Ruines dans un champ de blé

Dans un champ de blé, à une dizaine de mètre à peine de la Forêt de Rhydderch, se dressent quelques murs de pierre érodés, vestiges d'un bâtiment dont le toit s'est effondré.
De mémoire d'homme, il a toujours été là, toujours dans ce même état. Les gens ont fini par l'accepter comme faisant partie du paysage, et nombreux sont les jeunes gens qui viennent s'y donner rendez-vous pour quelques escapades amoureuses, tant le cadre est à la fois discret et enchanteur.

En réalité un oeil averti pourrait vite constaté que ces ruines représentent la forme typique des chapelles du VIIème siècle avant le déclin des Déesses... Mais qui serait encore assez fou, de nos jours, pour étudier l'art architectural des vieux Temples ?

Objet de curiosité pour les voyageurs, endroit agréable et reposant pour les autochtones, cet heureux oublié coule des jours paisibles dans son champ de blé, sans craindre une quelconque vengeance de l'Inquisition... Quand bien même elle apprendrait à tout hasard son existence, qu’irait-elle gaspiller son temps pour quelques pierres insignifiantes ?





Assise comme dans le passé, sur un muret délabré, une femme aux cheveux d’or ; yeux ardents d’un bleu profond qui fixaient le champ sans émotions. Dans le vague, comme si son esprit voguait à travers un monde connu d’elle seule.
Jadis, il y avait là des tournesols. Jadis, le soleil brillait sur un bonheur simpliste. Jadis… mais cela n’était plus.

Mélancolie funeste d’un esprit séculaire : les choses changeaient, elle changerait avec elle. De toute façon sa mère n’était plus non plus, avalée par la spirale du temps et de l’ennui ; et si la mission pour laquelle elle avait été créée était désormais désuète, on ne pouvait que supposer que son immortalité s’était envolée avec elle.
Voilà un peu plus d’un demi-siècle qu’elle était Callya, et la mort n’avait pas encore emporté ses allures de courtisane. Qu’une ride apparaisse, et cela ferait d’elle une femme ordinaire !
Seul le temps lui dira quand enfin viendra le jour où elle pourra enfin cesser de craindre le destin la rattrape ; mais tant que durera l’attente un doute subsistera. Tant que durera l’attente, elle restera ainsi, voguant de souvenirs en souvenirs pour s’imprégner de la pureté de sa vie d’antan, espérant la retrouver en temps voulu.
Dans les sains préceptes de l’Athéisme, sans fioritures inutiles. N’aurait-elle pas pu mourir sur ces beaux souvenirs ?

Elle fit la moue, insatisfaite. Le mur était pareil mais les épis de blé ne remplaceraient jamais les fleurs du soleil ; elle ne supporterait pas de rester là plus longtemps. Elle se leva, prête à partir : assez de souvenirs, assez de douleur pour aujourd’hui… Mais qu’était cette touche dorée à l’orée de la forêt ?
Subjuguée par sa découverte, elle se figea dans son geste. Serait-ce possible que.. ?
La Muse s’avançait, aussi prudente que si elle craignait que sa vision ne s’évapore au moindre mouvement brusque, mais il n’en était rien. A la limite du champ, ultimes survivants d’une époque révolue, trois cœurs d’or s’épanouissaient en solitaire, puis d’autres un peu plus loin jaillissaient d’une clairière.
Et elle courait, trottait, galopait, volait presque, s’enflammant soudain devant ce bonheur retrouvé. Enfin ! Cela faisait si longtemps qu’elle n’en avait plus vus, si longtemps…

Trop longtemps. Ses joues brillaient de quelques perles de joie.

[La Forêt]