Dans les rues de la cité portuaire et au-delà

[=> L'Auberge du Port]

Elana parcourait les ruelles du principal village portuaire de Träne, ses longues enjambées lui frayant rapidement un chemin à travers les autochtones et autres commerçants itinérants. Le soleil entamait sa course vers l'horizon et il aurait probablement été plus raisonnable pour elle de chercher un endroit où passer la nuit qui s'en venait, mais Elana n'aimait pas dormir dans les auberges, tavernes, et autres boui-bouis... Si elle avait le choix, elle préférait de loin l'unique compagnie de la lune et de son cortège de servantes, aussi avait-elle hâte de quitter le bourg afin de gagner la campagne environnante.

L'agitation des villageois et les exclamations rauques des vendeurs à la criée lui étaient d'autant plus insupportables qu'elle sortait tout juste d'une sympathique entrevue avec une lycanthrope complètement frappadingue et une gosse schizophrène - de quoi lui laisser les nerfs en boule pour un moment, et elle dut se retenir d'assommer sauvagement le commerçant qui venait de se planter devant son nez avec l'un des produits qu'il était si acharné à vendre (des bûches de bois d'au moins 40 livres pièce ; c'était tentant, quand même...).

Pressée de quitter la cohue de la civilisation, elle s'enfonça automatiquement dans une petite ruelle sombre et tortueuse, à priori complètement déserte. Il paraissait d'ailleurs parfaitement logique qu'elle soit si peu fréquentée, étant donné l'état lamentable de la voirie : les dalles qui couvraient ailleurs le sol étaient ici quasiment méconnaissables, fendues, réduites en miettes et couvertes de boue, et la terre en-dessous n'était absolument pas plane, formant plutôt un 'V' au creux duquel s'écoulait un filet d'eau jaunâtre dégageant une charmante odeur.

Fronçant le nez en un rictus de dégoût, Elana ne se laissa pas pour autant décourager, habituée qu'elle l'était aux villages les plus pauvres de la campagne de l'Aerandir et du Linaewen. Elle continua sa route d'un bon pas, sautillant parfois d'un vestige de dalle à l'autre pour ne pas approcher le caniveau. Ce n'est que quelques minutes plus tard que des bruits de pas derrière elle la tirèrent de ses pensées, et elle comprit alors son erreur.

Ayant émergé d'une ruelle adjacente, un énorme type blond barrait maintenant le chemin par lequel elle venait de passer. Sentant le danger, Elana se retourna aussitôt, mais ce fut pour trouver devant elle deux autres colosses, l'un au crâne rasé et l'autre roux, ce dernier arborant un bandage hâtif à l'une de ses mains. Elle reconnut instantanément les pourritures qu'elle avait croisées dans l'auberge à peine quelques minutes auparavant. De toute évidence, ils avaient attendu que quelqu'un sorte et l'avait prise en filature. Comment avait-elle pu être assez bête pour se faire avoir de cette façon ?!

"Allez ma jolie, file ton or sans résister, ça vaudra mieux pour tout le monde..." énonça le chauve avec un rictus de satisfaction.

Ca devait être une bonne journée, pour lui, c'était certain. Eh bien oui, mais non ! En temps normal, elle aurait accepté de céder à leurs exigences, bon gré mal gré : elle savait reconnaître une situation où elle était dans de sales draps, et elle voyait mal comment se dépêtrer de ces trois-là. Mais elle avait besoin de cet argent, elle avait déjà à peine assez pour se payer le voyage de retour sur le continent !

"Désolée, j'fais pas dans la charité" répondit-elle sèchement en se plaquant dos contre l'un des murs de la ruelle.

De cette position, elle pouvait garder les 3 bandits dans son champ de vision, et elle fit courir ses yeux étrécis de l'un à l'autre de ses agresseurs, évaluant, calculant.

"C'est dommage, ça m'embête de devoir t'abîmer."

Le chauve haussa les épaules, l'air pas plus contrarié que ça, et s'avança pesamment vers elle, ses comparses mimant le mouvement avec tout autant d'avidité.

[===>l'Auberge du Port]

Keela suivait plus ou moins l’Humaine dans les rues de Träne depuis quelques temps. Bon, d’accord, elle la suivait complètement, mais de manière relativement discrète, sautant d’un toit à l’autre, et demeurant particulièrement silencieuse. Une fois concentrée, la Lycane pouvait faire une filature parfaite, en quittant son côté un peu brouillon et maladroit.

Elle avait vu les brigands qui l’avaient un peu embêtée auparavant. L’Elfe se demandait d’ailleurs s’il fallait qu’elle fasse quelque chose pour cette Humaine qui n’avait pas écouté ses conseils jusqu’au bout, où si elle pouvait repartir sans avoir une once de regret.

Du haut du toit où elle se trouvait, elle notait que l’Humaine n’était pas agressive. Un peu arrogante pour la situation, mais elle ne semblait pas avoir la force de faire face à des gens comme ceux là. A croire que l’Humaine était un parfait tas de viande vulnérable. Et puis voir le type chauve sortir un couteau rappelait que la viande se coupait...

Donc, pas de regrets à la voir se faire dépouiller, assassiner, et à la manger après.

Pourquoi cela la démangeait-elle autant de sortir son poignard et de se battre, alors ? Pour fondre ensuite sur la victime et la couper en plusieurs petits morceaux, qui, à peine cuits, pouvaient marier une tiédeur agréable, un fondant alléchant, et un côté juteux ? Elle sentait ses crocs grandir dans sa bouche, appâtés par une telle idée.

Sa main commençait à se métamorphoser, elle aussi, prise par cette montée d’adrénaline liée à ce repas promis. Bien sûr que de la viande animale, c’était bon. Cela n’empêchait pas qu’un Humain était bien meilleur, et qu’elle pouvait en manger par pure gourmandise.

Les yeux devenus noirs, peuplés par un croissant de lune pâle, elle parvint à stopper la transformation. Sa main avait quintuplé de volume, était devenue poilue, avec d’immenses griffes et semblaient bien puissantes. Les sourcils de l’Elfe s’étaient rejoints, ses crocs sortaient de ses lèvres qu’ils retroussaient légèrement. L’être tout entier avait légèrement grandit…

Keela prit son couteau, puis fronça les sourcils, visant la tête du chauve, que le poignard transperça de manière plutôt glauque, se mettant à saigner à flots, pendant que l’être sombrait lourdement jusqu’à toucher le sol.

Profitant de la panique, elle sauta de son point d’observation, pour atterrir silencieusement, visible uniquement pour les yeux de l’Humaine qui était en face d’elle. Les brigands tournaient effectivement le dos à la menace, qui décida d’en profiter pour fondre sur eux. A son grand malheur, le blond esquiva la charge de la jeune Elfe, qui vit un poing se diriger vers son visage. Frapper un Lycan vers ses crocs n’étant pas une bonne idée, elle déchiqueta la main du bandit, le sang coulant le long du menton de la bête.

Le reste fut très rapide. Enfoncer les griffes de sa main dans le ventre du blond, puis mordre violemment dans le cou du roux, afin de lui arracher une bonne partie d’organes vitaux qu’elle avala immédiatement.

Puis l’Elfe posa son regard sur l’Humaine, puis sourit, ce qui lui donnait un côté particulièrement sinistre. Les yeux clos, elle laissait son corps reprendre un aspect « normal », avant de reprendre son avancée jusqu’à Elana. Keela se laissa glisser jusqu’à terre, dos au mur, puis releva ses yeux redevenus normaux jusqu’à l’Humaine.

-Au moins, ils ne seront plus un problème, ces gens-là…

Elle bailla à s’en décrocher la mâchoire, puis s’enroula sur elle-même, ne devenant plus qu’un petit louveteau apparemment sans défense et combattant contre le sommeil qui la prenait subitement. L’effort avait pu paraître bref, mais Keela n’était pas des plus habitués, et s’affaiblissait très rapidement après de telles initiatives.

Les nerfs à vif, Elana sursauta lorsqu'un poignard vint se ficher dans le front du chauve avec un bruit d'os brisés peu engageant. Le géant roux s'écarta d'un bond du cadavre de son compagnon, les yeux écarquillés, en beuglant quelque chose d'incompréhensible à son comparse encore vivant. Par réflexe, Elana se tapit sur elle-même et évalua ses chances de passer à côté de l'un des brigands avant qu'ils ne sortent de leur stupeur. Si elle passait du côté de la main blessée du roux et sautait par-dessus le mort, c'était jouable, et elle pourrait filer d'ici sans demander son...

Un son mat interrompit son processus de réflexion et elle se tourna instinctivement vers sa source. Une forme humanoïde venait d'atterrir devant elle, et elle eut un mouvement de recul. Avant qu'elle n'ait eu le temps d'amorcer un geste pour se défendre, la créature fondait déjà sur ses agresseurs, tous crocs dehors. Bouche bée, horrifiée, Elana assista au massacre qui s'ensuivit. Elle n'avait pas particulièrement l'estomac fragile, elle avait déjà vu toutes sortes de combats pas forcément des plus propres et la mort du chauve ne l'avait pas plus dégoûtée que ça, mais cette façon de broyer, de déchiqueter... c'était assez pour lui donner un haut-le-coeur.

La bête était de toute évidence carnivore et manger de l'humain semblait la ravir plus qu'autre chose. Son instinct de conservation lui souffla cette constatation et tira le signal d'alarme, mais elle eut à peine le temps de s'élancer et de faire quelques foulées vers l'extrémité de la rue qu'elle dut se figer, prisonnière sous le regard de la créature qui semblait avoir fini son repas sanglant. Elle bandait déjà ses muscles pour tenter de se défendre de son mieux lorsque, à sa grande surprise, la bête esquissa ce qui devait être un sourire.

Elana resta immobile alors que l'elfe reprenait son apparence initiale. Elle se serait presque reprochée de ne pas avoir reconnu les vêtements de la créature, mais tout à fait franchement, elle avait eu d'autres soucis en tête que de penser à identifier son couturier. Comme, par exemple, sauver sa peau ? Elle ne répondit rien à la lycanthrope, pas plus qu'elle ne se détendit vraiment à ce trait d'esprit, mais continua de la fixer d'un regard perçant.

Le silence était retombé sur la petite ruelle et on entendait à nouveau les bruits des rues les plus commerçantes, non loin. La scène n'avait duré que quelques minutes et les altercations de ce genre ne devaient pas être rares dans les coins les plus sombres de la cité, mais étrangement, Elana doutait que qui que ce soit apprécierait de retrouver des cadavres lacérés par des crocs et des griffes gigantesques, et à moitié déchiquetés. On pouvait accepter les cadavres, oui, les bandits, ok, mais les lycanthropes mangeurs d'hommes ? Elle en doutait. Et comme par hasard, elle entendait justement des éclats de voix qui se dirigeaient vers elles.

Elle se tourna vers l'elfe, fermement décidée à lui suggérer de se tailler d'ici en vitesse avant d'appliquer elle-même son sage conseil (dans la direction opposée au monstre de foire, bien entendu), mais dut s'arrêter net, incrédule. La petite boule de poils se tapit tranquillement dans les replis de ses vêtements à présent vides de tout porteur, apparemment décidée à faire un somme. Durant quelques secondes, Elana dut se faire violence pour ne pas se pincer, juste histoire de vérifier qu'elle n'était pas tombée en plein cauchemar.

Mais les bruits de pas se rapprochaient, et c'était le moment ou jamais de prendre ses jambes à son cou avant d'être accusée de complicité avec le monstre qui rôdait dans la ville pour éventrer les braves soûdards. Elle siffla un juron bien senti entre ses dents serrées. Son cerveau décida finalement qu'il avait assez travaillé pour la journée, plia bagages et laissa les rênes à sa Stupidité Hériditaire (elle ne la voyait pas souvent, celle-là, mais vu les antécédents familiaux c'était difficile d'y échapper). Elle attrapa le canidé, l'enroula sans faire de manières dans les vêtements de l'elfe et chargea le tout dans ses bras, de sorte que seul le museau du louveteau émergeait du paquet de vêtements.

Puis, sans se laisser le temps de douter de sa santé mentale, elle se remit à courir vers l'autre bout de la rue, décidée à quitter finalement cette ville de dingues. Et si elle en avait l'occasion, elle balancerait l'elfe dans la première rivière qui lui tomberait sous la main, tiens.

Par bonheur, les petites ruelles ne tardèrent pas à l'emmener aux limites de la cité.

Elana sentit la petite boule chaude au creux de ses bras exécuter un petit soubresaut, émergeant apparemment du royaume des songes. Elle lui jeta un regard circonspect, puis retroussa les lèvres en un rictus agacé lorsqu'elle perçut le gémissement qui provenait du paquet de vêtements. L'elfe n'aimait pas être trimballée comme un colis inutile enrobé de chiffons ? Tant pis pour elle. Si elle ne perdait pas son temps à se prendre pour Fido le chiot trois fois par jour, ça n'arriverait pas. Une partie traîtresse de son esprit lui souffla avec sollicitude qu'elle devrait probablement la reposer par terre, car ces tremblements convulsifs ne pouvaient pas être de bon augure pour la bonne condition mentale de la lycanthrope.

Elana l'envoya contempler les sept brasiers de Stalers d'un peu plus près.

Elle suivait à grands pas la route qui s'éloignait du village, ignorant les autres voyageurs qui la croisaient en sens inverse. Un chemin se présenta bientôt sur sa droite, gravissant la colline dont la route contournait le flanc, et la vagabonde eut tôt fait de s'y faufiler. C'était l'un de ces petits chemins de terre peu entrenus qui se frayaient un chemin dans la végétation épaisse, contournant ici un olivier, suivant là le cours d'un petit ruisseau... Elana perdit très vite de vue la route principale, mais continua de s'enfoncer dans les terres, ses longues enjambées avalant rapidement la distance.

Fort heureusement, au moment où la bataille entre sa "bonne" conscience et son esprit buté menaçait de la rendre folle, la petite chose dans ses bras avait cessé de trembler. Sa chaleur s'insinuait maintenant à travers les vêtements dans lesquels elle était enveloppée, blottie contre sa poitrine, et Elana dut presque consciemment se rappeler qu'elle n'avait pas l'instinct maternel et n'appréciait certainement pas les petites choses qui se blottissaient contre elle.

Elle fronça le nez de dégoût, incapable de décider envers qui elle était le plus en colère - l'elfe pour les avoir mis dans cette situation, ou elle-même pour s'être encombrée d'une variable aussi aléatoire et potentiellement dangereuse. Et geignarde, qui plus est.

Le chemin longeait à présent un petit étang bordé de roseaux, ombragé par quelques arbres penchés sur son onde. Elana s'attarda quelques instants à observer la végétation, notant sans mal les différences entre toutes ces plantes et celles que l'on pouvait trouver sur le continent. De tout évidence, le climat de Träne était propice au développement d'une faune diverse et luxuriante. Le vent frais qui venait de la mer ne pénétrait pas très loin à l'intérieur des terres, et il faisait plus doux sur l'île que dans le Linaewen, le royaume d'où elle venait.

S'arrachant à sa contemplation silencieuse, elle quitta finalement le chemin et se dirigea vers un oranger au pied duquel elle déposa son fardeau. Elle ne se sentait aucune envie de se montrer diplomate, aussi saisit-elle simplement un pan des vêtements de l'elfe et entreprit-elle de tirer dessus pour le dérouler, faisant fi de l'inconfort du louveteau ballotté en tout sens. Elle vit enfin émerger une touffe de fourrure, et eut la courtoisie de se pencher au-dessus d'elle pour s'enquérir, le visage inexpressif :

"Toujours vivante ?"

La vagabonde haussa un sourcil, sarcastique.

"Quelle amabilité... J'en reste pantoise" fit-elle avec un rictus cynique.

Ceci dit, bien qu'elle n'en laissa rien paraître, c'était tout de même une information précieuse. Elle était bonne combattante - il le fallait pour survivre seule sur les routes aussi longtemps - mais elle avait vu la lycanthrope se débarrasser de ces trois hommes comme si ça ne représentait rien, en à peine une minute d'un combat inégal et sanglant.

Elle ne comprenait toujours pas ce qui l'avait poussée à la faire sortir de la ville avec elle, probablement un accès inattendu de pulsions suicidaires, mais maintenant que c'était fait elle pouvait difficilement revenir en arrière. La décision la plus sage aurait sans doute été de se tirer de là le plus vite possible, avant même que l'elfe n'ait achevé sa transformation quand elle l'avait reposée par terre, mais Elana n'aurait pas supporté de tourner le dos à un ennemi potentiel. Ses transformations successives avaient l'air d'avoir grandement fatigué la Sindar, si elle en jugeait par sa pâleur, mais ça ne voulait pas dire qu'elle n'aurait pas été capable de la rattraper en un temps record.

Et puisqu'en définitive, la fille avait l'air assez reconnaissante envers elle pour ne pas l'ajouter à son menu (quoique visiblement à contrecoeur), ce n'était pas une si mauvaise idée que ça de ne pas avoir pris ses jambes à son cou.

Ce danger étant écarté, du moins pour le moment, Elana s'accorda enfin le temps de déboucler sa cape. Tendant le vêtement devant elle afin d'en évaluer l'état, elle eut une moue de dégoût. En plus de l'odeur âcre de la bière qui subsistait, la prenant aux narines, une certaine quantité de tâches de sang avaient trouvé le moyen de s'incruster dans le tissu, sûrement lors de l'incident avec les brigands. C'était sale, ça puait, et si elle ne lavait pas ça tout de suite le sang allait persister pendant des semaines.

"Beurk" formula-t-elle explicitement, plus pour elle-même que pour sa compagne.

Ignorant tout à fait l'elfe, elle se détourna et se dirigea en quelques enjambées vers le bord du lac où elle s'accroupit. L'eau avait l'air relativement propre, aussi y plongea-t-elle sa cape dans l'espoir de redonner un aspect acceptable au tissu. Le soleil tapait sur ses bras nus, offrant un contraste agréable avec le vent frais qui bruissait entre les roseaux. C'aurait pu être une belle journée pour débarquer à Träne, n'eut été cette série de mésaventures fort déplaisantes...

Elana faillit sursauter lorsque la lycanthrope plongea dans l'eau près de la berge sans prévenir. Absorbée par sa tâche, elle en était presque venue à oublier la présence de l'autre. Il faut dire que l'elfe savait se faire discrète et puisqu'elle affirmait n'avoir aucune intention de la dévorer, la vagabonde n'avait pas jugé nécessaire de surveiller ses moindres faits et gestes. Non pas qu'elle eut une confiance aveugle en sa parole, mais si la Sindar mentait elle pouvait probablement la tuer quand elle le voulait, même après ses transformations répétées. Sa vigilance n'y changerait rien, alors...

Elle coula un regard ironique sur la lycanthrope qui émergeait, apparemment décidée à ne pas passer une seconde de plus dans l'eau. Elle était trempée jusqu'aux os et ses vêtements pendaient sur sa silhouette, flasques. Son expression misérable n'arrangeait en rien le tableau, et on aurait dit que quelqu'un l'avait jetée là sans son consentement, alors qu'elle s'était elle-même imposée cette "torture". Elle ne comprendrait jamais les créatures qui se complaisaient dans la saleté (malheureusement, cela incluait aussi une certaine partie de la population humaine mâle)...

"Toujours là ?" jeta-t-elle par-dessus son épaule, sans détourner les yeux de sa tâche.

Le tissu avait l'air à peu près propre, maintenant, ou du moins il n'arborait plus de taches trop grossièrement visibles sur le noir de la cape. Qui plus est, l'odeur de bière avait disparu, noyé sous l'eau de l'étang, et elle se redressa avec une expression satisfaite.

"Qu'est-ce que vous attendez pour disparaître, puisque je ne vous servirai pas de dessert ?" reprit-elle en essorant consciencieusement le vêtement.

Une fois son vêtement soigneusement tirbouchonné pour en extirper toute l'eau possible, Elana s'était mise en quête d'un coin d'herbe où elle pourrait le laisser sécher au soleil. Cette recherche étant plus difficile qu'il n'y paraissait, étant donné qu'elle pouvait parfois se montrer relativement maniaque, elle n'écoutait guère que d'une oreille le bavardage de l'elfe, et se trouva donc tout à fait prise au dépourvu quand une main griffue se referma sur son poignet pour la tirer violemment en arrière.

Elle atterrit sans douceur sur le dos de la lycanthrope et, sous le choc, ne trouva pas tout de suite le souffle nécessaire pour prononcer le juron qui lui était automatiquement monté aux lèvres. Et finalement, lorsqu'elle put enfin reprendre la parole, ce ne fut que pour laisser échapper un "Quoi ?!" incrédule, d'un ton singulièrement plus aigu que celui dont elle avait l'habitude.

Un rugissement assourdissant retentit dans son dos, faisant siffler ses oreilles et résonnant jusque dans la pointe de ses orteils, et elle se cramponna par réflexe à n'importe quel bout de l'elfe se trouvant actuellement à portée de sa main, manquant l'étrangler malgré la sage recommandation que celle-ci avait débitée plus tôt. Pâle comme une morte, sa cape encore humide oubliée dans l'une des mains qu'elle avait refermées comme des serres sur les épaules de sa sauveteuse improvisée, Elana se laissa ballotter de droite à gauche par la lycanthrope qui se frayait à grande vitesse un chemin à travers le sous-bois.

Elle laissa échapper un hoquet lorsque sa monture s'arrêta brusquement, l'air perdu, avant d'entreprendre de faire volte-face.

"Quoi ?" répéta-t-elle, ouvrant de grands yeux alarmés lorsque l'avertissement parvint jusqu'à son cerveau. "En-dessous ? Mais comment ça, en-dessous ?!"

Sa voix se brisa, peu habituée qu'elle était aux octaves inusités qu'elle explorait actuellement, et elle ne put que laisser échapper un couinement étranglé lorsqu'elle aperçut pour la première fois la créature gigantesque qui se jetait droit sur elles. Ce ne fut pas la recommandation de l'elfe qui la poussa à s'aplatir contre son dos - de cette phrase, elle n'avait probablement retenu que les mots "passer en-dessous" - mais un réflexe frénétique et incontrôlé, celui qui, depuis des milliers d'années, poussait les autruches à enfouir leurs têtes dans le sable à l'approche du danger. Elle ne vit donc rien de ce qui se passa après ça, ignora de son mieux le rugissement - de douleur, même si elle l'ignorait - qui fit se dresser ses cheveux à la base de sa nuque, et s'appliqua consciencieusement à garder son visage plaqué contre le dos trempé de l'elfe, les yeux fermés si fort qu'elle voyait une myriade d'étoiles se dessiner sur le fond de ses paupières.

Il fallut plusieurs minutes pour qu'elle accepte enfin de rouvrir un oeil, lorsqu'elle s'aperçut que le vacarme produit par l'ours semblait effectivement se faire plus lointain, et que les crapahutages désespérés de la lycanthrope avaient peut-être fait leur effet, après tout. C'est donc mue par une curiosité bien légitime qu'elle se retourna à son tour pour tenter d'évaluer le danger, et ne remarqua donc pas plus que l'elfe le nouveau danger qui guettait.

"Héééé !"

Le temps qu'elle s'étonne de sentir soudain son moyen de transport perdre l'équilibre et basculer en l'arrière, elle se retrouva affalée par terre, le souffle coupé par le poids de la fille qui s'était étalée sur elle. Et le temps qu'elle songe à se dégager, voilà qu'un étrange son de corde qui se tend parvenait à ses oreilles, et elle n'eut plus qu'à pousser un glapissement aigu lorsqu'elle fut soulevée de terre et enveloppée dans un joli paquet cadeau.

Pendant à plusieurs mètres au-dessus du sol comme un fruit grotesque, le filet se balançait doucettement de gauche à droite, nonchalant. Sonnée par la cumulation excessive de surprises désagréables dans la dernière demi-heure, Elana mit un certain temps à reprendre ses esprits et à rassembler ses pensées éparpillées. Cela fait, son cerveau en vint logiquement à déterminer la réaction immédiate que tous ces évènements exigeaient d'elle, et il était donc parfaitement prévisible qu'elle entre dans une humeur noire.

Remuant d'un coup sec pour évaluer la solidité de la construction qui les avait perchées là, elle enfonça par inadvertance - ou peut-être pas tant que ça - son coude dans l'estomac de l'elfe.

"Mais où est-ce que je suis tombée ?" éructa-t-elle, reprenant la voix vaguement traînante qu'elle utilisait d'habitude, et qui n'avait rien à voir avec les couinements pathétiques qui lui avaient échappé précédemment. "Depuis quand les ours s'attaquent aux voyageurs au beau milieu d'une plaine, simplement pour le plaisir d'exposer leurs crocs bavants au monde entier ?! Et qu'est-ce que ce filet fait là, mille tonnerres ! Des gamines schizophrènes, des lycanthropes, des ours, et maintenant des chasseurs qui posent leurs pièges n'importe où. Mais qu'est-ce que c'est que cette île de fous ?!"

Elle avait beau être furieuse, elle n'en était pas pour autant stupide, et le volume de sa propre harangue ne l'empêcha pas d'entendre les bruits de pas qui se rapprochaient justement en contrebas. Probablement le chasseur en question qui avait dû entendre l'activation de son piège et venait relever ses proies. Braquant son regard noir sur les fourrés en-dessous d'elle, elle le fusilla du regard à l'instant précis où elle l'aperçut.

"Vous, là ! C'est vous qui avez tendu ce fils de Mitroble de piège ?! Faites-nous descendre de là !"

Moraïna avait marché des jours entiers, grimpant dans les arbres la nuit pour ne pas être surprise par d'autres envoyés du chat roux. Ils avaient tué sa mère, ils haïssaient Mitroble, et s'ils la retrouvaient, elle était sûre qu'ils la tueraient. Elle n'avait plus personne à qui se raccrocher, et espérait que, bientôt, elle retrouverait une de ses semblables, afin de mettre fin à cette pesante solitude.

Au coeur de la forêt, elle n'avait jamais croisé personne, et elle ne le souhaitait guère. Pourtant des voix résonnaient un peu plus loin, et la fillette qu'elle était hésita à se montrer. S'ils étaient là pour la tuer elle aussi ? Elle s'approcha discrètement, à l'abri des fourrés, et écouta la conversation entre un homme aussi carré que celui qui avait mis le feu à sa cabane, et deux femmes prises au piège dans un filet. Qu'est-ce qu'il allait faire maintenant qu'il les avait capturées ? Ah... Non, ça n'était pas pour elles qu'il avait tendu le piège, mais elles étaient tombées dedans malgré tout. Il demandait compensation ? La femme aux cheveux longs marmonnait quelque chose dont elle ne comprit que le mot "jambes" et l'enfant haussa un sourcil.

A priori, il n'avait rien contre elle, si elle restait calme, si elle cachait ses ailes, elle ne risquait rien... Instinctivement, elle regarda par-dessus son épaule pour vérifier qu'elles n'apparaissaient pas, puis sortit sans bruit de sa cachette et vint tirer la manche du grand costaud.

- Monsieur, dis, c'est quoi une compensation ? Et pourquoi les dames elles sont pendues à l'arbre ?

S'il y avait quelque chose qu'elle semblait tout à fait être, c'était une fillette tout ce qu'il y a de plus innocent... Et perdue. Elle dirait que ses parents ont été tués par une grosse vilaine bête dans la forêt, si on la questionnait. Quelque part, ça n'était pas totalement faux...

(HRP : Je ne serai pas là du week-end, donc je me permets de faire le PNJ, et un petit bout de Keela histoire de faire avancer le Schmilblick)

(HRP2 : si elles sont pendues, c'est pour faire du saucisson... c'est la première réponse qui me vient à l'esprit...)

L'homme sursauta en sentant une petite main lui tirer la manche. Il quitta sa contemplation des deux prisonnières, pour fixer l'enfant, qui, vu le regard que lui adressait le chasseur, était plutôt malvenue.

Petite fille innocente... Autant, les deux femmes sont toujours intéressantes. Il aurait pu les vendre comme esclaves, ou autre chose, qu'importe, il aurait donné la marchandise au plus offrant. Cependant, une petite fille, c'était soit un témoin malheureux, soit un problème : nul n'achetait des enfants, et c'était plutôt immoral que d'y toucher.

Donc il fallait chercher à s'en débarrasser. La première chose à faire était tout de même de tenter d'assouvir la curiosité de la petite fille...

-Une compensation, c'est ce que quelqu'un qui a détruit quelque chose qui t'appartenait doit te donner en échange, pour se faire pardonner.

Il sourit légèrement...

-Et si elles sont pendues là, c'est parce qu'elles ont déclenché le piège que je gardais pour un gros anim...

La phrase fut coupée de manière un tant soit peu violente par "la dame aux cheveux longs", qui avait assommé le chasseur avec un morceau de bois.

-Zut ! Foutue forêt !

Elle s'adossa à un arbre, pendant quelques secondes, pour essayer de reprendre ses esprits. Keela avait profité que la gamine détourne l'attention du chasseur pour ronger les fils, et s'était laissée tomber. Cependant, cela ne calmait en rien le fait qu'elle n'était pas en forme du tout.

Ce qui ne l'empêchait pas de prendre le chasseur sur une épaule, et de le déposer dans le reste du filet, pour l'y enfermer avec l'aide de quelques noeuds bien serrés. Ensuite, elle posa son regard sur Elana et la petite fille, bâilla et soupira de fatigue, avant de remercier l'enfant :

-Keela Malkyr, poète. Désolée que tu aies vu ça, mais... en même temps, merci de l'avoir un peu déconcentré.

Elle se gratta l'épaule d'un air un peu ailleurs. Pour une Elfe de cet âge, alors quelle semblait avoir à peine quitté l'adolescence, elle venait de faire un miracle. Miracle qui était sans compter le fait qu'elle soit Lycanthrope.

[HRP : merci Keela, ça me permet de répondre à mon tour, ensuite on laissera Elana... tomber de l'arbre ]

Moraïna écouta vaguement la réponse du type d'une oreille distraite, appliquée à garder un visage innocent. Derrière lui, elle espérait bien que les femmes en avaient profité, et quand après un gros "BAM" évocateur, il s'effondra sur le sol, elle sourit à la femme aux cheveux longs.

- Je suis contente que vous ayez pu descendre de là, Madame.

Un instant, elle dévisagea les deux femmes, fit un petit coucou à l'autre dame qu'elle n'avait pas vu descendre, mais qui avait peut-être été surprise par la chute, puis reporta son attention sur celle qui avait assommé l'homme et qui ne semblait pas au mieux de sa forme. La tête légèrement penchée sur le côté, elle lui demanda d'une petite voix.

- Ca va aller ? Vous n'avez pas l'air en forme...

[HJ : C'est pas bientôt fini, oui, cette déferlante de posts ? XD]


Accrochée des deux mains au reste de filet pendant encore en l'air, Elana fit ce qu'elle savait faire de mieux et se répandit dans une bordée de jurons des plus virulents. Quoi, il y avait une gosse dans les parages ? Bah ! Elle entendrait sans doute bien pire à l'avenir, autant habituer tout de suite ces innocentes oreilles au doux chant de la civilisation ! Et de toute façon, que faisait cette fillette ici, au milieu d'une forêt où les chasseurs s'en donnaient apparemment à coeur joie pour rendre la traversée de simples voyageurs quasi-impossible ? Il lui semblait avoir déjà donné en matière de gosses louches avec la petite serveuse du port, quel besoin y avait-il d'en rajouter une couche ?! Elle en serait presque venue à croire en l'existence des déesses, juste parce qu'il y avait forcément quelqu'un là-haut qui se payait une bonne tranche de fou rire à ses dépends !

Et cette satanée elfe qui n'avait rien trouvé de mieux à faire que de ronger le fond du filet. Si elle ne s'était pas retenue par réflexe quand la corde avait lâché sans crier garde, elle aurait très bien pu se rompre le cou ! Est-ce qu'il y avait seulement pensé, cet avorton de louveteau décérébré ? Question stupide, pourquoi s'en serait-elle donnée la peine, elle n'était que son garde-manger portable après tout, quelle importance si elle crevait maintenant ou plus tard ?

Elana interrompit enfin son interminable flot d'insultes à l'encontre du chasseur, de la lycanthrope, de l'ours qui les avait menées là, du piège de corde, de la grand-mère du chasseur, de l'arrière-grand-père de la lycanthrope, du poisson avarié que l'ours avait sans doute ingurgité avant de les attaquer, de l'arbre cent fois maudit auquel était accroché cet en***** de piège (ici, une ellipse narrative semble s'imposer) [...] et de la descendance dégénérée du chasseur, pour évaluer d'un oeil critique la distance qui séparait ses pieds ballants de la terre ferme. La jugeant satisfaisante, elle lâcha enfin prise et se laissa tomber, son talon manquant de peu le visage de l'homme inconscient que l'elfe avait déposé dans les restes du filet.

Les paumes de ses mains avaient été échauffées par le contact prolongé avec la corde, elle était à moitié trempée d'être restée si longtemps sur le dos de la lycane, et sa cape, tombée à terre quand le filet avait cédé, s'était enduite d'une généreuse quantité de poussière. La récupérant avec une mauvaise humeur flagrante, la vagabonde se mit à la secouer énergiquement dans l'espoir de lui rendre un aspect présentable.

La sollicitude de la gosse pour l'elfe - Keela, avait-elle dit s'appeler, mais quelle importance ? - lui arracha un reniflement railleur. Elle aurait pu lui dire que la lycanthrope se portait probablement encore assez bien pour lui arracher la tête avant qu'elle ne se rende compte qu'elle avait seulement bougé, mais elle n'était pas non plus inutilement cruelle. Elle irradiait pratiquement des ondes négatives à une lieue à la ronde, mais cela ne voulait pas dire qu'elle allait traumatiser une gosse simplement pour le plaisir.

Ne comptez pas sur elle pour se montrer polie et sociable, ceci dit.

Tournant le dos à ses compagnes, elle s'accroupit près du chasseur inanimé et entreprit de lui faire les poches avec application. Ce n'était pas le genre de choses dont elle avait l'habitude, mais elle avait besoin d'argent et de toute façon, ce fils de Mitroble avait plus que mérité ce traitement. Elle trouva finalement une petite bourse et en soupesa le contenu avec un sourire de contentement. Par souci d'équité, elle desserra le cordon de cuir et versa la moitié de la monnaie dans la paume de sa main avant de jeter la pochette refermée à Keela.

La femme aux cheveux courts descendit de son perchoir en débitant tout son stock d'insultes et Moraïna la dévisagea un moment. Fils de Mitroble était revenu assez régulièrement... Si elle savait que la Déesse de l'eau telle qu'elle la connaissait n'existait plus ! Enfin, elle n'avait pas l'air de s'inquiéter beaucoup de ce qui était bien ou mal, occupée qu'elle était à faire les poches de l'homme assommé. Morna reposa son attention sur la femme aux cheveux longs qui venait de se prendre la bourse sur la tête. Elle ne semblait vraiment pas en forme, mais semblait vouloir faire croire que ce n'était pas grave. La fillette lui sourit.

- Oui, moi aussi je suis un peu fatiguée à force de marcher. D'habitude, je ne fais pas la sieste l'après-midi, mais je monte dans un arbre pour dormir la nuit.

La femme lui demanda finalement si elle avait besoin d'aide, et la fillette secoua vigoureusement la tête, faisant voler les deux longues couettes bleutées autour d'elle.

- Non ça va. Il faut juste que je continue à marcher, c'est dangereux par là-bas.

Elle indiqua d'un doigt la direction d'où elle semblait venir, et sourit.

- Bonne sieste Madame. Au revoir !

Elle avait lancé son au revoir aussi à l'attention de celle aux cheveux courts, mais ne semblait pas se soucier de savoir si elle allait répondre ou non. Après un petit signe de la main, elle recommença à marcher, vers l'orée de la forêt...

[HJ: C'est le moment de l'arrêter, sinon Morna va vers la sortie ^^ Enfin... Un peu plus à couvert dans la forêt pour aller dormir dans un arbre.]

A peine émue par la remontrade de Keela pour son langage coloré à l'égard des précieux ancêtres de l'elfe, Elana se permit toutefois de lui adresser un regard venimeux à la question qui suivit. Est-ce qu'elle avait une tête à chiper quotidiennement dans la bourse des autres, quitte à se retrouver dans la mouise jusqu'au cou parce que les caïds du coin s'étaient aperçus de ces petites manigances ? Certainement pas ! Elle laissait ça aux elfes lycanthropes perturbées de la carafe, au même titre que les litres de sang et les joyeusetés du cycle de la lune. (De toute façon, elle avait déjà bien assez à faire avec ses propres histoires de sang et de cycles...)

Elle aurait presque pu croire que l'elfe lui avait posé pareille question expressément pour la mettre en colère, si ce n'était le ton avenant avec laquelle elle s'était exécutée. D'après le peu qu'elle savait de la bestiole, elle se donnait rarement la peine de dissimuler ses intentions et aurait été totalement incapable de lancer ce genre de piques l'air de rien. Stupide, inconsciente, effrontée créature, pourtant capable d'échapper à un ours affamé et de ronger un filet de corde épaisse dans ses pires journées.

Jurant toujours à mi-voix, elle fourra rageusement son larcin dans sa bourse et prêta l'oreille à la conversation de la lycane avec la fillette.

Elle étrécit les yeux, seule réponse à l'adieu de la gamine, et se dirigea lentement vers Keela, suivant du regard la silhouette de la petite qui s'enfonçait dans les sous-bois.

"Elle est bizarre, cette gosse. Qu'est-ce qu'elle faisait là, toute seule au milieu de la forêt ?" grogna-t-elle, oubliant que son interlocutrice n'était pas exactement la meilleure personne avec laquelle discuter de ce genre d'étrangetés.

Elle coula un regard méfiant dans la direction que la fillette avait désignée comme étant dangereuse avant de partir. Qu'est-ce qu'elle avait voulu dire par là ? Qu'on y trouvait un repaire d'ours assoiffés de sang, ou peut-être une armée de gamines schizophrènes ?

[HJ : Et elle repart déjà...]

Morna sursauta quand la femme aux cheveux longs s'exclama qu'il ne fallait pas aller par là. Elle s'arrêta, et se retourna lentement, intriguée. Elle disait qu'il y avait un ours par là-bas. Un ours... Maman disait qu'il y avait des bêtes dans la forêt dont il fallait se méfier, et elle croyait bien se souvenir que les ours en faisaient partie, sans jamais en avoir vu. Elle haussa les épaules, et quand la femme prit une autre direction, elle la suivit. Tant que ce n'était pas celle de la clairière, ça n'avait pas vraiment d'importance pour la fillette.

Keela les avait guidé jusqu'à une caverne qui pourrait leur servir d'abri, et la petite fille lui sourit.

- Ce sera plus confortable que perchée dans un arbre...

Non, elle ne se rendait pas compte du danger que cela pouvait représenter. Elle ne savait pas la nature de la femme aux cheveux longs, et quand bien même elle l'aurait su, elle ne connaissait rien des particularités de cette race. Elle avait grandi seule avec Maman dans leur petite chaumière, isolée du monde extérieur...
Pourtant, une petite voix au fond de son coeur lui intimait la prudence, et elle s'installa contre une paroi, pas trop loin de la sortie, mais tout de même à couvert, de sorte qu'elle aurait une chance de prendre la fuite si ça se gâtait. Epuisée, elle se lova contre le mur, et sourit une nouvelle fois à Keela.

- Vous étiez fatiguée, vous devriez vous reposer aussi. La dame aux cheveux courts peut peut-être vous remplacer ?

Et sans vraiment attendre de réponse - c'est qu'une fois posé, on n'a plus aucune combattivité - elle ferma les yeux, bien vite emportée par le sommeil.

***

Il y avait le bruit de l’eau, des vagues se brisant contre la rive. Il y a avait l’odeur du sang, un sang frais, tout juste versé. Il y avait aussi la chaleur du feu, celle du brasier qui consume tout. Et pourtant il faisait sombre, si sombre que l’on n’y voyait rien, ni l’eau, ni le sang, ni le feu. Et puis une silhouette s’est détachée de l’obscurité. Un enfant aux yeux brûlés, à la chevelure de feu, qui tenait un ours en peluche dans une main, un couteau rouillé dans l’autre. Il pleurait, et ses yeux pourtant brûlés, laissaient apparaître des éclairs. Il se retourna, et un brasier apparut, jadis une petite maison de village à présent livrée aux flammes.

Des silhouettes se forment, les unes après les autres, et, comme s’il écoutait ce que lui disait l’arme sur laquelle étaient crispés ses doigts, il égorge une à une les silhouettes. Son visage est maintenant maculé de sang, et il est seul à présent, lui aussi.

Et puis l’obscurité revient, les corps, le sang et l’enfant ont disparu, mais un minuscule oiseau aux ailes noires volette quelques instants avant de venir se poser sur l’épaule de Morna. Ca ne parle pas un oiseau. Pourtant celui-ci demande de l’aide. Il n’y a pas un son qui ne trouble le clapotis de l’eau au loin, et pourtant, la Déesse comprend qu’il faut qu’elle lui vienne en aide. A cet oiseau… Et à l’enfant de tout à l’heure. Ils sont liés à présent, elle sait qu’il la retrouvera…

[HJ : Et elle revient. ^__^ En tout cas, quelqu'un a eu une promotion, dans l'histoire... XD]


Elana ne saurait probablement jamais ce qui l'avait poussée à suivre le mouvement, marchant cinq pas derrière la gamine sur laquelle elle braquait un regard méfiant. Elle ne faisait pas confiance à Keela, avait assez assisté à ses démonstrations de force pour savoir qu'elle n'aurait aucune chance si la lycanthrope choisissait de revenir sur ses paroles et de se retourner contre elle. Elle ne paraissait pas vouloir le faire, mais il n'en restait pas moins qu'elle le pouvait, et cela aurait dû être assez pour qu'elle profite de la première occasion pour s'éclipser et reprendre son voyage.

Elle ne restait même pas pour la gosse, par la volonté d'un quelconque instinct maternel qui la pousserait à s'assurer que l'elfe ne l'attaquerait pas. Elle n'avait jamais eu l'instinct maternel, Preums pouvait en témoigner, et elle ne pensait pas à cette fillette bizarre en terme de vulnérabilité, aussi innocente ait pu être son apparence, mais en tant que potentiel problème. Sans qu'elle puisse déterminer pourquoi, elle était presque certaine que la fille avait plus de profondeur qu'une simple orpheline perdue dans la forêt. Là encore, elle aurait dû s'en laver les mains et chercher le plus court moyen de s'extirper de cette compagnie agaçante.

La lycanthrope lui avait tourné le dos sans arrière-pensées, se contrefichant apparemment de qui la suivrait ou pas (probablement tablant qu'il y en aurait au moins une sur les deux pour l'accompagner, ce qui lui garantirait son prochain repas). Quant à la gosse elle n'aurait rien pu faire pour la retenir, quand bien même elle en aurait eu eu l'intention. Alors, pourquoi... ? Pourquoi en était-elle là, à pénétrer avec circonspection dans la caverne étroite que Keela avait dégotée, alors que la gamine se blotissait déjà contre une paroi ?

La curiosité.

C'était la seule réponse qui lui paraissait un tant soit peu satisfaisante, et encore manquait-elle singulièrement de substance. Elana avait toujours été quelqu'un de curieux, surtout envers tout ce qui concernait de près ou de loin la magie, mais pas seulement. C'est vrai, elle était curieuse de comprendre à quoi jouait Keela, pourquoi elle avait vraiment choisi de la laisser en vie, curieuse aussi de savoir ce que cachait cette fille, curieuse d'apprendre ce qui allait se passer, maintenant. Mais sa curiosité n'avait jamais mis sa vie en danger, ne l'avait jamais poussée à rester quand elle aurait dû partir, et elle ne retira de ses pensées qu'un profond sentiment de frustration envers elle-même.

La voix fluette de la gamine l'incita à rationnaliser à nouveau la situation. Puisqu'elle était ici, autant en tirer le meilleur parti, et cela n'incluait certainement pas de laisser une elfe psychopathe "veiller sur son sommeil". Qu'elle ait ou non l'intention de les égorger dès qu'elles baisseraient leur garde, il n'en restait pas moins que la lycanthrope n'avait pas été foutue de rattraper une bourse à peine quelques minutes auparavant et qu'elle semblait plus sur le point de s'écrouler de sommeil que de se transformer en loup sanguinaire.

Elana laissa échapper un reniflement railleur à l'intention de Keela et renchérit sur la suggestion de la fillette, qui venait par ailleurs de sombrer dans les bras de Morphée.

"Ca m'ennuierait de servir de dîner à un ours parce que vous aurez trouvé opportun de vous transformer en chiot au milieu de votre tour de garde. Si vous voulez vous rendre utile, allez plutôt dormir."

[HJ : Bah... voui ^^... Tu as vu, les enfants, il suffit de leur dire "sieste", et ça reste avec vous A moins que ce ne soit que notre déesse qui soit intéressée par le sommeil]
[HJ2 : Moui, il a eu une promotion. N'empêche que c'est assez mauvais pour Keela et Elana, s'il arrive jusqu'ici... Keela est plutôt naïve et innocente... pas lui.]

Keela avait sourit légèrement à la petite fille, qui, à part ses cheveux bleus, n'avait pas l'air si dangereuse que cela. Malgré tout, étant donné que même les Elfes n'avaient pas de couleurs étranges à leurs chevelure, que les Lycans avaient des cheveux gris, ou un peu teintés de cette couleur, et bien... et bien tout portait à croire que cette enfant n'avait pas grand chose de normal.

A moins qu'elle ne soit une Fée, ou un truc dans le genre. Les parents de Keela lui avaient parlé d'autres êtres vivants. Et qu'est-ce qui empêchait la gamine d'être plus étrange qu'elle, hein ? Rien du tout. Chacun son choix de vie.

L'Elfe posa ensuite son regard sur l'Humaine, qui, une fois n'est pas coutume, la fit sourire avec franchise, sans aucun signe d'ironie. Keela haussa les épaules d'un air enfantin, puis répondit :

-Vous n'avez pas tort.

Et plutôt que de s'enfoncer dans un coin agréable de la caverne, la Lycanthrope s'installa quasiment au-dehors, pour se blottir contre la paroi. Visiblement, elle évitait d'être dans un endroit trop confiné. Pas seulement pour la beauté du geste.

Rapidement, un louveteau se retrouvait allongé dans ses vêtements, et dormait profondément. Elle savait bien qu'elle se reposait mieux sous cette forme à l'apparence innocente. Sans évidemment réfléchir au fait que la petite fille aux cheveux étranges pouvait se poser bien des questions, en voyant un animal à la place d'une dame. Non, pour que Keela songe à cela, il aurait fallu qu'elle soit un tant soit peu plus en forme -et encore, elle n'était pas des masses attentive à sa lycanthropie, finalement- et qu'elle ne pense pas à ses idées pseudos-révolutionnaires sur l'acceptation des races lycanthropes dans le monde.

Donc, Keela dormait.

Elle rêvait, aussi, à des terrains de chasse sans frontières, à des joies, des haines, des amours. Elle rêvait de vie, quoi. Rien de bien important. Ses parents, surtout, parce qu'avant tout, Keela était une gamine qui était partie de chez elle pour voyager un peu. Et pour vivre selon ses propres moyens et ses propres règles -qui incluaient "voler c'est bien"-.

Et tout portait à croire que ce sommeil était nécessaire, puisqu'elle dormait longuement. Les heures défilaient, sans que la lycanthrope ne change sa façon de respirer, ni ne bouge. Truffe au sol, chatouillée par les vents de la nature, elle se reposait.

[HJ : Bah, Elana ne peut pas faire grand-chose contre les lycanthropes, mais elle pourra toujours filer à Keela un bon coup de pied dans le tibia si elle se montre trop stupide à son goût. XD A part ça, désolée de te griller la priorité Moraïna, mais ça me semblait plus logique de caser ce message avant le réveil de vos persos. ^^"]


Elana jeta un dernier regard à la boule de poils empêtrée dans les vêtements de l'elfe, une moue désapprobatrice sur les lèvres. Cette idiote n'avait donc aucun sens de la discrétion ? Non pas qu'elle se posât encore la question. Ruminant sombrement sur l'injustice du monde entier envers une pauvre vagabonde qui ne cherchait qu'un peu de normalité, elle s'enroula dans sa cape encore humide et s'installa contre le mur de la caverne faisant face à la fillette.

Le soleil se couchait tout juste, lançant ses derniers rayons obliques en un chatoiement ambré qui l'obligea à plisser les yeux quelques instants. Puis l'astre disparut sous l'horizon et la petite caverne plongea dans l'obscurité annonciatrice de la nuit. Elle aurait peut-être dû allumer un feu, ne serait-ce que pour sécher totalement sa cape, mais cela aurait impliqué de s'éloigner des deux autres pour aller chercher du bois et elle ne pouvait pas se le permettre. Elle avait implicitement accepté de monter la garde pour elles, et quand elle s'engageait à quelque chose elle tenait généralement parole. Qui plus est, un feu aurait risqué d'alerter des prédateurs de leur présence (à commencer par les ours).

Somme toute, le jeu n'en valait pas la chandelle. Quelqu'un d'autre qu'elle aurait sans doute attrapé froid, à force de veiller toute la nuit dans une cape à peine sèche, mais elle se savait résistante aux basses températures et ne s'inquiétait pas outre-mesure, d'autant plus que le temps semblait plus clément sur Träne que sur la partie du continent dont elle venait.

Elle s'appuya donc contre la paroi rocheuse et se prépara à une longue nuit de veille. Les yeux perdus parmi les étoiles qui s'allumaient lentement dans le ciel, elle retrouva avec plaisir le murmure de la vie nocturne qui s'éveillait et le souffle du vent qui lui chuchotait des mystères oubliés par les hommes.

Toutes les nuits précédentes, elle les avait passées dans une minuscule cabine à la vague odeur de moisi sur un navire qui tanguait et roulait sous ses pieds. Le ciel au-dessus de sa couchette était hermétiquement fermé, le seul murmure qu'elle entendait provenait du rire gras et des blagues paillardes des marins de quart. Elle n'avait eu de cesse d'attendre avec impatience son retour à la terre ferme, maudissant tout du long le lézard geignard qui l'avait poussée à se lancer dans pareil voyage.

Maintenant, enfin, elle retrouvait vie. La journée avait été mouvementée et elle n'aurait probablement pas dit non à une bonne nuit de sommeil à même le sol de la caverne, mais l'air nocturne passait un baume sur ses frustrations et ses peurs et il ne fallut que peu de temps avant qu'elle ne se débarrasse de toute tension superflue. Elle laissait ses yeux bruns filer d'un côté à l'autre sous ses paupières à demi-fermées, ses oreilles filtrant le moindre bruit qui lui parvenait.

Parfois, ses yeux se fermaient totalement pendant quelques secondes et son menton s'inclinait vers sa poitrine. Mais alors le vent soufflait dans les arbres et elle redressait la tête, aussi alerte que jamais. Ces quelques instants de sommeil, couplés au calme et à la sérénité qui coulait en elle, ne valaient pas autant qu'une nuit complète, mais ils étaient suffisants pour qu'elle se sente quelque peu reposée lorsqu'elle aperçut enfin les premiers signes d'un éclaircissement du ciel.

[HJ : Oui, il y a eu une promotion, mais je suis pas sûre en effet que vous vouliez le rencontrer de suite. C'est pas que, mais il a de drôles de réactions parfois mon oracle... C'est pour ça que je l'aime bien ^^]

Les rayons du soleil commençaient à pointer sur l'horizon et Moraïna à s'agiter dans son sommeil. Une main tendue essayait de toucher l'oiseau noir, mais ne rencontrait que le vide, et, petit à petit, elle ouvrit les yeux, redécouvrant la caverne froide et la femme aux cheveux courts qui montait la garde. Elle n'aimait pas trop les rêves, elle se souvenait en avoir fait de nombreux, qui, loin de la rassurer, l'avaient perturbée plus que tout, annonciateurs du destin funeste de Mitroble... Elle se redressa, tâchant de s'en remémorer pourtant les moindres détails. C'était étrange, que le petit garçon de son rêve ait égorgé toutes ces silhouettes et qu'elle ai pour lui pourtant autant de compassion. Etait-ce à cause de la maison en flammes qui lui rappelait comme Maman avait été tuée ? Ou parce qu'il était tout seul, lui aussi ? En tout cas, elle avait une destination supplémentaire : elle devait le retrouver. Quelque chose lui disait que c'était aussi important que de retrouver ses "soeurs".

La petite fille regarda finalement la femme aux cheveux courts, puis fit le tour de la caverne. Pas de trace de la femme aux cheveux longs, mais ses vêtements étaient là... et il y avait une petite boule de poils roulée dans le tissu, encore endormie. Avec une certaine appréhension, la fillette observa la créature, craignant d'abord que ce ne fut un autre chat, comme celui qui avait guidé les hommes vers Maman pour la tuer. Mais non. Ca ne ressemblait pas au chat roux. Le museau était plus long, la queue plus épaisse. Elle s'approcha doucement, puis posa une main sur la tête de l'animal, caressant les poils duveteux du louveteau, sans réaliser qu'il pouvait ne pas s'agir d'une bête inoffensive...