Chambre de Neffarasiel

La Reine était tombée de cheval, et dormait depuis deux jours. Voilà ce qui se chuchotait dans les couloirs du palais de Glingal. Le bruit courait qu’alors qu’elle accueillait au port d’Aegnor une ambassade venue de Mynorie, la monture de Dame Ker’Osken s’était emportée, et sa cavalière, déconcentrée, n’était pas parvenue à conserver son équilibre. Elle était tombée brutalement sur le dos, et était restée dans un état de semi conscience tandis qu’on la transportait au palais sous le nez des ambassadeurs décontenancés. Depuis , elle reposait dans sa chambre, un médecin venant l’ausculter toutes les deux heures tandis que sa nourrice demeurait patiemment auprès d’elle. Certains parmi les plus ambitieux des nobles commençaient déjà à parler à voix basse de succession possible. La souveraine n’avait pas de famille proche, mis à part son oncle détesté. Les gens avaient bien entendu remarqué l’ange qui était entré au service de la rouquine quelques mois auparavant, et commençaient à se demander s’il ne s’agissait pas là d’un possible rival.

Délaissons cependant les intrigues de cour pour nous pencher au chevet de notre amie Galathée (bah oui quand même!^^). Celle-ci, à l’aube de son troisième jour de coma, commença à se tourner et à se retourner dans son lit, au prise avec un rêve des plus étranges. Même dans son profond sommeil, elle en avait soupçonné la nature. Cette impression de réalité, d’horreur, ces sentiments empruntés à autrui et qui déferlaient en elle, la jeune femme les connaissaient. Elle avait vu à deux occasion son propre père mourir. Une fois dans un cauchemar de ce type.

Cette fois-ci, elle fit un effort pour se réveiller, sortir de son songe. Cela fonctionna. Aussitôt, la douleur de la victime reflua, pour laisser la place à son propre malaise. En reprenant conscience, la première chose que la jeune Reine ressentit, ce fut un intense mal de dos. En voulant se retourner, elle grimaça. Son bras en écharpe la faisait souffrir parce qu’elle était appuyée dessus. Dans sa confusion et son angoisse, elle ne remarqua pas qu’on lui avait retiré sa robe d’apparat de velours pourpre pour une longue robe blanche. Un léger manteau assorti semblait l’attendre sur l’accoudoir du fauteuil où sommeillait sa nourrice. Galathée se leva, retint un gémissement. Sa jambe gauche lui faisait mal au niveau du genou, mais elle devait faire vite. La vieille dame ne se réveilla pas quand sa protégée franchit le seuil de sa chambre.

Sitôt dans le couloir, la jolie rousse fut prise d’une frénésie qui la força de courir, malgré ses contusions. Son manteau volait derrière elle, tandis qu’elle trottinait le long du couloir en grimaçant. Peu de gens étaient déjà réveillés, mais ça n’empêcha pas une jeune soubrette de vouloir l’arrêter et la reconduire dans sa chambre. Elle la bouscula et continua sa course. Elle savait qui pourrait l’aider, mais dans son agitation, ne pouvait que se diriger instinctivement dans les bâtiments. Elle emprunta un escalier, trébucha, se rattrapa à la rampe, et après deux autres virages à la trajectoire plus qu’étrange, se retrouva devant une porte. La jeune femme, essoufflée, les larmes aux yeux, entra sans frapper dans le salon qui précédait la chambre.

« Neffarasiel! »

Gal sentit ses jambes céder sous elle, et se rattrapa comme elle le pouvait. Un fauteuil se trouvait à proximité, mais elle ne s’assit pas. Elle était agitée, le teint blafard, les yeux rouge. Si on ne s’était pas douté de son identité, on aurait pu croire qu’une hystérique s’était introduite dans le palais. Ses mains blanche se tordaient douloureusement, tandis qu’elle appelait de nouveau, d’un ton entrecoupé et plus faible:

« Neffarasiel!! »

Deux jours... Cela faisait deux jours que Galathée était dans un état stable mais assez peu encourageant. Sa chute de cheval avait été un calvaire pour l'ange. Il y avait insisté, impuissant à faire quoique ce soit et l'avait vu tomber comme au ralenti. Sans cesse, il revoyait le film de cette chute dans sa tête, imprégné d'un fort sentiment de culpabilité. Il avait juré de la protéger et il avait lamentablement échoué. Evidemment, qu'aurait-il pu y faire en toute sincérité? Rien. Mais cela ne suffisait pas à la consoler d'avoir manqué à son devoir envers la reine. La logique n'intervenait pas vraiment dans cette affaire.

Il n'avait donc pu que se précipiter vers elle, s'assurer de son état physique, avant de pouvoir la transporter jusqu'au palais. Elle lui avait semblé si frêle, inconsciente, sa formidable volonté et son feu ne la soutenant plus. Il s'était montré le plus doux et précautinneux possible, dirigeant les opérations, calmant la foule affolée. Et les murmures mesquins et calculateurs des nobles ne lui avaient pas échappé... Qu'ils complotent, il n'en avait cure. Qu'ils croient même qu'il était un possible rival. Il savait que c'était faux. Mais ça, ils ne pouvaient pas le comprendre, prisonniers de leurs esprits fourbes et hypocrites...

Et depuis, elle dormait. Il y avait eu quelques petis dégats physiques, mais rien de très grave, fort heureusement. Il avait insisté pour veiller la petite Reine et avait obtenu ce droit, même si sa servante ne trouvait pas ça convenable. Il lui avait fallu faire montre de patience et de diplomatie. Et il l'avait convaincu de sa bonne foi. Mais chacun a ses limites et Neffarasiel avait atteint les siennes quelques heures avant le réveil de Galathée.

Il avait donc accepté de mauvaise grâce de se reposer un peu et était rentré épuisé dans ses appartements. Il avait juste prit le temps de se laver, avant d'enfin céder à la fatigue et aux doux bras de Morphée. Il dormit donc quelques heures d'un sommeil de plomb et sans rêves.

C'est alors qu'une voix féminine et implorante le réveilla. Il ne mit que quelques instants à comprendre ce qui se passait et qui parlait ainsi. Galathée... Elle était réveillée, mais sa voix paniquée l'inquiétait. Il se leva d'un bond, ne prenant pas la peine de mettre une chemise et il se précipita donc dans le salon en pantalon et torse nu (et non, il dort pas à poil XD). Il resta un instant interdit devant l'état de la jeune fille. Elle avait une mine affreuse, séquelles de sa chute et de sa convalescence. Elle n'aurait pas du se lever dans cet état!

Il se précipita vers elle pour la soutenir, l'air inquiet mais sévère en même temps. Si elle continuait de s'agiter comme cela, elle allait s'évanouir! Il la fit doucement asseoir, mais avec fermeté, toute résistance s'avérant inutile. Puis, il s'accroupit face à elle.

- "Galathée, vous ne devriez pas être debout dans votre état..."

Il se rendit compte de ce que ses paroles avaient de rébarabatives et il s'interrompit. Il sourit, apaisant et rassurant.

- "S'il vous plait calmez-vous et racontez-moi ce qui vous amène au petit matin dans mes appartements... Je vous ai donc tant manqué?"

Il sourit, histoire de la détendre un peu et de la calmer. L'hystérie ne mènerait à rien. Il posa une main sur celle de la jeune fille et la fixa de son regard clair, patient et attentif.

On accourut, on la soutint, on la fit assoire, on lui parla. Ce que Neffarasiel lui disait n’avait pas beaucoup d’importance. Il était là, c’était le principal.

« Je vous ai donc tant manqué?"

Bien sûr qu’il lui manquait, à chaque fois qu’il s’éloignait d’elle. Mais là n’était pas la question. Jamais elle ne l’avouerait, ne serait-ce que sur le ton de la plaisanterie. Qui plus est, dans la présente situation, la damoiselle n’était pas en état de faire de l’humour…

Il posa une main sur la sienne. Elle la serra compulsivement, oubliant pour une fois ses vieux réflexes. Elle était trop absorbée par ses songes pour avoir peur de se trahir. Ce n’était plus sa seule dignité qui était en jeu.

« J’ai… fait un rêve… Pas un rêve… non... non...C’était réel… »

Sa voix était altérée et sans timbre, comme si quelqu’un d’autre parlait à travers sa bouche. Elle se redressa en se rendant compte de la situation. La jointure de ses doigts blanchissait tandis qu’elle agrippait la main de l’ange.

« cette fille! Je l’ai vu… il faut… Elle est en danger! »

La jeune femme voulut se relever, mais renonça. Son ami lui bloquait le passage. Il fallait le convaincre qu’elle disait la vérité, qu’il ne s’agissait d’un simple songe. Mais son éloquence était partie en même temps que les souvenirs liés à sa chute. Elle s’aperçut soudain qu’elle ne savait plus pourquoi elle s’était blessée. L’air perdu, complètement égarée, elle interrogea:

« Au fait… qu’est-ce… qu’est-ce qui s’est passé? »

N’importe quel observateur un peu aguerri aurait remarqué que Galathée n’était pas dans son état normal. Elle alternait entre une grande faiblesse et une agitation presque impossible à contenir. Pourtant, l’expression de son visage demeurait bouleversante de sincérité lorsqu’elle parlait de son rêve. Elle savait que ce ne serait pas suffisant pour convaincre l’ange. Personne n’avait voulu la croire, lors de sa première vision. Pourtant, elle savait que là, dans l’immédiat, quelqu’un allait mourir si elle ne faisait rien. Après un tel rêve, elle ne pouvait rester sans bouger. Elle ne savait pas d’où il venait. Elle était simplement certaine qu’il s’était déjà, ou allait se réaliser.

Mais bien sûr, avec son air de folle, après un accident dont elle ne se souvenait même plus, la Reine ne se serait pas étonné que Neffarasiel la raccompagne gentiment dans sa chambre en lui disant de dormir. L’abattement la saisit soudain, et elle se raccrocha à ses souvenirs, pour se rassurer. La nostalgie de sa première entrevue avec l’ange la saisit. En comparaison, c’était tellement plus simple…

Neffarasiel fut surpris de la force avec laquelle la jeune femme lui serra la main. Elle était réellement affolée, paniquée et perdue. Il lui lança un regard interrogateur qu'elle ne sembla pas voir. A vrai dire, elle semblait voir des choses qui lui étaient inaccessibles à lui.

Elle lui expliqua alors qu'elle avait fait un rêve, avant de se reprendre et de dire que c'était réel. Etait-elle tombée sur la tête? Est-*ce que son cerveau se mettait à dérailler suite à sa chute? C'était probable, mais pourtant... Pourtant, Neffarasiel hésitait à mettre ce qu'elle disait sous l'étiquette hallucinations.

Elle serra plus fort la main de l'ange qui grimaça légèrement. Non pas qu'elle lui fit mal, mais cette façon de faire montrait à quel point elle était agitée. Elle parla d'une fille qu'elle avait vu et qui était en danger. On aurait pu mettre cela sur le compte d'un délire post traumatique... On aurait pu. Mais Neffarsiel renâclait à faire cela. En même temps accorder foi à ses dires n'était guère mieux.

Elle tenta de se relever, mais Neffarasiel de par sa position l'en empêchait et de toute façon, la jeune femme était un peu trop faible pour se lever si violemment. Elle sembla se calmer et prit un air perdu. Et elle demanda ce qui s'était passé. L'ange soupira.

- "Galathée. S'il vous plait calmez-vous et reprenons, d'accord?"

Il sourit, réconfortant et prit doucement le menton de la jeune femme entre ses doigts pour la forcer à accrocher son regard et à s'ancrer dans la réalité présente.

- "Vous êtes tombée de cheval, il y a de cela presque trois jours. Une chute sans gravité, mais vous êtes restée inconsciente tout ce temps."

Il se passa une main sur le visage, soudain las. L'air de rien, deux nuits sans ommeil, ça laissait des traces.

- "En tous les cas, vous me voyez infiniment soulagé de vous voir debout et à peu près en forme."

Il fronça les sourcils :

- "Donc, vous avez vu une jeune fille en danger et vous voulez que j'aille voir, c'est ça? C'est peut-être le contre coups de la chute Galathée..."

Il soupira :

- "Qu'avez-vous vu exactement? Comment était-elle? Où?"

Galathée s’apercevait bien que son garde du corps hésitait, ne sachant que croire. Il l’obligea avec douceur à relever le menton, et elle n’eut d’autres choix que de le regarder dans les yeux, s’y noyant pour réussir à ne pas pleurer. L’explication de la chute lui donna l’impression que des lambeaux de sa mémoire lui revenaient, mais elle savait que sa mémoire reconstituait simplement des souvenirs à partir de ce que lui disait Neffarasiel.

* Ces pauvres dignitaires qui pensent toujours que je suis dans le co…coma ?*

Ses yeux bleus s’aggrandirent démesurément, et elle crut un moment qu’elle allait se trouver mal. Un lien venait se former , qu’elle n’avait pas pu identifier jusque là.

« Inconsciente.. » laissa-t-elle échapper.

« Mais alors, c’est comme quand j’ai vu mon père…. »

Elle lâcha la main de l’ange pour la mettre devant sa bouche. Ses lèvres s’amincirent de telles sorte qu’aucune autre parole malencontreuse ne puisse s’en échapper.

Devant les paroles rassurantes et douces de l’ange, la jeune Reine, qui semblait recouvrer queqlue force, laissa échapper un soupir de découragement.

« Epargnez-moi ce genre de discours idiots. Je sais que ce que j’ai vu était réel… Une petite blonde, agressée par des bandits, au bord d’une route. Vu le paysage… c’était certainement Aegnor… Oui… il y avait le volcan, au loin… C’était tellement réel… Comme si j’y étais… Et puis je sais que ce rêve n’en était pas vraiement un… »

Mais bien sûr, plus elle affirmerait cela, plus l’ange pouvait douter. Un contre-coup de la chute…C’était légitime, bien sûr, de songer à cela. Mais tellement décevant de la part de quelqu’un qui se disait son ami…

La jeune rousse, se laissa aller contre le dossier de son siège , en soupirant de nouveau. Le temps pressait. Elle savait qu’il y avait quelque part une gamine en train d’agoniser au bord d’une route, et que si elle ne faisait rien, cette petite risquait de…

* Non ! Une fois, pas deux ! Tout sauf la laisser mourir sur le bord d’un fossé*

Elle soupira une seconde fois. Comment convaincre son compagnon qu’elle disait vrai, et qu’elle n’était pas seulement une gamine hallucinée ? Pourquoi son autorité lui faisait-elle défaut quand elle le voyait, de telle sorte qu’elle ne pouvait plus dire simplement : « Je sais que quelqu’un est en danger, accompagnez-moi, nous y allons ! » ?

« C’était comme… un autre jour, où j’ai eu une vision de ce genre… durant une sorte de…maladie…»

Elle s’interrompit, secoua la tête d’un air impatient. Ce n'était pas en s'embourbant dans des paroles imprécises qu'elle pourrait être convaincante.

Ses yeux avaient repris leur vivacité, même si son teint demeurait cadavérique, et qu’elle économisait ses mouvements. C’était peut-être le moment de révéler ce qu’elle avait sur le cœur depuis des années. Après tout, si c’était la seule caution qui pouvait prouver la véracité de ses paroles, peut-être que ça en valait la peine. Elle releva la tête vers l’ange, avant de reprendre, d’un ton extrèmement sérieux.

« Si je vous raconte tout depuis le début, vous me croirez, n’est-ce pas ? »

(et oui, ca va partir en blablatage, larmes et révélations, mais faut gagner du temps, notre demoiselle en détresse n'est pas encore acceptée^^)

Neffarasiel eut l'air surprit quand Galathée ouvrit des yeux démesurés et souffla quelques mots qui devaient avoir un rapport, mais pour elle seule. Inconsciente... son père. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier? Elle lâcha sa main et il en conçu un pincement de regret assez incongru dans la situation présente. Apparemment, ce qu'elle evanit de laisser échapper ne devait pas être connu. Bizarrement, il en fut peiné qu'elle se reprenne et ne lui accorde pas sa confiance.

Le visage de l'archange se ferma quand elle le reprit et lui demanda de cesser de lui tenir ce genre de discours idiot. Mais qu'attendait-elle de lui? Qu'il se précipite tête baissée dans une situation née de l'inconscient d'une jeune femme qui avait été dans le coma? Pensait-elle vraiment qu'il puisse faire une chose pareille? Enfin, c'était insensé!

Elle lui soutint pourtant que ce qu'elle avait vu était réel. Elle lui décrivit la demoiselle en détresse, la situation et même à peu près l'endroit. A peu près seulement. Il soupira et murmura :

- "On peut chercher longtemps pour ma trouver... Aegnor est vaste."

Découragée, Galathée se aissa aller dans son siège, cherchant sans doute un moyen de le convaincre. Cela le chagrinait qu'elle doive réflechir pour y arriver. Il aurait tellement voulu la croire aveuglément en cet instant.

Deuxième soupir de sa part. mais elle semblait prendre une décision. Et quand elle commença à parler, l'ange redressa la tête, totalement attentif à ce qu'elle allait lui révéler. Son comportement avait changé, imperceptiblement, mais elle ressemblait plus à la Galathée qu'il connaissait. Malgré sa paleur, elle semblait déterminée et avoir toute sa tête. Ce fut sa voix et son expression sérieuse qui l'interpellèrent.

Elle lui demanda s'il la croirait si elle lui racontait tout. Il hésita avant de répondre. Il ne voulait pas lui promettre quelque chose à l'avance et trahir sa promesse ensuite. Il soupira et répliqua :

- "Je promet d'aller voir ce qu'il en est et de trouver cette fille après."

Voilà. Cela la rassurerait. Qu'est-ce que ça lui coutait après tout de faire des recherches en ce sens? Rien, juste un peu de temps, mais c'était négligeable. Et puis, pour le bien être de la Reine, il était près à tout. Il avait pris garde de ne pas promettre de la croire. Ca, il n'était pas certain de pouvoir le faire et il ne voulait pas lui mentir. Peut-être que la subtilité n'échapperait pas à la Reine. Il espérait le contraire bien entendu.

- "Allez-y, je vous écoute... Vous savez que vous pouvez me faire confiance Galathée."

Mais il était déjà convaincu que c'était le cas. Ne s'était-elle pas précipitée chez lui à son réveil pour y chercher de l'aide et du réconfort? Cela le touchait au delà des mots...

[Pas de problème, c'est un plaisir d'être en ta compagnie ]

Heureusement que Galathée s’était calmée, et avait commencé à réfléchir correctement, sinon, les deux jeunes gens n’en seraient jamais sortis, dans leurs hésitations et leurs désaccords. Enfin, Neffarasiel accepta de l’écouter. Pas de la croire. Cela la blessa, malgré le fait qu’elle sache que c’était parfaitement normal. De toute façon, avec ce qu’elle s’apprêtait à lui révéler, si l’ange ne lui accordait pas un quelconque crédit, la damoiselle n’avait plus qu’à se jeter par une fenêtre en désespoir de cause. En tout cas, il avait redressé la tête, et se montrait attentif.

"Allez-y, je vous écoute... »

Jamais elle ne se serait attendue à raconter cela à qui que ce soit. Enfin…peut-être à Neffarasiel, mais pas dans ces circonstances. Ses yeux croisèrent ceux de son ami et s’y arrêtèrent, mais la Reine ne le regardait pas vraiment, car elle se retrouvait comme de nombreuses fois auparavant plongée dans de douloureux souvenirs. Elle ne savait pas trop à quel moment commencer pour que son histoire soit compréhensible sans tomber dans le mélodrame. Personne ne pouvait comprendre ce qu’elle avait ressenti lors de ces différents événements, il était donc inutile de s'y attarder.

« J’avais seize ans lorsque mon cousin est revenu du continent du mal, où il avait été fait prisonnier. Avant qu’il ne parte, nous étions très proches. Il… »

Elle s’arrêta un instant. Elle ne voulait pas expliciter le portrait d’un personnage qu’elle détestait à présent. Cependant, malgré le crime qu’il avait commis, son cousin tel qu’elle se le rappelait avant son départ en expédition demeurait lié à plusieurs de ses meilleurs souvenirs.

« Lorsqu’il est revenu, tout a semblé aller pour le mieux. Nous passions beaucoup de temps ensemble… »

En fait, ce n’était pas si difficile. Les mots coulaient de sa bouche sans qu’elle fasse d’effort pour les prononcer, comme si la Galathée qui avait vécu les événements n’était pas celle qui les contait à présent. Jamais elle ne se serait attendu à un tel détachement. Enfin, il était vrai qu’elle devait contenir ses nerfs afin de ne pas éclater en sanglots. Mais elle ne savait pas si c’était lié à la situation présente ou à sa mémoire.

« Un jour il… il m’a… »

C’était le passage le plus difficile à évoquer. La jeune fille détourna la tête, car elle ne pouvait supporter le regard de l’ange. Qu’allait-il penser en sachant qu’elle était… comment disait-on, déjà ? souillée ? Pour dissimuler son trouble, elle continua, plus rapidement, pour en avoir rapidement finit :

« Je me suis retrouvée enceinte. Je ne pouvais ni ne voulais garder cet enfant. Personne ne devait savoir. Une vieille guérisseuse que je suis allée consulter en secret m’a donné une potion. Une fois que je l’ai absorbée, je suis tombée inconsciente pendant de nombreux jours. Vous remarquerez qu’il s’agit d’une situation similaire à celle-là ! »

Cette phrase d’argumentation fut coupée par un reniflement. Sa main valide se crispait et s’ouvrait machinalement. Galathée cessa de parler quelques instants, et, finalement, réussit à prononcer encore quelques phrases avant de se mettre à pleurer :

« Juste avant de me réveiller, j’ai fait un rêve…pareil à celui-ci. Je voyais mon père…mon père qui mourait. Il était assassiné. J’en ai parlé à ma mère. Elle n’a pas voulu me croire, en me disant, comme vous, que c’était la cause de ma maladie. J’avais dit à tout le monde que j’avais été atteinte d’une maladie contagieuse pour qu’on me laisse en paix. »

Ca y est, la voilà qui pleurait. Elle n’avait pas tenu longtemps. Mais qui l’aurait blâmée, tandis qu’elle racontait de tels événements ?

La rouquine se recroquevilla sur son fauteuil, et cacha son visage dans ses genoux, oubliant qu’elle avait mal lorsqu’elle remuait. Sans relever la tête, elle laissa échapper, d’une voix accablée :

« Plusieurs mois plus tard, mon père mourait. Dans les circonstances décrites par ma vision »

Elle resta immobile, n’osant affronter le regard de l’ange tandis qu’il en arrivait à ses propres conclusions. Elle avait l’impression qu’elle suffoquerait si elle prononçait ne serait-ce qu’une parole supplémentaire.

Finalement, Galathée lâcha le présent pour plonger dans le passé, Neffarasiel le vit à son regard vide, tourné vers des souvenirs qu'elle seule connaissait et pouvait voir. Pour qu'elle hésite ainsi, cela devait être particulièrement pénible et difficile...

Alors commença son récit. D'abord l'évocation d'un cousin chéri qui avait été fait prisonnier sur le continent du mal. Déjà là, l'ange pressentit une terrible trahison. On ne revenait pas indemne d'une quelconque captivité et encore moins là bas. Et ses craintes s'avérèrent confirmées. Son regard bleu se durcit tandis qu'une haine implacable envahissait son coeur devant le spectacle de cette jeune femme blessée, trahie et... violée. Elle ne réussit pas à prononcer le mot, mais nul besoin de cela pour comprendre. Elle ne le regarda pas, craignant sans doute de lire le jugement dans le regard azur de l'être ailé.

Et son coeur se fendit en deux en apprenant que de ce viol avait été concu un enfant. Un enfant qui n'avait pas eu le droit de naître... C'était difficile à entendre cette confession. Il n'osait même pas imaginer ce que cela faisait de revivre ce calvaire. Et c'en était suivit l'inconscience qui n'avait même pas été bénéfique.

Neff ne bougeait pas et semblait à nouveau impassible alors qu'il commençait à comprendre que la jeune femme avait des visions. Un don de prescience apparemment. Et il s'en voulut d'avoir douté d'elle. On aurait pu penser à un hasard... Mais il n'en était rien. Elle avait assisté à la mort de son père en songe et avait été obligée de le faire en vrai parce que personne ne l'avait crue. Sa détresse prit alors toute sa mesure.

Elle pleurait maintenant, recroquevillée dans son fauteuil, si fragile. Il s'en voulut de l'avoir obligée à lui parler de ça pour qu'il accepte de l'aider. Il n'aurait pas du. En même temps, il devait être l'une des seules personnes à être au courant... Il soupira et se déplaça légèrement, s'asseyant sur l'accoudoir et passant un bras légèrement hésitant derrière le cou de la jeune femme. Il l'attira à lui, dans l'espoir qu'elle tire réconfort de son étreinte.

- "Je suis désolé. Je n'aurais jamais du douter de vous. Jamais. Et je ne le ferais plus."

Il refoula la haine qu'il éprouvait pour l'odieux cousin.

- "Nous allons chercher cette jeune fille. Et nous la trouverons. Je te le promet."

Il ne fit même pas attention au passage au tutoiement. Après ce qu'ils venaient de partager, ils ne seraient jamais plus des étrangers l'un pour l'autre...

- "L'histoire ne se répétera pas..."

Comment faisait-il pour demeurer impassible alors qu’elle lui racontait ce qu’elle avait de plus intime ? C’était dans sa nature, elle le savait, et c’était cela aussi qui l’impressionait chez lui. Ce calme tranquille qu’elle-même ne pouvait qu’imiter de manière imparfaite. Ses yeux, cependant, reflétaient toute sa tristesse, toute sa compassion. Décidément, la Reine avait l’impression qu’elle ne pourrait jamais offrir à son ami qu’un visage larmoyant.

Quand enfin la jeune femme eut finit de parler, Neffarasiel eut une réaction qu’elle n’osait plus attendre. Loin de la repousser, il l’attira contre lui et l’enlaça. Ce qui, en même temps que ses paroles rassurantes, déclencha une inondation de larmes chez la demoiselle. Elle se serra contre lui, peut-être même un peu plus que ce qu’elle aurait dû. Mais c’était sans s’en rendre compte, et sur le moment, cela passerait forcément inaperçu. De même que le tutoiement lui semblait naturel, même si elle-même aurait certainement beaucoup de mal à tutoyer l’ange. Cela ne faisait pas partie de son éducation. Et mine de rien, voir les différentes barrières qui l’éloignaient encore un tant soit peu du bel homme s’effondrer ne la rassurait pas vraiment.

L’instant se prolongea. Après toutes ces émotions, Galathée se sentait lasse, et n’avait plus envie de bouger. Il fallait dire aussi que malgré la situation, elle ne pouvait s’empêcher de trouver ce moment agréable. Après les larmes, les supplications et les mauvais souvenirs, il s’agissait d’une sorte de détente inespérée. De plus, elle se sentait vidée, épuisée, et aurait volontier plongé dans le sommeil.

Malgré tout, dans son esprit, demeurait l’image d’une jeune fille en train d’agoniser sur le bord d’une route. Elle ne savait si l’événement était imminent, ou si il s’était déjà produit. En tout cas, c’était une affaire d’heures, peut-être de minutes. Peut-être pourraient-ils empêcher cela de se produire, ou, plus probablement, soigner et rassurer cette adolescente. Galathée n’avait pas vu les cause de sa blessure. Elle avait été maltraitée, laissée pour morte, selon toute probabilité. La rouquine ne pouvait se résoudre à abandonner cette fillette. C’est pourquoi, en faisant un effort de volonté, elle s’éloigna de l’ange. Etrangement, la souveraine paraissait un peu reposée. Ses yeux étaient plus vifs, son teint avait rosi. Des traces de larmes subsistaient sur ses joues, mais elle avait repris un air décidé. Maintenant que Neff ne lui bloquait plus le passage, elle tenta de se relever, plutôt maladroitement à vrai dire. Devant son état de faiblesse, elle s’empressa de préciser, d’un air buté :

« Si v…tu y vas, je viens avec toi ! »

Elle savait d’avance que l’être ailé protesterait, mais ne comptait pas se laisser faire. Ils avaient déjà trop perdu de temps, et elle seule pouvait exactement préciser l’endroit où se déroulerait (ou s’était déroulé) l’accident. De plus, c’était sa vision, par conséquent, il était logique, du moins pour elle-même, d’y aller personnellement.

« Il faudra prévenir ma nourrice. Elle va sûrement s’apercevoir bientôt de ma présence ici, et je vais en entendre parler pendant les dix prochaines années… »

Cette tentative d’humour se solda par un pâle sourire, un tremblement brusque dans les membres. La rousse se retrouva obligée de se rattraper à l’accoudoir du siège, évitant soigneusement de toucher une nouvelle fois son compagnon. Malgré sa grande faiblesse, sa volonté demeurait inébranlable. Neffarasiel, malgré ses arguments, serait obligé de l’emmener.

L'ange n'osait même pas espérer que Galathée s'abandonne ainsi dans ses bras. Loin de se rejeter en arrière ou de résister, elle céda à l'étreinte, se blotissant contre lui. Et le contact chaud de la jeune femme sur sa peau nue l'éléctrisa. Il s'en voulut de sa réaction, rien moins que légitime quand on tenait une jolie femme dans ses bras. Mais il était au dessus de ça quand même non?

Aussi emprisonna-t-il son désir très loin dans son être et serra-t-il doucement la petite reine contre lui, tentant de lui transmettre sa force tranquille et sa sérénité. Il lui passa une main légère dans le dos, en une subtile caresse rassurante, ressemblant plus à celle d'un frère à sa soeur qu'un amant à sa maîtresse. De toute façon, il ne pouvait la considérer autrement n'est-ce pas?

Et l'instant magique s'envola... Galathée le repoussa doucement, un peu ressourcée et bien plus calme. Comment décrire la perte qu'il ressentit quand elle s'écarta? Il lui semblait soudain avoir perdu une partie de sa chaleur. Il se refusa à analyser cet étrange état de fait et la regarda tenter de se lever. Quelle obstinée! Elle lui expliqua d'un air buté et d'un ton sans appel qu'elle viendrait avec lui.

- "Galathée..."

Mais déjà elle l'interrompait, s'empressant d'enchainer sur le fait qu'il faudrait prévenir la nourrice. Elle manqua s'écruler tant ses membres faibles ne pouvaient plus supporter son poids. Il secoua la tête et marmonna :

- "C'est de la folie. Tu tiens à peine debout!"

Mais elle avait gagné. Il poussa un profond soupir et se passa une main sur les yeux, rassemblant ses idées. Il releva la tête, ses yeux ayant prit un éclat déterminé :

- "Assois-toi. Je vais me charger de ta nourrice et t'apporter des vêtements plus aptes à notre excursion."

Il leva les yeux au ciel, continuant de marmonner dans sa barbe, alors qu'il se dirigeait vers sa chambre :

- "Emmener la Reine dans cet état... de la folie... des ennuis..."

Des échos devaient lui parvenir de la pièce d'à côté, étouffés par les murs. Quand Neff revint, il était totalement habillé, prêt à partir.

- "J'arrive."

Il s'éclipsa à nouveau pour revenir au bout de quelques minutes, des vêtements dans les bras. Des vêtements appartenant à la Reine et qu'il avait soigneusement chippé dans son armoire royale au nez de la servante qui dormait encore du sommeil du juste. Habitué à se déplacer en silence, il ne l'avait pas même dérangé, alors qu'il posait un mot griffoné à la hâte sur le lit. Il ne parla pas des visions de Galathée, se contentant d'écrire qu'il s'occupait d'elle et veillait à ce qu'elle retrouve quelques couleurs grâce à l'air pur du dehors. Il aurait toujours le temps de s'expliquer après.

Il ferma la porte de ses appartements, afin qu'un domestique n'y entre pas par mégarde et tendit les affaires à la demoiselle. Il avait prit une tenue de monte et les bottes pour aller avec.

- "Tiens. je vais attendre à côté, appelle-moi quand tu auras fini."

Il se détourna et alla s'exiler dans sa chambre, laissant à Galathée un minimum d'intimité. Le temps pressait après tout.

Les protestations furent plus courtes et moins véhémentes que ce à quoi la Reine s’attendait. Elle avait gagné assez rapidement, à vrai dire. Ce n’était pas plus mal. Neffarasiel sembla prendre les choses en main. Il lui demanda de s’asseoir, ce que la demoiselle fit avec soulagement. Il lui fallait s’économiser si elle voulait avoir la force de monter à cheval et de galoper jusqu’à Aegnor.

L’ange s’éclipsa dans sa chambre en marmottant imprécations et reproches que la jeune femme fit semblant de ne pas entendre. En fait, cela lui était totalement égal. Elle se sentait libérée d’un grand poids, après ce qu’elle venait de lui avouer, mais redoutait encore qu’après un moment de compassion, il finisse par s’éloigner d’elle par dégoût ou par désintérêt. Ce devait être agaçant de la voir toujours comme une frêle héroine de tragédie. Mais d’un autre côté, à quoi servait-il que Neff demeure à ses côtés si… enfin si cela devait entretenir chez elle quelque chose qu’elle aurait mieux fait d’enfouir tout au fond de son cœur et d’oublier ? Bien sûr, Galathée avait parfois osé donner un nom à ce qu’elle ressentait, mais à quoi cela servait-il de se l’avouer si elle ne parvenait pas par la suite à s’en débarrasser ? Elle ne pouvait pas non plus se priver de la présence et du soutien de l’ange et…

Mais là n’était pas la question ! songea-t-elle en voyant la porte s’ouvrir, et son ami revenir près d’elle, vêtu de pied en cap. Il s’éloigna de nouveau en direction de la chambre de la Reine. Celle-ci commençait à se reprocher de l’avoir obligé à se charger d’elle. Il aurait plus vite fait d’y aller seul. D’un autre côté, elle possédait des informations qu’elle aurait été bien en peine d’exprimer à voix haute.

Lorsqu’elle entendit de nouveau des pas dans le couloir, elle s’attendait à voir débouler une Myrka affolée et prête à la reconduire par la peau du cou jusqu’à sa chambre, avec force sermons et gémissements. Mais il s’agissait simplement de Neffarasiel qui lui tendit des vêtements avant de s’éclipser de nouveau. La souveraine rougit en songeant qu’il avait fouillé dans son armoire. Bon, il ne s’y trouvait rien de bien palpitant, mais quand même… elle possédait si peu d’intimité qu’elle se raccrochait à ce qu’elle pouvait…

Elle examina les vêtements pendant quelques instants, son esprit fatigué se demandant ce qu’il convenait d’en faire. Elle eut besoin d’une petite minute pour réaliser qu’il fallait les enfiler et que le temps pressait. Maladroitement, elle passa le pantalon et la chemise aux teintes brunes, opération difficile avec un bras en écharpe. Elle ne savait pas vraiment de quoi elle souffrait, seulement, elle avait mal dès qu’elle remuait l’épaule, et elle s’aperçut que tout un côté de son bras était noir et tuméfié. Elle détourna le regard pour ne pas y penser, et trouva dans une de ses poches un lien de cuir avec lequel elle entreprit de se nouer les cheveux. A une main, c’était compliqué, de même que de nouer les longs lacets de ses bottes. Elle finit par laisser tomber et les coincer à l’intérieur des renforts des chaussure.

La rouquine se laissa encore quelques secondes pour souffler car rien que s’habiller lui avait donné le tournis. Elle plia ensuite du mieux qu’elle pouvait ses anciens atours, qu’elle laissa sur le fauteuil, avant d’appeler, craignant que son compagnon ne s'impatiente :

« Je suis prête ! »

Neffarasiel faisait maintenant les 100 pas dans sa chambre, l'esprit tourné vers la présence à côté. Il l'entendait, entendait les bruissements détoffe et son imagination se mit à fonctionner, le mettant au supplice. Imaginer, le corps délicat et souple de Galathée, nu en ce moment... Quelle délicieuse torture.

Ainsi, suivit-il à peut près le bon déroulment des opérations en écoutant les bruits qui lui parvenaient. Il se doutait qu'elle mettrait plus de temps que d'habitude de par ses blessures. Mais il ne pouvait rien y faire. Il ne pouvait décemment pas l'aider à s'habiller... Surtout parce que là, il ne résisterait pas à la tentation...

Il n'entendit plus un bruit dans la pièce à côté et réfréna son envie d'aller voir si tout allait bien. Il lui avait dit de l'appeler et attendrait donc qu'elle le fasse. Même si c'était incroyablement difficile. Comment avait-il pu accepter de l'emmener avec lui? Elle était à peine capable de tenir debout! Comment tiendrait-elle sur un cheval? C'était de la folie et lui était le pire des idiots à se plier à sa volonté. Il aurait du rester ferme, appeler sa servante et la prier de ramener Galathée dans son lit sans autre forme de procès. La pauvre emme n'aurait su qur quel pied danser, mais Neff aurait su faire pencher la balance de son côté. Quitte à s'attirer le courroux de sa Reine. Au moins n'aurait-elle pas risqué sa vie!

C'est alors qu'elle lui fit signifier qu'elle était prête. Il se dirigea à grandes enjambées vers elle, le visage impassible. mais ses yeux bleus reflétaient ses doutes et son inquiétude. Il ne pouvait pas l'emmener... Les conséquences pourraient être désastreuses. Et s'il lui arrivait quelque chose? S'il se retrouvait dans l'incapacité de la protéger efficacement? Tant de questions qui le faisaient douter.

Il secoua la tête, chassant ses doutes et ses inquiétudes, comme on chasse un insecte importun. Maintenant il fallait trouver un moyen de sortir sans se faire voir. Il avait bien une idée pour ne pas à avoir à éviter les gardes dans les couloirs et les sorties... Restait à savoir si la Reine accepterait cette solution un peu hasardeuse...

- "Tu sais comment sortir d'ici sans se faire voir? J'ai bien une idée, mais je doute qu'elle te plaise."

Son idée, elle était d'une simplicité enfantine. Sauter par la fenêtre... N'importe qui se tuerait, mais pas quelqu'un ayant des ailes de plusieurs mètres d'envergure et capable de planer. Mais pour cela, il devait porter Galathée. Dans un sens, ce n'était pas plus mal. Il doutait qu'elle soit capable de marcher sur une longue distance et le château était immense... Enfin, il lui laissait le loisir de trouver une autre solution. Si elle ne trouvait rien, il lui exposerait la sienne.

(je reviens d’un spectacle d’acrobaties et tu veux faire faire pareil à Galathée ? Mouarf !)

Quand Neffarasiel rentra dans la pièce, Galathée put se rendre compte de son inquiétude et de ses dernières hésitations. Pour les balayer, elle se redressa, et fit un effort pour avoir l’air de tenir debout. Elle s’abstint cependant de faire quelques pas vers lui, car s’aurait été la preuve que son équilibre demeurait plus qu’instable. En tout cas, elle avait de moins en moins l’impression que le monde tanguait autour d’elle tel un navire, ce qui représentait déjà un bonus non négligeable.

L’ange profita de son silence pour énoncer une question qui ne lui était pas encore venue en tête. Comment allaient-ils sortir du palais assez discrètement pour ne pas se faire prendre ? En d’autres circonstances, il aurait suffit à Galathée de se présenter à la porte de la demeure royale et à ordonner qu’on l’ouvre. Mais dans son état, on l’aurait renvoyé manu militari dans ses appartements, ou on l’aurait cloitrée malgré ses protestations, et Dieu sait ce qu’ils auraient pu faire de Neffarasiel. Il aurait certainement été mis en prison pour tentative d’enlèvement, maltraitance ou autre synonyme juridique.

La Reine hésita, lissa une mèche de cheveux tandis qu’elle réfléchissait.

« Il y a bien deux ou trois vieux souterrains, mais les entrées sont loin d’ici… Et je ne suis même pas sure qu’ils ne se soient pas effondrés. Je n’y suis allée qu’une fois quand j’étais petite, et on m’a interdit d’y retourner en disant que c’était dangereux… »

Elle parlait trop, ils perdaient du temps. Mais la jeune fille avait beau se creuser la tête pour trouver quelque chose, rien ne venait. Elle avait beau avoir la barre d’un continent entier, elle ne pouvait même pas sortir de chez elle en toute légalité. C’était rageant.

- "Tu sais comment sortir d'ici sans se faire voir? J'ai bien une idée, mais je doute qu'elle te plaise."

Tandis qu’elle l’écoutait parler, la frêle princesse intercepta le regard de son compagnon vers la fenêtre. Elle n’osait pas deviner clairement ce qu’il projetait. C’était trop… risqué ? fou ? En fait, bien que la jeune fille ait déjà remarqué que l’ange, par définition, possédait d’immenses ailes, elle ne s’était jamais posé la question de savoir s’il pouvait réellement s’en servir… Elle l’imaginait très mal planant dans les airs comme un oiseau de proie, et surtout pas avec elle dans les bras… quoi ?

« Tu… tu ne penses quand même pas à… ? »

A quoi? Sauter dans le vide? Nous précipiter par la fenêtre? Sa phrase resta en suspens. Galathée espérait de tout son cœur qu’elle se trompait lourdement, que le jeune homme allait lui proposer, par exemple, un certain itinéraire dans le palais auquel elle n’avait pas pensé, une porte de service, un passage secret qui lui aurait échappé… Mais dans ce cas-là, quel besoin avant d’ajouter que son idée n’allait pas lui plaire ?

Elle secoua la tête, autant en signe d’incompréhension que de dénégation par avance. Il n’allait quand même pas oser…

[vi Si t'as une meilleure solution...]

Ainsi Galathée était-elle debout face à lui, bien campée sur ses jambes. Neff ne se leurra pas : elle faisait cela pour lui prouver qu'elle était assez forte pour ce voyage, mais elle aurait été bien en peine de faire quelques pas. Et pour la énième fois, il se répéta que c'était complêtement fou et stupide. Et surtout, il risquait gros... S'ils se faisaient prendre, il risquait de mal finir. Et après? Il se fichait bien de ce qui pouvait lui arriver... Il s'en fichait depuis des années...

Galathée proposa bien quelque plan hasardeux, mais l'ange sut aussitôt qu'ils ne pourraient pas s'y plier. Trop d'incertitude et le temps pressait non? Ils n'avaient plus vraiment le temps de palabrer. Mais la solution qu'il envisageait le rendait inexpliquablement nerveux.

- "Non, on ne peut pas passer par là. Ca nous ferait perdre inutilement du temps..."

Pour une fois, son attitude trahissait sa nervosité. Il se mordit la lèvre alors qu'il jetait un coup d'oeil par la fenêtre, histoire de voir si son idée était sensée ou non. Et Galathée intercepta son regard. Au moins, n'avait-il pas à lui expliquer puisqu'elle comprit tout de suite. Il tourna vivement la tête vers elle alors qu'elle hallucinait complêtement sur son projet. Son regard était anormalement dur.

- "Si, j'y pense fortement. Tu as une meilleure idée? Dis-la vite parce que pendant que tu hésites ta petite protégée est peut-être en train de mourir!"

Il avait légèrement élevé la voix et s'en rendit compte. Il jeta un nouveau coup d'oeil vers la fenêtre et se contraignit au calme. N'empêche, il se sentait offensé de la façon dont elle le regardait maintenant. Elle s'était offusquée qu'il ne la croit pas sur ses visions. Eh bien, maintenant c'était à son tour de l'être devant l'air horrifié de la jeune femme.

- "Galathée. Nous serons dans les écuries en 5 minutes. Combien faudra-t-il de temps pour se frayer un chemin dans le palais, sans se faire voir? 1 heure? Plus? Nous n'avons pas ce luxe et tu le sais. De surcroit, quand bien même, on tenterait le coup, combien de temps penses-tu pouvoir marcher? Tu tiens à peine debout."

Il secoua doucement la tête et prit une décision. Il se rapprocha de la fenêtre et posa un pied sur le rebord, regardant le vide sous lui. Lui, il savait de quoi il était capable et se laisser porter par l'air et atterrir là où il voulait et sans encombre en faisait partie. Il tourna la tête vers elle.

- "Très bien. Tu as le choix : soit tu viens avec moi, soit j'y vais seul. Fin de la discussion."

Le ton était ferme. Il ne fallait pas oublier que Neffarasiel était fils de grand seigneur et qu'il avait l'habitude d'être obéi en temps que tel. Il se servait rarement de son ton de commandement, mais là, il en avait assez de palabrer. Reine ou pas, il était temps qu'elle assume ses visions et ses paroles et qu'elle se dépèche de le faire.

Voilà qu’il montait le ton! Jamais il n’avait encore fait cela avec elle, et Galathée en resta bouche bée durant quelques secondes. Mais il lui rappela le sort qui attendait l’adolescente en détresse si elle-même ne réagissait pas rapidement. Aussi laissa-t-elle tomber sa rancune et son énervement, pour hocher la tête un peu sèchement, et répliquer:

« J’ai dit que je venais! »

* Même si c’est pour m’écraser au pied d’un mur…*

Il n’y avait pas à douter du fait qu’elle respecterait sa parole, même si elle était morte de peur. La jeune fille avait été élevée avec pour première règle de faire face à son devoir et de l’accomplir. Elle ignorait d’où lui venaient ses visions, elle savait cependant qu’elle ne devait pas passer à côté, et que les deux qu’elle avait eu jusque-là s’était montrée d’une importance vitale. Elle n’avait pas le droit de renoncer, même si elle risquait sa vie pour ça. C’était schématique et trop simple, comme mode de pensée. Mais c’était ce qu’elle se disait pour ne pas s’enfuir en courant. Malgré son calme apparent, elle tremblait.

Tête basse, elle avança lentement vers la fenêtre, et se pencha timidement pour voir la distance qui les séparait du sol. Deux étages, en plus du rez-de-chaussée. Bon, ce n’était pas la mer à boire. Enfin, si on comptait que le palais était construit sur une colline, et que les écuries se trouvaient très loin en contrebas… Oui, là, ça commençait presque à devenir effrayant…

La rousse se remit à trembler comme une feuille, sans pouvoir s’en empêcher. Malgré ce qu’elle pouvait se dire sur la confiance qu’elle vouait à l’ange et le fait que celui-ci soit une personne à priori sensée, elle paniquait littéralement.

« Je…je suis prête! »

Elle jeta un regard à la chambre, avant de poser les yeux sur Neffarasiel. En songeant à ce que s’imaginerait le personnel du palais en retrouvant leurs corps disloqué en bas. Décidément, la petite Altesse avait oublié qu’elle possédait un certain humour noir, qui revenait quand elle était vraiment terrorisée.

Bon sans dramatiser, ils allaient juste faire un saut de plus de 15 mètres de haut pour essayer d’atterrir en toute discrétion près d’une écurie. Elle jaugea son ami du regard une énième fois, et inspira profondément, en se répétant une dernière fois son petit refrain sur le devoir, les obligations, et le fait qu’elle se demandait ce que pensaient les condamnés à mort durant leurs derniers instants…

(post merdique, désolée)

Neffarasiel se retint de sourire devant le hochement de tête un peu sec de la petite Reine. Apparemment, il avait bien fait de miser sur la provocation pour lui redonner un peu du poil de la bête. Sans doute risquait-il de s'attirer les foudres de la rouquines, mais au moins, elle bougeait et cessait d'écouter ses craintes!

Elle s'avança lentement, jusqu'à parvenir à lui. Sans le regarder, elle se pencha doucement, avec crainte, par dessus la fenêtre et contempla la terre qui s'étendait en dessous, à plusieurs mètres. Lui aussi jeta un coup d'oeil, observant les écuries, loin, très loin de la fenêtre. Avoir construit le palais sur une colline était une excellente idée. Sauf quand on voulait en sortir discrètement et par la voie des airs. mais sans doute que les bâtisseurs n'avaient jamais imaginé qu'un jour, une reine du continent du feu voudrait sortir de chez elle sans se faire voir et au mépris de toutes les règles établies...

Il ne savait pas encore s'il devait l'admirer pour son courage et sa ténacité ou la considérer comme une enfant gâtée qui mettait sa vie et son trône en danger pour satisfaire un caprice. Elle était plutôt entre ces deux extrêmes. Courageuse, mais paniquée pour le moment. Il la sentit trembler, complêtement terrifiée à l'idée de ce saut de l'ange. Il allait passer une main réconfortante sur son dos quand elle se tourna vers lui, lui annonçant qu'elle était prête.

Il se retint de hausser un sourcil perplexe. Non, elle n'était pas prête. Mais il n'avait pas le temps d'attendre qu'elle le soit, si tant est qu'elle puisse l'être un jour. Sa peur était toute naturelle bien sûr. Mais cela le blessait. Il ne voulait pas mettre sa vie en danger bon sang! Il sourit pour l'encourager :

- "Parfait. Alors allons-y. Accroche-toi à moi."

Il la prit dans ses bras, le visage impassible. Aussi légère qu'une plume... Sans la regarder, il lui murmura :

- "Aie confiance en moi Galathée. Encore cette fois."

Il raffermit sa prise sur elle et se lança sans hésitation. Pourquoi en aurait-il eu? Il savait ce qu'il faisait, lui. Il y eut un bref moment de chute, puis il déploya ses ailes immenses et ils ralentirent, avant de planer. La descente fut courte. Trop au goût de l'ange qui savourait chaque instant de ce "vol". Et comme promis, ils atterrirent tout en douceur près des écuries.

Là, il posa doucement la jeune femme à terre, la faisant asseoir, le temps qu'elle reprenne ses esprits. Il s'accroupit en face d'elle. Dans ses yeux bleus se mêlaient un sentiment indicible de joie avec une légère inquiétude pour Galathée. Il rompit le silence d'une voix aussi douce que le velours :

- "Galathée?"

Neffarasiel la prit dans ses bras, lui murmura quelques paroles apparemment en rapport avec la confiance, et finalement, sauta dans le vide. Galathée, qui s’était promis de ne pas crier, pour ne pas attirer l’attention et se ridiculiser en prime, ne put retenir un gémissement étouffé lorsqu’elle les sentit basculer.

Un froissement confus et un brusque ralentissement de leur descente l’avertit que quelque chose venait de se produire. Elle dut s’y reprendre à deux fois avant d’ouvrir les yeux, et de réaliser que les ailes de l’ange les portaient à présent à travers les airs. Elle se recroquevilla instinctivement en entendant l’air siffler à ses oreilles, et le sol se rapprocher. D’un autre côté, un deuxième sentiment prenait place sur la peur: l’émerveillement.

Beaucoup de personnes ont ne serait-ce qu'un jour rêvé de voler. La jeune fille ne faisait pas exception. Et maintenant, en sécurité entre les bras de Neffarasiel, elle profitait de l’instant avec une joie juvénile. Bien sûr, sa conscience lui soufflait qu’ils risquaient à tout moment de tomber, ou bien que la silhouette de l’ange risquait de les faire opérer. Mais le fait de se retrouver suspendue dans les airs, à l’abri du monde, avait un effet enivrant, qui ne manqua pas de s’emparer de la petite Reine. Celle-ci frissonnait encore, mais sans savoir si c’était de peur, de froid, ou de plaisir.

Des pensées confuses lui venaient en tête, de minuscules détails lui apparaissaient à cette hauteur. En tournant un peu la tête et en se décrochant le cou, elle pouvait voir son palais sous une perspective encore inédite. Elle repéra la fenêtre de la pièce d’où ils venaient de partir, déjà bien plus haut, et l’emplacement de sa propre chambre. Avant qu’elle ai eu le temps de s’en rendre compte, une secousse l’avertit que l’être ailé venait de se poser.

Elle éprouvait un mélange de déception et de soulagement, de peur et d’une sorte de griserie qu’elle n’avait encore jamais ressentie. La rouquine se sentait épuisée par toutes ces émotions, aussi ne protesta-t-elle pas quand Neff la fit asseoir à même le sol. Elle venait certainement d’avoir la plus belle peur de sa vie, mais ce baptême de l’air lui avait tout de même apporté quelque chose. Pour reprendre moult de vieux clichés, elle s’était sentie libre. C’était inhabituel. Et terriblement enivrant.

Aussi, lorsque Neffarasiel l’interpella doucement, c’est avec un léger sourire qu’elle le considéra. Un éclair de tendresse passa dans ses yeux, tandis qu’elle le dévisagea, ses doigts pianotant de manière mécanique sur son genou, comme lorsqu’elle cherchait ses mots ou ne parvenait plus à gérer ses émotions.

- C’était…

Effrayant? Merveilleux? Impressionnant? Elle ne savait pas. Le mot le plus juste aurait été indescriptible, mais cela lui semblait encore si…inadapté…

Elle finit par se relever, avec l’aide de son ami. Mue par un élan de gaîté, de soulagement, et peut-être même de reconnaissance, elle l’étreignit, de manière brève et maladroite. Sa bouche s’ouvrit comme si elle voulait ajouter quelque chose, mais finalement, la demoiselle se retourna, beaucoup moins pâle que l’instant précédent, et se dirigea en claudiquant vers la porte du bâtiment où logeaient les chevaux.

L'ange observait avec une certaine anxiété le visage de Galathée. Elle semblait beaucoup moins pâle, mais on pouvait mettre ça sur le compte de la descente et de l'excitation. Pourtant, elle semblait plus vive, même si elle était encore sous le choc de ce qu'elle venait de vivre. Il lui avait promis qu'elle n'aurait rien et il avait tenu parole.

Elle le regarda, un léger sourire aux lèvres et une étrange lueur dans le regard. Il avait savouré le fait de la tenir contre lui. De même qu'il avait presqu'exulté quand elle s'était encore plus agrippé. Il ne savait que trop ce que ces sentiments pouvaient bien vouloir dire, mais il les rejeta. Néanmoins, devant ce regard, il sentit son coeur cesser de battre.

Elle commença à parler, mais s'interrompit, incapable de trouver le terme adéquat pour décrire ce qu'elle venait de vivre. L'ange lui rendit son sourire et lui tendit la main pour l'aider à se relever alors qu'elle en manifestait le désir. Dans le regard de Neff, Galathée pouvait y lire la compréhension de ce qu'ils venaient de vivre. Il avait du ressentir la même chose, la peur et la nouveauté en moins.

- "Je t'avais dis de me faire confiance."

Il lui adressa un petit clin d'oeil et une fois assuré qu'elle tenait bien sur ses jambes, il la suivit jusqu'aux écuries. Elle avait toujours uen démarche hésitante, mais rien à voir avec son état de tantôt. Elle semblait revenir doucement à la vie, pour le plus grand bonheur de Neffarasiel.

Arrivés aux écuries, il s'arrêta et se fit songeur. Il alla chercher sa monture, un grand étalon bai et commença à le sceller. Finalement, il émit ses interrogations à haute voix :

- "Nous avons plusieurs possiblités : la première, nous prenons chacun notre cheval et la fille montera avec l'un de nous deux."

Il y avait comme une réticence dans sa voix alors qu'il exposait son point de vue.

- "La deuxième, tu montes avec moi et on prend un cheval avec nous. Je m'explique : es-tu en état de chevaucher seule pour le moment? Parce qu'ainsi, tu te reposerais un peu et prendrais le cheval libre une fois sur les lieux et la jeune fille dûment sauvée..."

Tout dans son ton indiquait qu'il préférait largement cette option là. Parce qu'elle risquait de s'épuiser plus vite si elle devait faire attention à où elle allait tout en maîtrisant son cheval. A califourchon derrière ou devant l'archange, elle n'aurait qu'à se laisser guider sans se soucier de rien, sinon à lui indiquer où aller quand il ne le saurait plus.

Il sortit son cheval de son box et lança un regard interrogateur à Galathée, prêt à lui venir en aide pour sceller le deuxième étalon si elle le souhaitait.

Le changement d’humeur de Neffarasiel accompagna celui de la petite Reine. Clin d’œil, sourire. Ça n’entrait pas dans le portrait qu’elle s’était faite de l’ange, bien que ce nouveau jugement ne soit pas du tout négatif.

En entrant dans l’écurie, un hennissement lui fit tourner la tête. Il s’agissait de son cheval, Eledar, celui qui effrayait tout le monde, même le palefrenier qui le nourrissait. Gal n’avait jamais compris pourquoi elle-même réussissait à le monter. D’un autre côté, l’accident qu’elle venait d’avoir montrait que cela comportait des risques. Elle gratifia l’étalon d’une caresse sur le nez, puis suivit l’ange jusqu’à la stalle de sa propre monture. En commençant à harnacher son cheval, son ami lui exposa une alternative. En fait, elle n’avait pas vraiment le choix, vu les différents tons qu’il employait. Elle devait cependant reconnaître qu’il paraissait avoir raison. Après ce qui venait de se passer, le jeune homme avait largement prouvé qu’elle pouvait lui faire confiance. Et déléguer un peu de ses préoccupations s’avérait dans son état plus que nécessaire

Elle prit cependant le temps d‘évaluer les différents pensionnaires du bâtiment, avant de se décider:

« La deuxième solution me paraît plus envisageable. Je vais préparer Ambre. »

Elle se dirigea vers le box d’une petite jument isabelle, à l’allure tranquille et au regard plein de douceur, contrairement à Eledar le rebelle, qui, pour la peine, ne sortirait pas de sa stalle. Au moins cette monture-là se laisserait-elle mener d’une main, en suivant docilement le cheval de Neff, et sans risque de laisser tomber et de blesser une fois de plus sa cavalière.

Il s’avéra rapidement que porter une selle lorsqu’on tient à peine debout et sangler toutes les lanières qui composaient un harnachement constituait une tache presque aussi problématique que l’habillement. Au bout du compte, cependant, les deux chevaux furent bientôt prêts. Une longe fut attachée aux rênes d’Ambre pour la guider, et relié à ceux de l’étalon. Il fut temps de sortir du bâtiment.

Si Galathée avait porté une jupe, la question de sa place sur la selle ne se serait certainement pas posée. Elle serait montée en croupe, et se serait accrochée comme elle aurait pu. Cependant, la damoiselle n’aurait certainement pas tenu bien longtemps, aussi se hissa-t-elle tant bien que mal à califourchon près de l’encolure du cheval. De toute façon, avec son corps menu, elle ne devait pas représenter un grand poids supplémentaire.

Neffarasiel fut soulagé en voyant la petite Reine renoncer à son étalon rétif et un brin dangereux. Il n'y avait qu'elle qui pouvait l'approcher. Il fallait bien qu'un accident arrive un jour. Elle lui préféra une jument douce et placide. Une jument qu'elle n'aurait pas besoin de tenter de dompter au retour. Une jument qu'elle équipa toute seule et malgré sa faiblesse.

Elle lia les deux chevaux ensemble et sauta en selle. Il n'eut même pas le temps de lui proposer son aide. Il aurait pu la hisser sans problèmes là haut. Ou elle aurait pu attendre qu'il monte et qu'il l'attire jusqu'à lui. Mais elle n'en avait rien fait et il en fut curieusement désappointé.

Il s'apprêta à grimper lui aussi quand il sentit une présence. il se tourna vivement et vit Galaad arriver avec un cheval déjà harnaché. Un sourire éclaira le visage de l'ange devant le drow déjà prêt. Cela ne l'étonnait même plus de le voir anticiper ainsi les évènements avec tant de tranquillité. Et la façon dont il les aborda l'amusait.

- "Je crois que le jour où nous réussirons à te semer n'est pas prêt d'arriver Galaad."

Tout cela était dit sur le ton de l'amusement et du respect. Ainsi qu'avec une pointe d'amitié. Et cela faisait fort longtemps que ce genre de sentiment n'avait pas pris naissance en lui. Il faillit lui expliquer la raison de leur sortie en catimini, mais se retint juste à temps. Ce ,'était pas à lui d'expliquer ce qui se passait. Le Drow se poserait des questins et il faudrait en venir aux visions. Evidemment, Neff ne se doutait pas que Galaad était déjà au courant de leur discussion.

Il haussa les épaules et monta en selle, s'installant derrière la petite reine. La sentir ainsi contre lui était presqu'un supplice et son odeur l'enivrait. Il se morigéna de se laisser ainsi à fantasmer et reporta son regard sur Galaad.

- "Il faudra quand même que tu m'expliques comment tu fais ça."

Ce qui sous entendait : comment as-tu fais pour être prêt avant nous sans avoir été présent à notre discussion?

La princesse manqua se démettre le cou tant elle se retourna vivement. Neffarasiel n’était pas encore monté à cheval, aussi n’avait-elle aucun problème pour évaluer la scène. Quelle ne fut pas sa surprise de voir débouler Galaad, sur une monture déjà parée pour une longue course. Surprise, et désappointement aussi. C’était à Neff qu’elle avait demandé de l’aide, pas au Drow. Sans qu’elle sache expliquer pourquoi, cela l’embêtait que celui-ci se mêle de ses affaires. Elle s’interrogea aussi, évidemment, sur la méthode de Galaad afin de savoir qu’ils seraient prêts à partir à cette heure où le soleil commençait à peine à briller. Galathée n’aimait pas l’idée d’être espionnée, surtout après les révélations intimes qu’elle avait faite à son ami ailé.

Les deux hommes commencèrent à parler de la plus amicale manière. Neffarasiel n’avait pas l’air fâché de voir débarquer l’Elfe Noir, ce qui déclencha un douloureux pincement au cœur chez la Reine. Bon, elle savait que ses sentiments n’ étaient pas partagés, et c’était d’ailleurs tant mieux, mais ce genre de signes faisaient toujours mal.

-Et puis le toit de l'écurie constitue un très bon endroit pour écouter certaines choses...

Si elle avait été plus en forme, la jeune Reine aurait littéralement explosé! En voilà un qui se croyait tout permis, pour écouter aux portes, et espionner les conversations! Son visage se durcit étrangement, ce qui suffisait à briser la douceur de ses traits et à la rendre presque laide, lorsqu’elle remarqua, sur le ton le plus coupant qu’elle pouvait utiliser:

« On dirait bien mon cher qu’il est impossible d’avoir une vie privée sans vous avoir sur le dos! Ne vous inquiétez pas, pour faire ma toilette et m’habiller, je n’ai pas besoin de vous, inutile de vous déranger! »

Bête et bas, mais c’était tout ce qu’elle pouvait faire sur le moment. Neffarasiel semblait apprécier la présence de l’Elfe, ce qui la mettait encore plus en rogne. Comme celui-ci venait de monter à cheval, elle se détourna de Galaad, et repris, avec une mauvaise foi évidente:

« Puisqu’on ne peux pas sortir de ce palais sans votre accord écrit et signé, autant que vous nous donniez votre autorisation tout de suite! Nous y allons? »

Après tout ce qu’elle venait d’endurer, de la chute de cheval à la chute libre et passant par ses visions et ses confessions écoutées aux portes, la rousse commençait à avoir du mal à contenir son exaspération. On pouvait la comprendre. Elle se détendit cependant un peu lorsque les chevaux se mirent en marche, quoiqu’un peu gênée de se trouver de nouveau tout contre l’ange. D’un autre côté, à deux sur un cheval, il était compliqué de trouver une position qui ne comportait pas d’ambiguïté (du vécu^^). Aussi finit-elle par profiter du moment, sachant qu’elle n’en aurait pas souvent l’occasion.

Neffarasiel vit le sourire du drow s'accentuer à sa remarque. Il était vraiment curieux de savoir comment il s'y était pris pour les surprendre ainsi. La réponse ne tarda pas à venir et malgré lui, l'ange lança un coup d'oeil à Galathée. Galaad avait entendu tout ce qu'elle lui avait confié. Et ça, il était certain que ça n'allait pas plaire à la petite Reine. Déjà lui, ça ne lui plaisait que moyennement de savoir qu'il pouvait être ainsi épié en permanence. La drow rit, première fois que Neffarasiel entendait ce son émanant de l'elfe noir.

Il expliqua alors que du toit des écuries, il avait tout entendu et l'ange se crispa légèrement. Il savait que Galathée allait exploser en apprenant cela. Il se trompait. Enfin pas totalement. Le ton qu'elle utilisa pour s'adresser à Galaad était coupant et amer. Hum, il avait manqué de tact sur ce coup là, c'était indéniable. Il n'était pas très prudent d'épier une reine, une jeune fille et encore moins de lui avouer après.

Le sourire du drow s'effaça, naturellement. Il n'atait jamais agréable de s'entendre reprocher sa conduite de façon si coupante. La réponse qu'il lui fit piqua Neffarasiel au vif. Lui aussi veillait sur elle. Qu'avait besoin Galaad de les espionner quand il était avec elle? Ensuite, il trouvait quand même la réaction de Galathée plus que légitime. A sa place, il aurait été vert de colère.

Galathée était devant lui. Il se demandait si elle ressentait la même gène que lui à se retrouver si proche l'un de l'autre. Elle épousait son corps à merveille et cela échauffait ses sens. Il aurait voulu lui dire ou lui faire comprendre qu'il comprenait sa réaction, mais ne savait pas comment s'y prendre. Il ferma son coeur et son esprit, tentant de faire abstraction du parfum de la peau et des cheveux de la jeune fille contre lui. Et ils se mirent en route, dans une humeur maussade...

[ Aegnor. A vous ]