Dans les couloirs à une heure matinale

(Berganon tu corrige le titre si tu veux ^^)

Lumière chatoyante venue des fenêtres et doux bruissements de tissus à chacun de ses pas : voilà de quoi était accompagnée Galathée, qui, à une heure matinale, avait entrepris une escapade dans les couloirs du château de Mynorie. But de la manœuvre : trouver la bibliothèque, qui, immanquablement, devait être présente dans un tel bâtiment. La Reine aurait fort bien pu se tourner vers une servante que l’on avait aimablement mis à son service, afin de lui demander le chemin de ce lieu de connaissance, mais le plaisir de la découverte l’avait emporté, et comme elle se considérait (après tout) quelque peu en vacances, elle voulait oublier les soucis des charges royales pendant un moment. C’est pourquoi la jeune femme errait depuis un petit quart d’heure dans les couloirs. Enfin, « errer » n’était peut-être pas le bon mot, car elle avait ainsi l’occasion d’admirer l’architecture et les décorations de la demeure princière.

*Si je dois refaire un jour la décoration de la salle du trône, je sais où me fournir… Leurs fresques sont superbes…*

C’est en se plongeant dans ces considérations purement esthétiques qu’elle parvint à un embranchement. Sans vraiment réfléchir, elle tourna à droite. Pourquoi ? Parce que cet itinéraire lui rapelait celui qu’elle emprunptait pour se rendre dans sa propre réserve de grimoires en tous genres.

Alors qu’elle s’approchait d’une grande porte qui paraissait être l’objet de ses recherches, un bruit de pas l’alerta. L’inquiétude monta immédiatement. Après tout, elle n’était qu’une invitée, et les événements qui l’avaient amenée sur ce continent n’avaient rien de particulièrement reluisant. Avait-elle le droit de quitter ses appartements et de partir ainsi en vadrouille ? Se trouvait-elle dans une section de la maison interdite aux visiteurs ?

En se retournant, elle s’efforça de prendre l’air le plus innocent et le plus calme possible. Lorsqu’elle reconnu le nouvel arrivant, elle ne pu s’empêcher de piquer un fard. La voilà qui se présentait devant le roi, seulement vêtue d’une légère robe grise, ni coiffée ni maquillée. D’un autre côté, qui aurait pu prévoir qu’il se retrouverait dans le même couloir qu’elle au même moment. Non mais, quelle idée de se balader dans sa propre demeure à cette heure indue ! Et de venir y déranger les invités fraîchement reposés !

S’attendant à un commentaire, voire même à une réprimande, car après tout, elle avait l’âge de la fille du monarque, et celui-ci pourrait bien se sentir obligé de la traiter ainsi, elle esquissa une révérence, sans mot dire, préférant laisser au Roi l’avantage de donner le ton de l’entretien.

*Ce serait vraiment bizarre qu’il ne fasse que me saluer… Vu ce qui s’est passé hier…*

Réveillée depuis une heure, en quête d’un moment de tranquilité après une nuit bien méritée, la voilà à deux doigts de discuter politique… De toute façon, elle n’avait pas le choix, et plus vite cela serait terminé, plus vite elle pourrait repartir… Quoique finalement, elle n’en avait plus tant envie…

Le Roi ne semblait pas si en colère que ça, puisqu’il semblait même comprendre l’objet de la présence de la Reine en ces lieux. Il ouvrit la porte, et la précéda dans ce qui semblait être la bibliothèque royale. La montagne de livres et de parchemins qui s’étendait devant elle subjugua un moment la damoiselle. Bien sûr, elle s’était habituée depuis l’enfance à se trouver dans de tels lieux. Mais l’émerveillement revenait à chaque fois.

Sur l’invitation du monarque, qui, sans qu’elle le montrât, l’intimidait beaucoup, elle prit place à la table, le plus gracieusement possible, pour ne pas donner l’impression qu’elle était mal réveillée. Dans un lieu comme celui-ci, elle se trouvait déjà plus à son aise que dans la grande salle du trône, si intimidante de par ses dimensions. Ici, il y a avait une sorte d’intimité et de calme qui convenait parfaitement à la jeune fille.

« Il n’est pas dans mes intentions d’évoquer trop longuement de pareils événements dans un lieu de connaissance et d’apprentissage. Il sera fait comme vous le voudrez »

Elle avait murmuré cette phrase sans baisser les yeux, avec un visage emprunt de sérieux. Tournant la tête vers les rayonnages, elle remarqua, avec un sourire :

« Vous possédez beaucoup de vieilles œuvres… J’aimerais avoir le temps de les consulter… malheureusement, il faudrait pour cela que je puisse rester ici, et je ne peux laisser mon royaume indéfiniment… »

Elle lança un regard entendu à Berganon. Les mêmes charges leur incombaient à tous deux, mais ils ne possédaient pas la même expérience, ce qui changeait sensiblement la donne.

La princesse se leva lentement, se détourna de la table, et s’avança vers une des étagères. Avec précaution, elle attrapa un livre aux bords craquelés intitulé « Géographie du continent de la Terre », qui semblait très ancien, et le ramena à la table, avec des gestes d’habituée. Elle lisait énormément de ces vieux ouvrages, que d’autres n’auraient jamais osé ouvrir à cause de la poussière qui les recouvraient.

Elle écarta la couverture du bout des doigts, sans plus prêter attention à son vis-à-vis, et laissa s’échapper un sifflement de surprise, certe peu digne d’une fille de sang royal… Devant elle s’étalaient des cartes magnifiquement conservées, aux couleurs encore brillantes et chatoyantes, et aux traits précis. La première représentait le continent entier, les autres chacun des royaumes. Le tout avait surement été réalisé par un artiste pointilleux.

« C’est un superbe travail… Comme quoi on trouve toujours des merveilles dans ce genre d’endroits… »

Elle adressa un sourire contrit à son hôte :

« Pardonnez-moi…Je ne peux pas résister à l’attrait des livres… »

Toute surprise, la maîtresse du continent du feu observa avec attention la carte que lui montrait son hôte. Assurément, elle n’avait rien à faire dans cet ouvrage… Elle leva ses yeux clairs vers son interlocuteur, et son regard se fit interrogateur, tandis que ses fins sourcils se fronçaient légèrement. A partir du moment où il n’existait aucun lien logique entre deux objets, la jeune fille s’avérait plutôt dépassée par les événements. Elle était une femme de logique, non d’extrapolation…

Apparemment, Berganon avait compris que son interlocutrice était intriguée, car il commença à s’expliquer. S’efforçant de ne pas montrer sa stupeur, la rouquine buvait ses paroles. Ainsi, il était originaire de son propre continent… Voilà qui était des plus interessants… Et qui pourrait expliquer ce que lui avait dit son propre père sur le caractère de ce roi… Plongée dans ses pensées, elle n’écouta que d’une oreille distraite la fin du discours de son vis-à-vis, jusqu’à ce que celui-ci ne dévoile son bras, caché sous sa cape. Instinctivement, la demoiselle sursauta, plus peut-être à cause du mouvement brusque que par l’aspect de ce qu’il venait de dévoiler. En y fixant son attention, elle cacha comme elle le pouvait un brusque frisson. Il ne s’agissait pas vraiment de répulsion, ni de surprise. Les veines d’or et la profonde couleur noire donnaient à tout cela une sorte de beauté maléfique, jusqu’à ce que l’on se rappelle qu’il s’agissait de chair humaine. A partir de ce moment là, on ne pouvait que vouloir détourner les yeux.

Instinctivement, elle porta sa main à son propre bras, et trembla de nouveau. Troublée, la demoiselle détourna les yeux quelques instants, afin de reprendre contenance.

« Les guérisseurs de mon royaume ne sont pas les meilleurs qui existent »

Sa remarque était idiote et insignifiante, elle le savait, cependant, elle ne pouvait rester sans piper mot, après ce qu’elle venait de constater. La jeune souveraine n’était guère habituée à voir des blessures ou des corps meurtris. Cela lui soulevait le cœur à chaque fois, à cause de la vue du sang, mais aussi en pensant que le plus souvent, c’était d’autres êtres humains qui en étaient la cause. Elle n’avait toujours pas trouvé de remède à cela.

Cependant, le monarque, après lui avoir dévoilé certaines choses concernant sa vie, ne lui avait pas tout raconté, et une fois la curiosité de Galathée attisée par quelques paroles mystérieuses, il devenait presque impossible pour elle de se contenir. Le tout était de poser ses questions dans les formes, en restant correcte. Malheureusement, parfois, ces règles lui échappaient complètement :

« Et ensuite, que s’est-il passé ? Comment êtes-vous devenu Roi de ce pays ? »

C’était indiscret, bien sûr, et si elle l’avait pu, la jolie princesse aurait voulu faire revenir les mots dans sa bouche trop véloce, et les empêcher de s’en échapper. Cependant, ils étaient encore seuls dans cette bibliothèque, à cause de l’heure matinale, et Berganon avait implicitement spécifié que tout autre sujet de conversation que ce pour quoi la Reine lui avait rendu visite lui convenait. Pourquoi pas celui de sa propre histoire ? Lorsqu’on a dévoré des dizaines de biographies, mieux vaut encore les entendre raconter par celui qui a accompli les faits et gestes qui y sont relatés. Cependant, pour ne pas paraître impertinente, elle prit la liberté de rougir et de baisser timidement la tête.

* Plus tard, peut-être que tu seras amenée à soutirer des informations bien plus importantes que celles-ci... Si cette banale conversation peut te servir d'entraînement... *

La souveraine s’efforça d’afficher un air admiratif lorsque le Roi lui raconta les prouesses qui l’avaient conduit à gouverner le continent de la terre. Cependant, cet exercice demeurait difficile. Déjà, parce que les hauts faits de chevalerie la laissait plutôt indifférente, malgré le courage qu’elle devait reconnaître à ceux qui les accomplissaient. Ensuite, parce qu’elle connaissait déjà cette histoire, déclinée sous plusieurs versions. Elle l’écouta cependant jusqu’au bout, avec une grande attention. Parce que c’était toujours ce qu’elle faisait lorsque quelqu’un parlait, notamment une personne haut placée comme son interlocuteur.

Tandis qu’elle demeurait pensive, digérant une nouvelle fois toutes ces informations, Berganon s’aventura sur un terrain que la demoiselle n’avait pas du tout prévu. Elle sursauta, reporta rapidement son attention sur l’homme assis en face d’elle, et tenta de réfléchir rapidement à ce qu’elle pourrait bien dire, tout en feignant de sourire en répondant obligemment.

*Moi ? Oh il n’y a pas grand chose à dire… J’ai eu une enfance normale, bien que parfois assez solitaire, ce qui m'a transformée en un vrai rat de bibliothèque. J'ai sympatisé avec mon cousin jusqu’à ce que celui-ci parte en voyage. Et à son retour, alors que je me faisais une véritable joie de me revoir, il m’a violée. Je suis tombée enceinte à 16 ans, j’ai du boire un horrible breuvage pour ne pas avoir à porter cet enfant, et cela ou quelque chose d’autre m’a donné des cauchemars qui m’annonçaient la mort imminente de mon père, assassiné par son frère cadet. Quelques années plus tard, j’ai eu, bien malheureusement, la preuve que ma prémonition en était bien une. J’ai vu disparaître le Roi sous mes yeux, ma mère s’étioler et mourir quelques jours après… Sinon tout va bien, je vous remercie. Il ne faudrait pas penser que je suis une martyre, non plus. Juste un peu ébranlée, c’est tout !*

Tandis qu’elle songeait à tout cela, de ses lèvres s’échappait un discours totalement différent, et sûrement bien moins choquant à entendre :

« Oh… moi… que puis-je dire ? Pas grand chose. On ne fait la biographie des Rois que lorsqu’ils sont au sommet de leur règne… Comme vous l’avez dit vous-même, je ne suis encore qu’une humble novice dans le métier de gouverner. J’ai bientôt vingt ans…A part grandir, je vous assure que je n’ai pas fait grand chose depuis ma naissance. Ni batailles, ni révolutions…Je suis montée sur le trône il y a quelques mois, peu après le décès de mes parents, comme l’usage l’impose. Il n’y a rien d’autre à dire »

Sous cette réponse évasive, Galathée gardait enterrés les secrets de famille, les assassinats, les déshoneurs. Elle ne livrerait pas cela au premier venu, fut-il un monarque puissant. Berganon en imposait trop pour qu’elle se sente vraiment à l’aise en sa compagnie. Intimider la jeune fille était le meilleur moyen de la pousser dans ses retranchements, et elle n’était pas prête d’en sortir si le Roi continuait à poser des questions de ce genre. Il fallait dire à sa décharge que c’était elle qui avait commencé…

Heureuse de s’en être aussi bien sortie, même si omettre ainsi des passages de sa vie n’avait rien de glorieux, la Reine se rendit bien compte que son vis-à-vis n’était pas dupe. Cependant, il semblait accepter le règle du jeu, qui était de ne pas poser de questions trop indiscrète, et changea de sujet assez rapidement. Ce qu’il dit pas la suite n’avait teneur que de simple bavardage, mais l’attention de la demoiselle s’absorbait tout entière dans la conversation, car celle-ci l’empêchait de penser à chaque instant aux affres du gouvernement.

De plus, Berganon avait touché un point sensible, puisqu’il venait d’aborder ce qui interessait le plus la jeune femme, à savoir les livres et l’histoire qui y était contenue. De plus, si ces ouvrages parlaient de magie…

« Rhydderch, dites-vous… non, je n’y avais encore jamais songé. Pour l’instant, j’ai surtout maintenu ce qui était encore debout, avant de m’interesser à ce qui s’était écroulé. Cependant, ce que vous m’apprenez pourra surement m’être utile. Si jamais je décidais de suivre votre conseil, vous seriez immédiatement prévenu, et bien évidemment, vous pourriez récupérer ce que vous voudrez des biens de votre mère… »

Concluant sa répartie sur cette politesse, elle la fit suivre d’un sourire. Sa curiosité était aiguisée par l’appât de vieux manuscrit, et c’était un déchirement que de devoir en proposer à Berganon. Cependant, ce projet ne serait peut-être mis en œuvre que quelques années plus tard, et cette promesse sera alors surement oubliée. Et même, si ce n’était pas le cas, c’était tout à fait légitime de la part de souverain de réclamer une part du fruit des recherches.

Elle ne fit aucune remarque sur le dragon. Elle comprenait les différentes suites possible de l’histoire, mais évita de poser des questions. Cela n’aurait certainement pas été plaisant.

Comme la conversation sombrait dans un long silence méditatif, la princesse fit un geste pour se lever, avant d’ajouter :

« Pour l’instant, permettez-moi de me retirer afin de préparer mes affaires pour mon retour à Glingal. J’ai été absente bien plus longtemps que je ne l’avait prévu, et bien que votre hospitalité me soit aussi flatteuse qu’agréable, il faut bien que je reparte m’occuper de mes terres… »

Elle se pencha en une légère révérence, et attendit sagement l’autorisation de s’en aller, comme une écolière attend celle de son maître, car le rapport qui venait de s’instaurer entre les deux monarques était assez semblable.