvenait clairement ! Elle avait trouvé le principe par hasard des mois auparavant, si ce n’est des années, en calcinant deux tentes, un cheval de trait et tous les poils d’une recrue médusée… Elle avait ensuite créé l’objet pour rigoler. Il avait traîné dans la sacoche tout ce temps. Elle sourit en imaginant ce qui aurait pu se passer s’il avait été brisé avant. Quelle surprise ça aurait été ! Il était si efficace…
Retenant un rire, Nishi agrippa Nyx des deux mains et marcha droit vers les flibustiers désemparés. Elle sentait venir la sorte de transe qui la tenait parfois au combat. Elle tombait bien pour une fois…

Nephalis évita d'un geste ample le sabre d'un des manants qui s'imaginait pouvoir prendre sa vitesse en défaut, puis il plongea rapidement sa dague dans la gorge d'un autre qui arrivait derriêre lui. La situation tournait au vinaigre, il n'aurait pas du se trouver là. Mais il ne pouvait pas aisser tomber Fid en pleine mélée.

*Merde, Il n'y a pas si longtemps ça aurait été différent ! Ils sont où les formidables bretteurs de la Compagnie ?*

Il savait pourtant où ils étaient, ses amis combattants, installés confortablement sur l'un ou l'autre des continents. Dessous, en fait. Il n'y avais pas une province où les Lames Grises n'avaient pas laissés une tombe ou un mausolée, selon l'ampleur de la bataille. Des guerriers qui auraient été fort utile en ce moment...

Une lame frola sa tempe, le ramenant immédiatement à la réalité. Il bloqua un coup de taille qui avait failli l'atteindre au flanc gauche, puis il frappa directement au coeur de la cible. Ses réflexes et sa précision d'archer étaient toujours utiles, et ça contrebalançait son manque évident de talent. Nephalis, l'air concentré, empalait un à un les ennemis, mais du fait de son manque d'expérience ses flèches partait trop souvent dans le vide. Il reculait vers le bateau alors que les pirates avançaient, l'air déterminés. Meraziel se projeta en arrière pour se mettre entre son élève et ses assaillants. Il secoua ses dagues pour les nettoyer du sang qui coulait, puis il reppartit à l'assaut.

Pas le temps de voir comment les autres s’en sortaient, son attention était entièrement accaparée par les trajectoires des lames, par leur danse hypnotique. Tous ses sens en éveil, Nishi se fondait dans la mêlée, parant au minium les coups pour conserver sa mobilité et l’occasion de frapper. Maniée à deux mains, Nyx possédait une puissance redoutable : elle tranchait les chairs comme du beurre. Nishi faisait maintenant corps avec son but. Elle devait tuer ces hommes. C’était son contrat, c’était son essence. Elle était leur mort. Elle n’avait pas conscience du moindre de ses mouvements, dans une telle situation, avec autant d’ennemis, tenter d’agir consciemment aurait été du suicide. Seule l’habitude des formes du combat née de l’expérience et de l’entraînement quotidien permettait ce résultat.
C’est ainsi que Nishi se mouvait, fauchant les humains comme le moissonneur abat les pousses de blé. Elle reçut pourtant plusieurs blessures au cours du combat, toutes supportables mais elle sentait ses forces diminuer. Elle n’avait jamais aimé faire durer les choses autant. Une solution restait : tuer le chef… Ca pourrait régler le problème…. Mais peut-être pas… Comme l’alternative était de mourir submergée d’ennemis, elle n’eut guère de mal à se décider. En plus Meraziel serait bien embêté de se voir voler la vedette, elle en souriait toute seule, ce qui donnait des sueurs froides à ses adversaires…

Elle s’ouvrit un passage vers ledit chef, à grands coups d’épée rageurs et encaissa une estafilade de plus le long du bras droit avant d’avoir pu littéralement découper l’auteur du coup de sa lame. Puis elle fit face à son ennemi. Un coup du pommeau de son arme dans la mâchoire d’un flibustier découragea les autres d’interférer.
Un instant, ils s’observèrent sans un mot, puis tout alla très vite. Nishi tenait son épée le bras droit tendu vers le sol de façon à ce que la lame y repose presque. Le pirate, lui se tenait en garde, une main tendue aux côtés de son épée.
Et Fid s’élança. D’abord marchant lentement elle fit passer sa main gauche dans ses cheveux, comme si elle remettait une mèche en place. Puis deux foulées courtes et rapides, soudaines. Elle prit de la vitesse. Le pirate se mit en mouvement. C’est alors que Nishi fit une longue enjambée fluide, cassant son rythme, prenant une trajectoire plus classique. Ce que seul un œil averti et connaisseur pouvait voir, c’est le manège des deux mains de la femme dans son dos. D’un mouvement brusque, pendant le bond, elle avait changé l’arme de main. Et à la réception, sa course changea à nouveau de course pour retrouver le jeu de pas rapide par laquelle elle avait débuté. Ces changements de rythme déstabilisèrent l’ennemi qui s’attendait à de longues enjambées et à une attaque venant de dextre. Il n’eut pourtant pas le crier sa surprise lorsqu’un mètre d’acier feuilleté propulsé par le bras gauche de la femme qui se tendait en avant traversa son orbite gauche puis sa boite crânienne. Nishi, le bras gauche tendu à l’horizontale, bloqua de l’épaule le coup de taille donné bien trop en avant : seule l’articulation du coude du pirate maintenant mort aurait touché la tête de Fid. La mercenaire était entrée dans sa garde. Elle retira le bras et la lame d’un geste brusque, laissant le corps s’affaler au sol comme un tas de chiffons. L’exercice l’avait épuisée.

« A qui le tour ? » Demanda-t-elle par pure provocation aux flibustiers encore debouts… Ses mots pourtant, à cause de son état, n’étaient que bravade… Ou presque…

Meraziel bloquait la plupart des attaques adverses, et dieu savait qu'elles étaient nombreuses. Mais il était mis à mal par les assauts répétés. Ses pignards étaient trop court pour bloquer efficacement les sabres des pirates, et il était trop isolé dans la masse pour avoir une quelconque aide. Non, la situation prenait un tournant vraiment mauvais. Il arrêta une lame qui passa à deux centimêtres de ses côtes, puis il esquiva l'attaque rageuse d'un ennemis qui vit son crâne exploser sous l'impact d'une des flèches de Nephalis. Celui-ci, en haut des cordages, jubilait bruyement. Sans voir le pirate qui grimpait dans son dos.

"Nephalis ! Derrière toi, attention !"

Ce moment d'inattention de Meraziel suffit à un de ses adversaires pour lui porter un rude coup de taille, qui faillit lui arracher une bonne partie du thorax. Du sang s'écoulait à grosses gouttes de la blessure, et teintait l'armure de cuir de pourpre. La situation n'était pas brillante. Meraziel haletait. Il bloqua une nouvelle attaque et fit payer très cher sa blessure, prélevant un lourd tribu sur les vies adverses. Mais la fin semblait maintenant proche...

A ce moment, une lumière brilla dans la mélée, éblouissant les pirates. Ceux-ci se couvrirent les yeux pour essayer d'entraperçevoir ce qui emettait ces rayons aveuglant. Mais Meraziel savait bien ce qui se passait. Il profita de cette diversion pour repasser sur le pont du navire marchand qu'il était censé protéger. Compte tenu de l'abordage, c'était plutôt calme. La majeure partie des combats avait été portés par les deux mercenaires sur l'assaillant. L'elfe le va le bras et fit un signe à Nephalis. Celui-ci répondit de la tête, puis il se retourna et prit quelque chose dans la dunette derrière lui. Il attrapa un paquet envellopé d'une toile cirée, et il jeta vers l'elfe. Celui-ci l'attrapa et débala son arc ainsi que son carquois. Puis il commença à semer la mort parmis les pirates...

Une demi-heure après, la situation était beaucoup plus calme. Galvanisés par l'assaut des mercenaires, les marins avaient saisit leurs armes et avaient ripostés avec fougue aux pirates. Ceux-ci, privés de chef et sans possibilités de fuite autre que la mer infestée de requins, ne tardèrent pas à se rendre. Meraziel soigna ses blessures avec un onguent dont il avait le secret, et il fit passer le pot à Nishi, qui avait l'air assez mal en point. Puis il descendit dans la cale.

Les pirates regardaient la mercenaire qui avait si facilement triomphé de leur chef. Ils étaient indécis sur la conduite à tenir à présent. D’un côté ils encerclaient la jeune femme seule… D’un autre, elle avait déjà tué tellement des leurs et semblait si sûre d’elle. Personne ne voulait être le premier à tenter sa chance.
Leur instant de réflexion prit fin de façon brutale quand Meraziel, de retour sur le galion, mis à l’œuvre ses talents d’archer. La panique fut complète et Nishi su que le combat avait pris fin. Alors que les flibustiers survivants jetaient leurs armes et tombaient à genoux, Fiddler fit décrire à Nyx un large arc de cercle qu’elle arrêta brusquement, débarrassant la lame du sang qui souillait son fil. Elle la rengaina ensuite avec un soupir. A présent que l’adrénaline était évacuée de son sang, elle ressentait de plus en plus la fatigue et la douleur. Pourtant tout cela devrait attendre encore quelques minutes, des affaires urgentes nécessitaient son attention.
Première chose : que faire de survivants ? Elle doutait qu’ils puissent rapporter grand-chose de retour sur le continent. Des minables pareils ne méritaient pas qu’on s’en encombre. D’un autre côté, elle pouvait soit les tuer tous, ce qu’elle répugnait à faire (assez de sang avait déjà coulé), soit les laisser partir au risque de les avoir sur le dos plus tard.
Cela n’avait pas tellement d’importance en fin de compte, et comme elle allait sûrement survivre, et surtout que son visage ne porterait à priori aucune séquelle, elle se sentait donc en état de faire une bonne action. Sous sa supervision, les marins firent descendre les pirates dans une chaloupe avant de les laisser dériver à la merci de l’océan. Voila, leur destin ne dépendait plus d’elle et bon débarras.
Observant la situation alentours, Nishi nota avec satisfaction que les flammes avaient faibli et que les hommes d’équipage s’activaient pour mettre fin à l’incendie. Selon le contrat, toute prise de guerre ou butin trouvé pendant le temps de travail des mercenaires et acquis par leurs actions leur revenait de droit. On ne pouvait pas dire qu’elle était enchantée d’acquérir une frégate (son mal de mer revenait à la charge) mais à cheval donné on ne regarde pas les dents. Même si en l’occurrence, le terme « donné » était légèrement inadéquat.
Nishi pouvait s’occuper du dernier détail maintenant. Elle accepta avec un hochement de tête l’onguent de Meraziel puis se dirigea vers Nephalis. Le jeune archer souriait de toutes ses dents… Et se retrouva au sol, propulsé par une monumentale baffe de la mercenaire. Ca détendait ; ça valait même la douleur au côté que le mouvement avait réveillé.

« Voila, tâche de te souvenir qu’un combat n’est pas un jeu, si tu aimes tuer, deviens assassin, ça rapportera plus. Si tu veux rester un mercenaire, apprends la valeur d’une vie et le poids d’une mort. Car cette mort pourrait bien être la tienne. On n’est jamais gagnant lorsqu’on prend une vie, à nous de faire en sorte que l’échange aie au moins un semblant de valeur. »

Sans ajouter un mot elle se retourna et alla chercher de l’eau avant de s’approcher de ses affaires pour s’occuper d’elle-même. La vérité était que pour l’heure, il lui aurait été difficile d’ajouter le moindre commentaire. Ses limites étaient proches et elle ne voulait surtout pas montrer une faiblesse devant ce jeune blanc-bec. Elle n’y pouvait rien ses airs supérieurs proclamaient littéralement qu’il se croyait invincible et irréprochable. Peu de choses irritaient la jeune femme autant, à l’instant présent tout du moins.
La plupart des blessures ayant simplement besoin d’un bon nettoyage et d’un onguent, Nishi s’attaqua en priorité au carreau qui lui perçait toujours le flanc. Elle ôta son armure avec précaution en serrant les dents. La blessure ne saignait presque plus, mais ce n’était pas forcément bon signe… Pas d’autre choix que de retirer le trait à présent. Elle prépara ce dont elle avait besoin : fil, aiguille, tissu imbibé d’eau, onguent. Avec un peu de chance, rien n’aurait été endommagé à l’intérieur et elle survivrait. Nishi se raidit en tirant le carreau hors de ses chairs. La douleur fit momentanément tomber un voile noir sur sa vision, c’était le plus dangereux : si elle s’évanouissait, l’hémorragie risquait de la tuer. Heureusement elle parvint à rester consciente. Elle entreprit de nettoyer la plaie avec force grimaces de douleur puis appliqua l’onguent et recousit rapidement la blessure. Une bonne chose de faite. Elle s’autorisa une pause et alluma une cigarette. C’était bon d’être en vie.
A présent tirée d’affaire, elle se concentra sur les autres estafilades et les nettoya une à une, prenant le temps qu’il fallait pour que le travail soit de qualité. Après tout, ce n’était pas de sitôt qu’on lui fournirait un nouveau corps, si ?
Enfin Nishi s’autorisa à se reposer. Il faisait soudain plus froid qu’elle ne l’aurait cru. Se couvrant de sa cape préférée, elle s’emmitoufla du mieux qu’elle pu et posa la tête sur ses genoux. Elle se demanda vaguement ce que fabriquait Meraziel depuis tout ce temps, bailla, cracha la cigarette à moitié consumée par-dessus bord et se laissa aller à un petit somme bien mérité.

Nephalis ne savait plus quoi faire, assis bêtement sur le pont du gallion. Il hésitait entre se cacher dans un trou de souris et répondre vertemment à Nishi, ce qui aurait pour sûr été le prélude à une bagarre. Et Meraziel voyait bien, contrairement à son disciple, que Nishi ne pouvait pas se permettre un échange de plus. Il était déjà surpris que la guerrière tenait encore debout. Plus pour très longtemps surement. Il s'approcha de Nephalis et s'accroupis.

"Laisse-la, elle est crevée et sa blessure lui fait un mal de chien. Elle n'aurait pas été si dure d'habitude."

Le jeune archer essaya de s'énerver, mais le regard de son maitre l'en dissuada. Il s'installa et réfléchis pendant quelques secondes à sa conduite durant le combat. Puis il releva les yeux vers Meraziel, et son visage était plus sérieux.

"J'ai essayé de faire au mieux, Meraziel. Ce n'était pas le plaisir de tuer, simplement celui de bien faire mon boulot. J'aurais préféré que nous ne soyions pas attaqués, bien évidemment. Mais tu vois..."

Meraziel interrompis Nephalis en posant une main sur son bras. Il lui fit un de ses rares sourires qu'il réservait à ses amis, puis il le rassura.

"Ne t'inquiète pas. Tu as juste beaucoup à apprendre. Va t'occuper des arcs et des arbalètes maintenant."

Il se détourna et prit dans un ratelier une rapière qui n'avait pas été utilisée lors du combat, puis il repassa sur le pont de la frégate. les dégâts faits par les explosifs de Nishi étaient plutôt superficielles, car les voiles n'étaient pas endommagés. On pouvait voir ça et là des trous dans la coque, mais ceux-ci pouvaient être aisemment réparés. Ou adaptés. En effet, Meraziel avait déjà quelques idées à propos de ce navire qu'ils venaient de capturer. Mais ça pouvait attendre...

Il descendit par un des escaliers vers la soute. Le navire n'était pas particulièrement grand, car il était plus conçu pour la vitesse et l'abordage, mais la difficulté qu'avait eu le pilote pour manoeuvrer avant l'abordage prouvait que les cales étaient pleines. De quoi, là était la question. Il était certain que de l'or ou des marchandises précieuses étaient plus avantageux que des légumes, mais après tout un navire c'était déjà une belle prise. Une petite lumière clignota au coin de son oeil, et il se retourna. Etincelle la petite fée tournait autour de sa tête avec un grand sourire. Il lui adressa un signe de reconnaissance pour la diversion sur le pont. Ces deux là n'avait pas besoin de paroles pour se comprendre pleinement, et de toute façon la petite fée aurait été bien incapable de répondre. Elle s'assit sur l'épaule de l'elfe et augmenta son aura afin d'éclairer le couloir sombre. Celui-ci était petit, une porte sur chaque mur et un escalier vers le fond. Dans la première pièce, Meraziel ne vit que des couchettes mal faites et des hamacs. il en profita pour vérifier le nombre de personnes que le navire pouvait acqueillir environ une cinquantaine de passager, en comptant l'équipage et les tours de garde. Ce qui n'était plutôt pas mal. L'escalier menait à la grande cale, là où était entassés les prises de combats. il fut tenté de descendre immédiatement, mais la dernière porte forçait sa curiosité. Elle était bloquée, et des cris etouffés en parvenait. Son arme dans la main, et après avoir rechargé son arbalète, il defonça la porte.

La pièce était plutôt grande, et encombrée. Ici des caisses contenant des armes, là des rouleaux de cordages. Au vu du matériel entassé là, les pirates avaient abordés un marchand d'armes. Une grosse cargaison même, la pièce était pleine à craquer. A n'en pas douter la cale était tout aussi remplie. Ca avait été une folie de prendre d'abordage le navire qui transportait Nephalis, Nishi et Meraziel. Mais le plus étonnant était la silhouette attachée sur le sol, contre le mur extérieur. C'était un jeune homme bien habillée, dont les liens commençaient à entailler les poignet. Meraziel le détacha et enleva son baillon, puis il vérifia d'un coup d'oeil s'il n'avait pas besoin d'un médecin.

"Soyez sans crainte, le navire est sécurisé. Qui êtes-vous ?"

Son interlocuteur, après une période de méfiance, lui répondit en bredouillant.

"Je me nomme... James. Je suis... le fils de l'armateur du bateau qu'ils ont abordés. Je viens de l'Air"

Meraziel l'aida à se relever, puis il l'accompagna sur le pont. Il pouvait toujours retourner dans la cale plus tard.

"Je suis Meraziel, mercenaire engagé par le marchand qui vient de se faire abordé. Mes deux collègues et moi avonc battus les pirates qui vous retenez, et nous voyageons en ce moment même vers Lomenlindi. On vous raménera chez vous"

*Si Nishi va mieux...*

Il confia le jeune homme au soin de son disciple, qui se chargea de le rassurer, puis il alla vérifier les amarres qui reliaient les deux navires entre eux. Ceux-ci étaient bien attachés, et ce nouveau vaisseau apportait même un surcroit de poussée à l'autre. Le couple de bateaux vogua lentement vers le port de l'Air.