Le port

Murdock était assis sur le rivage, à l'entrée du port. Les autres marins étaient rentrés chez eux, et il observait le soleil couchant, donnant au ciel la même teinte rubis que ses prunelles. Comme chaque soir, il se demandait s'il devait continuer à mener cette vie paisible jusqu'à ce que tout se brise - car les hommes avaient vieilli depuis qu'il avait rejoint ce groupe de marins, et tôt ou tard, ils finiraient tous par rejoindre l'ancêtre, qui avait déjà gagné l'autre monde, comme les humains disaient - ou chercher dès à présent une nouvelle place... Oui mais où ? Il avait déjà eu tant de mal à se lier avec ces personnes, qui malgré tout ne le considéraient pas tout à fait comme un des leurs, et pour cause...

Et s'il ne trouvait nul foyer, et si, une fois encore, il était rejeté par tous, où qu'il aille ? Cette pensée le fit frissonner, et il joua un instant avec le lien de cuir à son poignet. Non. Autant profiter des quelques années qu'il lui restait parmi les marins.

Il se releva finalement, le crépuscule limitait son champ de vision à présent, mais la route menant au village portuaire, il la connaissait par coeur. L'air marin emplissait les ruelles, et il se dirigea machinalement vers la taverne, où il commanda, comme d'habitude, le plat de poisson du jour, et une bière, seule élément d'origine terrestre qu'il supportât d'avaler. Il avait choisi la table la plus éloignée de l'âtre, redoutant toujours que le feu qui y était pourtant circonscrit ne s'étende et ne le dévore.

"Je ne comprendrais jamais pourquoi les humains restent aussi près de cette chose", songea-t-il, en sirotant le breuvage qu'on lui avait amené.

Murdock s'éveilla au petit matin sous les rayons du soleil et les secousses provoquées par le tavernier qui l'appelait, comme d'habitude, "petit", et lui indiquait qu'il devait se presser s'il voulait encore trouver quelque embauche au port.

C'était vrai qu'avec le décès de l'ancêtre, les autres étaient retournés dans les terres pour la cérémonie funèbre auprès de ce qu'il restait de famille au marin défunt. Mais comme il s'en était douté, et même si ses camarades auraient voulu qu'il les accompagne, la présence d'un être aussi étrange que lui risquait fort d'être mal vue des gens de l'intérieur, et il avait renoncé. Pour cette semaine donc, il se trouvait contraint de proposer ses services au port à qui le voudrait dès l'aube, espérant ainsi gagner de quoi se nourrir chaque soir à l'auberge.

Le marin s'étira, bâilla, jeta un coup d'oeil à l'âtre où le feu mourant ne laissait plus que quelques braises (ce qui n'était pas pour lui déplaire), et paya son dû à l'aubergiste avant de reprendre la direction du port.

"Espérons que ça marche mieux qu'hier..." songea-t-il, repensant aux maigres piécettes acquises la veille...

[ Le port de Mairenn... Histoire de pas rester seul dans mon coin, je vais aller voir les lames grises...]