Voyage princier

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Ils avaient embarqué, après le retour d'Arkonan, porteur de nouvelles désastreuses... la bibliothèque du palais avait été saccagée... les parchemins renversés, déchirés...Pire encore, des sentinelles avaient été grièvement blessées... aucune ne semblait se souvenir de ce qui les avait attaquées. Apparemment, le monstre, comme elles disaient, était reparti on ne savait où. Personne ne l'avait revu. Sitôt qu'elle avait appris la nouvelle, Galathée avait envoyé un messager porter ses directives. Inutiles de se priver une seconde fois de la présence d'Arkonan, qui représentait pour elle un atout majeur, car ainsi, elle pouvait avoir la main mise sur l'armée, où qu'elle soit. Les soldats n'agiraient pas sans l'ordre de leur chef, elle en était parfaitement consciente...

Toutes ses réflexions l'épuisaient, et lorsqu'en fin de journée, ils avaient tous appareillé, la jeune femme se sentait tellement épuisée qu'elle n'avait pas daigné assister au repas, malgré les ragots qu'allaient surement répandre sur elle les courtisans.

Epuisée, la Princesse s'était changée, avait longuement brossé ses cheveux roux, refusant qu'une domestique s'en charge à sa place. Elle s'accordait ainsi le luxe d'être seule, même pour une action aussi rudimentaire que sa toilette du soir... Elle se déshabilla lentement, étirant un à un ses muscles fatigués par le long voyage qu'ils venaient d'accomplie, avant d'enfiler une chemise de nuit noire, faites de nombreux voiles translucides superposés, de telle façon qu'ils ne dévoilent rien de son intimité, tout en demeurant aussi confortable qu'élégant...

Elle ne pouvait pas savoir, à ce moment là, comme sa réflexion s'avérerait fausse...

Fatiguée au delà de ce qu'elle pouvait imaginer, la Reine s'était écroulée sur son lit, avait remonté sa couverture sur son corps gelé, et avait sombré dans un sommeil sans rêve, incapable de penser à quoi que ce soit avant de s'endormir...

Elle se réveilla quelques heures plus tard, sans savoir exactement combien de temps elle avait dormi... Elle ouvrit les yeux en sursauta, se redressa brusquement...

Un cauchemars, évidemment... l'héritière du royaume en faisait presque tous les soirs, et parfois même plusieurs en une nuit. Elle revoyait son père tomber, sa coupe claquer contre le sol, chaque son, chaque image lui revenant avec un réalisme aberrant... Elle revoyait sa pauvre mère, le visage qu'elle avait les derniers jours, ses pas chancelants lors du discours qui avait octroyé le pouvoir à sa fille unique... Cette nuit là, elle avait rêvé de son cousin. Tamar, exilé depuis quelques semaines. Toute la scène avait défilé dans sa tête, surement à cause de ce qui s'était passé avec son précepteur, dans l'après-midi. Il suffisait d'un simple geste de ce genre pour que ses angoisses refassent surface et la laissent momentanément détruite.

Empoignant son oreiller, elle mordit dedans à s'en faire mal aux mâchoires afin d'étouffer un gémissement de rage et d'impuissance. Des larmes roulaient sur ses joues lisses et pâle. La Reine se laissa un long moment à pleurer dans le noir.

Obéissant à une impulsion, refusant de se morfondre ainsi dans sa cabine sombre, que la houle faisait balancer dans un mouvement qui lui donnait mal au coeur, la voyageuse se leva, se retenant aux murs pour ne pas tomber, et, poussant la porte silencieusement, sortit sur le pont. Elle n'avait enfilé ni manteau ni robe de chambre, mais ne prêtait pas attention au vent qui la faisait pourtant bien frissonner...A part les marins de quart, qui regardaient ailleurs et ne faisaient pas attention à elle, la vaste étendue de planche était déserte.

C'était la première fois que Galathée montait sur un bâteau de ce tonnage. Il s'agissait également de sa première traversée en mer. Elle s'en serait davantage émue si elle n'avait pas déjà été si malheureuse et désemparée. Accoudée contre le bastingage, elle fixait sans un mot l'étendue sombre et mouvant de l'eau, seulement troublée par l'éclat d'un timide croissant de lune. La petite eut un sourire triste en pensant qu'il paraissait aussi fragile qu'elle, ce croissant de lune... Alors que ses pensées s'égaraient, un visage reparu devant ses yeux...

"Père... " murmura-t-elle doucement, la voix enrouée de larmes qui luttaient contre les efforts de la jeune fille pour les repousser.

"Tu vois où j'en suis, sûrement... Quand j'ai pris le contrôle du royaume, je ne m'imaginais certes pas que ça se passerait ainsi. Je savait que ça serait dur... Mais pas comme ça... Ca m'a changé... J'ai même l'impression que ça me démolit peu à peu, et que bientôt, très bientôt, mes motivations s'en iront, et je m'écroulerais. "

Elle marqua un temps de silence, observant les étoiles. Un sanglot la secoua, qu'elle ne tenta pas de masquer...Après tout, elle était seule, avec la nuit et son silence pour seule compagnie. A cet instant elle n'était plus une Reine fière et impressionnante, simplement une jeune fille assujetie à de trop importantes responsabilités...

" Et maintenant, qu'est ce que je vais faire? continua-t-elle, sans se rendre compte qu'elle parlait à voix haute. Ce serait tellement simple, de me jeter à l'eau, de me noyer... De mourir. Oui, ce serait tellement tentant..."

Elle se remit à pleurer sans aucune retenue, la tête cachée par ses bras croisés. Ne tenant plus debout tant ses jambes tremblaient, elle se tapit contre un rouleau de cordage, s'appuyant dessus, des larmes continuant à tracer d'humides sillons sur ses joues d'albâtre. Elle se sentait perdue, angoissée, impuissante, et, plus que tout, terriblement harrassée. A présent, elle comprenait la lourde charge que devait porter son défunt père. Elle regretta alors tous les commentaires désobligeant qu'elle avait proféré devant sa façon de gouverner. Maintenant qu'elle se retrouvait à sa place, la fille de Galaël n'était pas sure de se conduire aussi dignement que son prédécesseur...

"Je ne suis pas faite pour être Reine... J'aurais dû laisser ce poste à Tamar... Quelqu'un de fort... Pas moi...pas moi..."

(un certain ange est attendu à l'accueil, merci!!)

Dans la solitude de sa cabine, un autre voyageur peinait à trouver le sommeil et quand, enfin, il y réussit, ce fut pour en sortir quelques heures plus tard, en sueur. Il mit un certain temps avant de se rappeler où il était. Sur un bateau... avec la Reine. Sa cabine était juxtaposée à celle de la souveraine. Il n'avait pas dormi avec le commun, eut égard à son rang élevé. De plus, il était ainsi à proximité de l'objet de son attention. Son coeur reprenait un rythme à peu près normal tandis qu'il repensait à son cauchemar. Maya... cela faisait 5 ans qu'elle l'avait trahie et qu'elle était morte de sa main , mais elle continuait à le hanter. Pourtant, cela faisait un moment que ce n'était pas arrivé. Il fallait croire que la chevelure flamboyante de la Reine, si semblable à la petite servante traîtresse avait remué des souvenirs que Neffarasiel aurait préféré laisser enfouis.

Incapable de retrouver à nouveau le sommeil, il décida d'aller faire un tour sur le pont, histoire de se rafraîchir les idées. Il enfila une chemise à la va vite, ne prenant pas la peine de la fermer. Il mit ses cuissardes et monta sur le pont. L'air marin, chargé d'embrunt lui fouetta le visage, achevant d'éloigner de lui les fantômes de son passé. Mais aussitôt, il capta quelque chose d'anormal dans le train train des marins. Il y avait une autre personne qui n'était pas de l'équipage. Et cette personne était la reine... Ou plutôt, Galathée en ce moment même, puisque la jeune femme était recroquevillée et pleurait à chaudes larmes. Neffarasiel hésita. Il était un guerrier, pas un confident. néanmoins, n'avait-il pas jurer quelques heures plus tôt de protéger et d'aider la Reine? Et en cet instant, ne devait-il pas lui porter secours?

De son pas félin et silencieux, il se rapprocha de la Reine, défiant quiconque de venir la déranger. Il l'entendit marmonner quelques mots sur son incapacité à diriger. Ah... Il connaissait bien ce sentiment. Sauf qu'au lieu d'y faire face comme elle, il avait fuit. Il s'accroupit doucement prêt de la jeune fille en pleurs, ne sachant trop comment rompre son appitoiement. Il n'osait pas la toucher, bien que l'envie de la prendre dans ses bras l'effleura. Cette détresse était poignante et trouvait un écho au fond de l'archange. Il déploya ses ailes immenses, leur offrant un abri aux regards indiscrets et une sorte d'intimité.

- "Ma Reine..."

Que dire d'autre? Sa voix n'avait été qu'un murmure, empli de compassion et de respect. Il ne savait comment s'y prendre avec elle, ne connaissant pas sa réaction.

- "Vous avez tort de penser que vous n'êtes pas forte... Mais même les plus fort ont leur limite. Soulagez votre coeur le temps d'une nuit et personne ne saura que derrière la reine se cache une jeune femme harassée de responsabilités et terriblement seule."

Il parlait en connaissance de cause, avec douceur. Sa voix n'était qu'un chuchotement. Il espérait ne pas être allé trop loin et ne pas l'avoir offensée par ses paroles ou par le simple fait d'avoir assisté à ce moment de faiblesse.

Galathée ne l'avait pas entendu approcher. Elle avait clos son attention au monde qui l'entourait, se laissant aller à ses larmes, pensant que personne ne s'en apercevrait. De pareilles crises de nerfs lui arrivaient souvent. La jeune filleavait alors l'horrible impression de se liquéfier, de se vider de sa substance, perdant toute motivation et toute volonté de continuer à avancer. A chaque fois, l'idée du suicide l'effleurait, comme un exutoire, une porte de sortie, peu glorieuse, certes, mais rassurante. Bien sûr, elle ne mettrait pas fin à ses jours. Jamais elle ne s'en sentirait le courage. Ou au contraire la lâcheté. Il s'agissait surement d'un subtil mélange de ces deux sentiments. En plus, sans qu'elle ne veuille se l'avouer, la petite avait peur de mourir, peur du néant, puisqu'elle ne croyait en rien. Par principe, elle n'avait pas choisit de religion ou de culte. D'abord pour se protéger d'une quelconque rumeur qui la ferait passer pour une loyaliste, et ensuite, parce qu'elle ne voulait pas imposer ses vues à son peuple. Chacun était libre de croire en ce qu'il voulait. Elle n'avait pas ordonné à ses troupes de faire la chasse à ceux qui croyaient encore dans les anciennes déesses. Tant que ceux-ci demeuraient des citoyens honnêtes, il n'y avait pas à les punir...

Toutefois, savoir qu'un jour, si vraiment elle ne tenait plus, elle pourrait sombrer dans le néant, était rassurant. Rien que la simple pensée qu'il existait une échapatoire, aussi horrible soit-elle, lui redonnait un semblant de courage et de volonté de vivre.

Ce ne fut que lorsque Neffarasiel déploya ses ailes, produisant un doux bruissement de plumes, que la damoiselle leva la tête. Des larmes maculaient son front et ses joues, comme autant de petites gemmes brillant à la lune... Ses yeux s'aggradirent tandis qu'elle demeurait immobile, interdite. sa rencontre avec l'ange lui était sortie de la tête.

Elle se demanda un moment ce qu'il faisait là... l'avait-il vu sortir de sa cabine? Etait-il déja sur le pont lorsqu'elle était arrivée? pourtant, elle n'avait vu personne... D'un autre côté, il était clair qu'elle ne possédait pas une vision nocturne très développée...

Soudain, elle eut honte de se présenter ainsi devant lui, si fragile et désemparée. Il s'agissait d'un manquement grave à son rôle. Elle aurait voulu se lever, essuyer ses larmes, et dire à l'ange de partir, et d'oublier ce qu'il avait vu... Mais elle s'en révéla incapable. Sa bouche s'entrouvrit, ses sourcils se froncèrent, mais elle ne put émettre aucun son, tant sa gorge demeurait serrée. Elle prit alors le parti de se taire, et de laisser le jeune homme parler, bien qu'elle se sentit terriblement ridicule, et, avouons-le, vexée.

Cependant, l'arrivé de Neffarasiel la rassurait.Elle ne se trouvait plus seule avec son chagrin. Et ces ailes duveteuses constituaient un rempart contre le monde, la protégeant de toute atteinte, l'enfermant dans un cocon.

Les paroles du jeune homme la touchèrent, à tel point qu'elle se remit à pleurer, plus calmement, cette fois. Elle qui n'était pas douée pour consoler les gens s'avouait impressionnée qu'un parfait étranger trouve ainsi les mots justes pour la rassurer. De plus, on ne lisait aucune hypocrisie dans sa voix, pas même une vague moquerie dans son regard. Il était là en toute innocence, uniquement soucieux de la protéger.

Son regard s'emplit de reconnaissance. Elle se sentait si seule! Enfermée dans un palais avec des gens qu'elle détestait. Elle avait donc eu raison de penser que cet homme aux cheveux blancs deviendrait rapidement un allié.

Reniflant une dernière fois, elle essuya ses larmes d'un revers de main. Un sourire triste s'étala quelques instants sur son visage humide.

"Vous, vous saurez..." répondit-elle dans un murmure.

Elle l'examina quelques instants. Une phrase lui brûlait les lèvres... "Vous ne direz rien, n'est ce pas". mais elle ne la prononça pas. Galathée avait l'intuition qu'elle pouvait se livrer en toute confiance à l'ange qui se tenait devant elle. Aucun mot ne lui échaperait devant les autres, et même à elle, il n'en reparlerait pas de son propre chef.

Elle avait quelques heures devant elle, durant lesquels elle pouvait laisser tomber son masque, et s'exprimer telle qu'elle était véritablement, la petite Galathée, jeune fille timide, terrifiée à l'idée de mal faire, mais intelligente et généreuse.

Avalant une bouffée d'air marin, elle murmura:

"Je suivrais votre conseil... J'abdique pour quelques heures, dans le secret le plus total..."

A présent que sa décision était prise, elle respirait plus librement, soulagée d'un poid trop lourd pour ses frêles épaules.

Sans qu'elle y prête attention, sa bouche articula des mots. Elle fut mortifiée lorsqu'elle les entendit, comme si cette phrase ne venait pas d'elle:

"Resterez-vous avec moi?"

Le ton n'était pas implorant, mais on sentait une peur diffuse de se retrouver de nouveau seule. La jeune femme ne voulait pas qu'on lui enlève une compagnie déjà si précieuse. S'était comme adopter un chien errant, le couvrir d'affection, et l'abandonner de nouveau quelques semaines plus tard. Autant le tuer tout de suite.

Elle frissonna, autant à cause de ses sombres idées que du froid. Lorsqu'elle était ainsi sujette à une crise de larme, la rouquine se trouvait ensuite victime d'une montée de fièvre. Déjà, son front la brûlait, tandis qu'elle grelottait, se maudissant de ne pas avoir pris de cape ou de manteau...

Neffarasiel fut soulagé de voir que la Reine acceptait sa présence. Elle semblait si fragile et démunie... Cela émut l'ange au-delà de toute raison. L'image d'une autre jeune fille au visage innocent lui revint en tête et vint troubler ce moment d'intimité. Maya aussi l'avait ému par son innocence et sa jeunesse, par ses rires et sa spontanéité... Et le souvenir cuisant de ce qui en avait découlé jeta un voile d'amertume sur le visage de Neff. Quand est-ce que le fantôme de maya le laisserait enfin en paix? Il chassa résolument la traîtresse de son esprit et se concentra sur sa Reine. Elle lui murmura que lui, il saurait sa faiblesse. Et alors? Ce n'était sûrement pas lui qui en parlerait ou l'en blâmerait. Cependant, il se crut obliger de proférer à haute voix ses pensées.

- "Oui, moi je saurais. Mais jamais personne d'autre, vous avez ma parole. Je ne connais que trop votre sentiment."

Il lui fit un petit sourire sincère, cherchant à la réconforter un peu. Elle pleurait toujours, mais avec plus de modération et de calme. Devait-il y voir un signe que ses paroles apaisaient la jeune fille tourmentée? Elle déclara alors qu'elle suivrait son conseil et se laisserait aller pour quelques heures.

- "Il faut évacuer vos tensions et les larmes sont le meilleur remède... Il n'y a aucune honte à cela."

La phrase quelle prononça ensuite les surprit tous deux. Il la regarda, son regard bleu trahissant sa surprise mais aussi sa flatterie. Oui, il était flatté et sincèrement heureux qu'elle lui propose cela. Il acquiesça avec un petit sourire.

- "Oui, je resterais avec vous. Je ne suis pas pressé de retourner me coucher. Mes visiteurs nocturnes n'ont rien d'agréable."

Ainsi, il lui expliquait succintement ce qu'il faisait là. Réveillé par un cauchemar et dans l'incapacité de se rendormir de suite. Et puis, il fallait bien l'avouer, il se sentait bien avec elle sur ce pont. Ils semblaient seuls au monde, rapprochés par leur rang et leur passé, même s'ils ne le savaient pas encore.

Il remarqua alors que la jeune fille frissonait. Effectivement, elle était peu vêtue. Toute à sa détresse, il n'avait pas remarqué la chemise de nuit vaporeuse et trop légère pour l'air nocturne. Hélas, il n'y pouvait pas grand chose. Lui-même ne portait qu'une simple chemise. Mais, il ne souffrait nullement de la fraîcheur environnante. D'ailleurs, à bien y réfléchir, il ne faisait pas si froid que cela. Il regarda Galathée attentivement.

- "Quelque chose ne va pas? Vous tremblez..."

Sans réfléchir, il approcha sa main du front de la jeune femme, remarquant son regard légèrement fiévreux et trop brillant. Il savait qu'il n'avait pas à la toucher et qu'elle risquait de mal le prendre. Ce fut donc avec lenteur qu'il le fit, laissant le loisir à la reine de le repousser.

(désolée pour le retard... Problème de connexion et retour de vacances...)

Le visage de l’ange se voila de tristesse. La jeune fille ne dit rien. Elle aussi avait ses propres fantômes. Ses parents… sa tante, aussi, qu’elle n’avait pas connu, mais qu’on lui avait toujours décrit comme quelqu’un de doux, de sensible. Tout le contraire de son ignoble mari, en somme, prompt à la veulerie et à la manipulation sournoise. Et puis il y avait son propre spectre… Bien sûr, elle n’était pas morte, sans cela, elle n’aurait jamais été assise sur le pont d’un bateau en train de parler avec Neffarasiel. Cependant, depuis ce jour maudit en compagnie de son cousin, et durant les semaines qui l’avaient suivi, une rupture s’était opérée, la laissant irrémédiablement différente…

A la déclaration du jeune homme, la rouquine répondit maladroitement à son sourire, à peine discernable dans la nuit noire.

Non, bien sûr, il n’y avait aucune honte à pleurer, et Galathée le savait, elle qui n’avait pas connu une vie sans nuage. Mais elle avait peur qu’on ne la respecte plus après une telle scène. Et elle savait qu’à part à Neffarasiel et quelques autres personnes de son entourage, elle ne pouvait se permettre de montrer un tel spectacle.

A présent que les larmes séchaient sur ses joues, imprégnant ses lèvres d’un goût de sel, la petite se sentait salie, mal à l’aise.

Par contre, elle eut un sourire soulager lorsque son interlocuteur l’assura de sa présence à ses côtés. La jeune fille avait l’impression d’avoir enfin trouvé quelque un qui la comprenait, bien que leur première conversation n’aie été que fugace, et que celle-ci ne soit encore qu’à l’état d’ébauche. Elle ignorait encore à quel point ils étaient proches, du moins au niveau du vécu…

Une expression un peu plus apaisée se peignit sur son visage blanc, auquel la lune donnait un reflet nacré.

- Des visiteurs nocturnes… vous aussi… souffla-t-elle, avec une figure quelque peu ironique, non pas à cause de Neffarasiel, mais en repensant à ses propres visions.

S’affaissant un peu plus, le dos contre les planches rugueuses, elle murmura de nouveau, sur un ton d‘excuse agrémenté d‘un soupir fatigué:

« Parfois, j’ai l’impression de devenir folle… »

La voyageuse faisait autant allusion à ses cauchemars qu’à sa conduite précédente… Si l’ange ne la trouvait pas détraquée, malgré ses paroles réconfortantes, c’était un miracle….

- Quelque chose ne va pas? Vous tremblez…

C’était vrai, à présent, la Reine du feu claquait des dents de manière tout à fait audible, bien qu’elle fasse tout pour s’en empêcher. Lorsque la main de l’homme qui se trouvait en face d’elle s’approcha, elle eut un mouvement de recul instinctif, né d’une habitude. Cela ne fonctionnait pas en toutes circonstances, au vu de ce qui s’était passé lorsque le précepteur lui avait manqué de respect quelques heures plus tôt. C’est pourquoi, lorsque Neffarasiel esquissa un geste pour lui toucher le front, elle se força à se laisser faire. Elle avait toujours beaucoup de mal à supporter ce type de mouvement, surtout ceux qui partaient d’une bonne intention. Cependant, elle se força à rester immobile, bien qu’un spasme agita sa poitrine.

Se disant que l’ange devait se demander ce qui se passait, et réalisant qu’elle n’avait pas envie de raconter quoi que ce soit de ce triste épisode à un inconnu, aussi bien intentionné soit-il, elle demanda simplement, d’une voix un peu faible:

« S’il-vous-plaît…Cela ne vient absolument pas de vous, mais… si vous pouviez éviter ce genre de geste… Ce serait trop long à expliquer mais… »

Elle hocha la tête en signe de dénégation, ne sachant plus quoi dire. Si elle avait encore été dans son rôle de Reine, un ordre sec lui aurait suffit. Mais à présent qu’elle était redevenue Galathée, sa timidité était également de retour.

Neffarasiel suspendit son geste à la demande de la jeune femme. Il avait bien remarqué sa réticence et voilà qu'elle l'implorait d'arrêter. Ce qu'il fit. Une légère lueur de déception passa dans son regard et disparut aussitôt. Comment avait-il pu penser qu'elle le laisserait le toucher en toute impunité? Il avait bien vu sa réaction avec son conseiller. Mais que cela s'applique aussi à lui le blessa. Pourquoi refusait-elle d'être touchée? Par orgeuil? Non, cela semblait peu probable, d'après ce qu'il constatait sur la jeune souveraine. Si elle pouvait être sèche en public, en privé, elle se révélait toute autre. Et puis, si cela avait été une histoire de rang ou de vanité, elle ne l'aurait pas imploré...

L'idée que la jeune souveraine ait ses propres démons l'effleura. n'avait-elle pas relevé ce qu'il avait dit sur ses cauchemars? Elle en faisait aussi... Quel élément traumatisant pouvait bien en être la cause? Certes, ses parents étaient morts et elle se retrouvait seule au monde... Cela était-il la seule raison? Jugeant que s'interroger plus à ce sujet ne le conduirait nulle part, il renonça.

- "Très bien. Excusez-moi, je ne voulais en aucun cas vous manquer de respect et vous causer une gène quelconque. Je ne le ferais plus."

Il sourit pour adoucir ses paroles et décida décida d'éclairer un peu la jeune femme sur sa condition.

- "Vous savez, je comprends plus que vous ne le pensez ce que vous ressentez et ce ne sont pas des paroles creuses. Mes parents ont été assassiné il y a 5 ans environ, j'avais 17 ans, plus jeune que vous ne l'êtes maintenant. J'ai sauvé ma soeur de justesse. J'étais destiné à prendre la relève, mais je n'ai pas su vivre avec mes fantômes. Alors, je suis parti."

Il eut un petit sourire sans joie et une lueur d'excuse dans le regard.

- "J'ai honte aujourd'hui d'avoir laissé ma soeur seule, trop accablé que j'étais par mon chagrin. Cependant, jamais elle ne m'a reproché mon attitude."

Il tritura son pendentif en forme de croissant de lune.

- "Nous sommes des jumeaux... Plus liés que n'importe quels êtres humains."

Il soupira et plongea son regard azur dans celui, délavé, de la Reine.

- "Je vous admire... Vous n'avez pas fuit. Vous êtes resté et vous luttez contre vos propres démons pour être digne de votre rang. Et je vous aiderais en cela."

Son sourire se fit plus chaleureux, mais la tristesse et les remords se disputaient la part belle dans ses yeux bleus. Il n'avait pas tout dit. Il n'avait pas parlé de Maya. Il avait trop honte pour cela... Mais l'essentiel était là.

Elle crut voir une vague déception, une sorte d'incompréhension dans les yeux du jeune homme, rendus sombres pas l'obscurité nocturne. La petite rousse savait parfaitement qu'elle ne pourrait pas lui expliquer. Même à Myrka, elle n'avait jamais donné de détails. C'était trop dur pour elle, et en même temps, elle ne savait pas quelle serait la réaction des gens, même ceux qui l'admiraient ou lui offraient leur amitié, si on savait qu'elle avait été déshonorée d'une telle façon... Seraient-ils horrifiés, révoltés, ou bien la regarderaient-ils comme une dévergondé? Elle ne savait vraiment que penser. Devant l'impensable, on avait souvent des réactions inattendues...

C'est pourquoi elle demeura silencieuse, s'efforçant à l'impassibilité pour ne pas trahir d'émotions trop douloureuses. L'ange, bien qu'en apparence très calme, semblait y réussir moins qu'elle, puisque son visage devint presque aussitôt mélancolique.

La jeune femme en comprit la raison quelques secondes plus tard, lorsque son compagnon prit la parole. Il lui racontait son histoire, du moins en partie, et s'ouvrait à elle, répondant à toutes les questions qu'elle se posait, mais qu'elle n'avait pas osé formuler à voix haute, même en ce moment d'intimité, de peur de faire remonter à la surface de trop mauvais souvenir. Car il fallait qu'il se soit passé un vrai drame pour l'obliger à partir de chez lui...

Elle l'écouta se dévoiler, sans mot dire. Lorsqu'il eut finit son discours, la Reine se sentait émue, débordante de compassion. Jamais elle ne s'était sentir aussi proche de quelqu'un, à part bien sur son cousin, qu'elle préférait enfermer dans un coin de sa mémoire pour ne plus l'en laisser sortir, car elle savait à quel point, même sous forme de souvenirs, il demeurait capable de la torturer.

Les deux jeunes adultes semblaient avoir vécu plus ou moins la même expérience, mais en avaient souffert différemment, bien qu'avec autant d'intensité, et avaient réagit en conséquence.

Lorsqu'il la regarda dans les yeux pour lui avouer son admiration, l'adolescente, prise au dépourvu, lâcha une larme, qui roula lentement sur sa joue pâle. Enfin quelqu'un qui croyait en elle! Elle voyait bien que les mots de Neffarasiel étaient plein de sincérité. Sa promesse d'aide la toucha plus que tout le reste.

Changeant de position, elle s'agenouilla en face de lui. Après de telles déclarations, elle éprouvait une envie presque maternelle de le rassurer. Son sourire triste la bouleversait plus qu'elle n'aurait su l'exprimer. Elle ne trouvait jamais les mots pour consoler les gens, mais pour lui, qui lui avait apporté son soutien de façon inconditionnelle, Galathée voulait bien essayer.

"Je savais pour vos parents, mais n'osais vous présenter mes condoléances, de peur de vous faire revivre des moments douloureux... Vous n'avez pas à avoir honte..."

Cherchant ses mots, articulant lentement pour se donner le ton de réfléchir, la jeune fille continua d'une voix douce, presque ténue:

"Vous étiez jeune, et vous avez vécu quelque chose de terrible... Vous n'avez pas à vous en vouloir d'être parti, chacun à ses réactions face à l'horreur, et la vôtre est aussi louable et malhabile qu'une autre... J'ai appris que votre soeur était mariée depuis un moment déjà. Je suis certaine qu'elle se débrouille très bien. Et... le jour où vous vous sentirez prêt à la revoir... c'est dérisoire, je le sais bien, mais... les portes de ma maison lui sont ouvertes..."

Elle marqua une pause, se disant que ses paroles malhabiles n'avaient sûrement aucun effet. S'asseyant sur ses talons, pour trouver une position plus confortable, la demoiselle posa ses mains sur ses genoux, s'efforçant au calme. L'ange s'était confié. Elle lui devait bien de faire de même, en occultant, bien sûr, une partie de la vérité.

" Je ne suis pas partie, bien que j'en ai eu envie. Pas par courage, je n'ai aucun mérite dans ce fait... Simplement, lorsque mon père est mort, et que ma mère a abdiqué en ma faveur, quelques jours avant de... s'éteindre... j'étais trop assommée de chagrin pour refuser cette fichue couronne..."

Avec un sourire ironique, un peu dérangeant sur son visage d'enfant, elle finit sa tirade d'un ton quelque peu grinçant:

"Et puis il valait mieux que ce soit moi, si innocente en apparence, qui hérite du trône, plutôt que des assassins!"

Le dernier mot, légèrement accentué, était plein de mépris. Sans haine, la colère lui était passée en même temps que l'étonnement, mais terriblement méprisant. On sentait là tout la fierté de la jeune fille bafouée, prête à se défendre farouchement.

Se rapprochant un peu de l'ange, dans un geste inattendu, elle tendit la main vers lui, effleura son bras dans un mouvement de sympathie. Elle retira presque aussitôt ses doigts, pas tant par peur, que pour ne pas le mettre mal à l'aise. Lorsque les gestes venaient d'elle (ce qui était exceptionnellement rares), il ne la dérangeaient pas, car elle savait qu'il s'agissait de gens en qui elle avait une totale confiance.

"Merci de croire en moi. C'est le meilleur soutien que j'ai pu trouver jusqu'à maintenant, et il m'est très précieux..."

Neffarasiel fu surpris en voyant une larme couler sur la joue de la jeune femme. Il pouvait sentir que grâce à sa confidence, il venait de franchir un pas dans la relation qu'il entretenait avec elle. Et cela le rassurait étrangement. Oui, leurs histoires étaient assez semblables et tous deux s'étaient retrouvés avec de grosses responsabilités trop tôt...

La Reine changea de positon et s'agenouilla devant lui. Elle commença à lui parler d'une voix douce. Elle le consolait! Aussi improbable que cela puissa paraître, la Reine tentait de diminuer le chagrin de son serviteur. Elle avait tord de ne pas croire en ses capacités. Elle avait l'étoffe d'une grande reine et Neff se jura de l'aider à devenir la plus grande que le continent ait jamais engendrée. Il fut touché par sa proposition à reçevoir sa soeur au palais. Il murmura, d'une voix reconnaissante :

- "Merci, ma Reine. Je suis certain qu'elle adorera revoir le palais. Elle avait été éblouie la première fois. Mais elle n'avait que 7 ans à l'époque. Choyée comme une princesse, elle avait été déçue de repartir chez nous..."

Il eut un sourire nostalgique en se remémorant ces moments au palais. Ils étaient alors des enfants et ne savaient pas ce que l'avenir leur réservait. Les deux petits anges avaient honoré la petite galathée, alors âgée de 3 ans. Il se rappellait la petite fille adorable qu'elle était. Mais, il la trouvait encore mieux maintenant. Sa soeur et sa mère s'étaient extasiées devant la petite princesse...

- "Mais le moment de la revoir n'est pas encore venu. En attendant, je préfère me dévouer à une noble cause et aller selon mes convictions et mon coeur."

Il sourit à la jeune femme.

- "Et je crois que je ne pouvais pas mieux choisir comme noble mission que de servir une si noble dame. Et je ne parle pas que du titre..."

Elle se confia alors à lui et répondit avec ironie. Des assassins... De qui parlait-elle? Cela n'avait pas d'importance pour le moment, mais Neff nota tout de même ces mots dans un coin de sa tête. Alors, le jeune femme lui effleura le bras du bout des goigts, si légèrement qu'il crut rêver. Néanmoins, il planta son regard azur dans celui de la jeune femme. Le regard du jeune homme était intense. Galathée le remercia de croire en elle et de son soutien. Il sourit à ces mots :

- "Et moi, je vous remercie d'être celle que vous êtes et d'avoir accepté de donner un sens à ma vie. Et maintenant, je me demande même si, plus que votre serviteur dévoué, je ne pourrais pas être votre ami le plus fidèle. Car la souveraine que je découvre me donne envie de ne pas être qu'un simple serviteur... Si toutefois elle l'autorise."

Oui, plus que de servir une reine comme des milliers d'autres le faisaient, il voulait gagner son amitié et rompre sa solitude... et la sienne par la même occasion. Il appréciait le caractère troublant de cette reine-enfant...

Revoir le palais? Qu'est ce que cela signifiait? Ses sourcils fins se froncèrent légèrement, creusant de légères pattes d'oie autour de ses yeux. Ainsi, la souveraine paraissait prendre dix ans en quelques secondes. A voir son visage sérieux, on devinait facilement qu'elle réfléchissait à plein régime. Son accès de fièvre s'était calmé, elle ne grelottait plus, bien qu'elle ne fut pas véritablement à l'aise à cause de la fraîcheur de l'air. Avec sa silhouette diaphane, elle avait un santé fragile, et sa nourrice vivait dans la crainte perpétuelle de la voir enrhumée.

"Je ne me souviens pas..." murmura-t-elle, surprise que sa mémoire d'habitude si précise lui fit ainsi défaut. La fatigue, la tension qui retombait, devaient en être la cause...

Se rasseyant, elle baissa les yeux, fouillant dans ses souvenirs...

"A la réflexion, je me rappelle que mes parents m'ont relaté la visite d'une famille d'anges... Je devais être très jeune à l'époque... Vraiment toute petite... Je n'ai que quelques images en tête..."

Hochant la tête de nouveau, elle la releva, avec un petit sourire d'excuse.

"Peut-être l'image de grandes ailes blanches... Et encore, je ne sais si ce n'est pas celles que je vois en ce moment qui faussent ma mémoire"

D'un geste du menton, elle désigna les plumes qui garnissaient les ailes de Neffarasiel, dont l'envergure l'impressionnait assez. Elle avait envie de toucher, du caresser du doigt cette masse blanche et duveteuse, comme lorsqu'elle était enfant et qu'elle choyait les oiseaux apprivoisés de la volière royale... Bien sûr, elle ne fit pas un geste pour satisfaire ce désir de petite fille, car, comme l'aurait dit celle qui l'avait élevée, de sa grosse vois grondeuse: "Enfin, Gal, ça ne se fait pas!"

Le jeune homme lui adressa à son tour un sourire. Cela fit plaisir à la Reine, qui préférait le voir un peu plus joyeux.

Ses compliments, ainsi que sa reconnaissance, la firent rougir. Elle évita son regard, trop timide pour se noyer dans se yeux bleus, qui avaient quelque chose de troublant.

"Bien sûr, j'accepte votre amitié... C'est rare, pour une Reine, de rencontrer quelqu'un de dévoué... je pense que nous pourrons nous apporter l'un l'autre beaucoup de chose..."

Osant enfin relever les yeux, bien que rougissant beaucoup plus, priant pour que l'obscurité efface les corolles de roses qui fleurissaient sur ses joues, elle ajouta de sa voix douce de damoiselle intimidée, qui constituait un changement total par rapport à son ton sec et autoritaire:

" A vrai dire... J'ai besoin de vous, Messire El'Tiarel..."

Elle n'ajouta rien de plus, bien qu'elle en pensa beaucoup. Si déjà au bout de quelques semaines de règne, elle se retrouvait prête à renoncer, la jeune fille aurait bien besoin, au cours des prochaines années, de quelqu'un à la loyauté inconditionnelle, prêt à l'aider et à la consoler. Bien sûr, elle espérait une amitié à double sens, et prévoyait de porter secours à l'ange aussi bien que lui même le faisait.

Son regard clair fut attiré vers le ciel, où venait de passer une étoile filante, comme pour apporter une bénédiction à l'engagement tacite que les deux jeunes gens venaient de formuler.

Se levant lentement, elle se tourna légèrement vers la mer, afin d'englober d'un seul regard le ciel et l'eau. En peinture, elle aimait les paysages maritimes. En avoir un en face d'elle, sans la toile pour l'empêcher d'avoir une vision totale de son environnement, était pour la jeune fille une nouveauté dont elle comptait bien profiter.

Jetant un oeil à la voûte céleste, elle oublia un moment qu'elle n'était seule, et murmura, avec un étonnement presque juvénile, bien qu'elle observa le ciel avec un sérieux très scientifique:

"Les étoiles... Ça fait si longtemps..."

Neffarasiel eut un sourire sincèrement amusé quand il vit la jeune femme faire un effort de mémoire pour se rappeler leurs dernières visites. Il doutait qu'elle se souvint de grand chose, elle était vraiment toute petite à cette époque. Cependant, elle sembla se rappeler quelques images, mais sans grande conviction.

- "Vous savez, vous ne deviez pas avoir plus de 3 ou 4 ans... Alors, je comprends tout-à-fait que vous ne vous en souveniez pas avec précision. Je n'avais moi-même que 7 ans et je ne me rappelle pas non plus tout mon séjour là-bas. L'image qu'il me reste et qui est la plus vivace est ma mère et ma soeur félicitant votre mère pour avoir engendré une si jolie héritière."

Le sourire de l'ange était doux et chaleureux, dénué de toute tristesse cette fois. Il remarqua le léger regard d'envie que lança la reine vers ses ailes. C'était toujours ainsi. Ses ailes, immenses et duveteuses, donnaient envie de les toucher, attirant les regard et les mains. Mais jamais Galathée ne les toucherait comme ça, sans qu'il l'y invite. Et il était encore trop tôt pour se permettre ces familiarités.

Elle rougit à son compliment et sa réponse lui fit vraiment plaisir. Il acquiesça. Oui, ils avaient tout à gagner à devenir des amis. Lui, il l'aiderait à survivre et à garder le moral dans cet univers de faux semblants et de pouvoir. Elle, elle lui rapellerait que les femmes n'étaient pas toutes des traîtresses... Du moins, il l'espérait. Une nouvelle trahison l'anéantirait.

- "Je le pense aussi."

C'est alors qu'elle prononça d'une petite voix timide quelques mots qui figèrent Neff. Elle lui avoua, en toute simplicité, mais non sans timidité, qu'elle avait besoin de lui. Une drôle de chaleur envahit le coeur blessé de l'ange à ces paroles sincères.

- "Quand nous sommes que tous les deux, je préférerais que vous m'appeliez seulement Neffarasiel... Laissez les messires pour les autres et les tromper sur notre véritable relation, s'il vous agrée."

Lui aussi remarqua l'étoile filante. Etait-ce un signe, un présage quand à leur engagement? Il l'espérait et il souhaitait surtout que ce fut de bon présage. Il se sentait revivre petit à petit... Cela faisait si longtemps...

Galathée se leva alors et tourna son regard clair vers la mer, l'observant en silence. Neffarasiel se leva à son tour, sans un bruit, pas même un craquement tout à fait légitime après être resté si longtemps accroupi. Il regardait la Reine. Elle leva la tête pour observer les étoiles qui constellaient la nuit. Il fit de même, par mimétisme peut-être. La déclaration enfantine de galathée le fit sourire à nouveau. Décidément, il n'avait jamais autant manifesté de signes de joie qu'avec elle.

- "Vous ne voyez pas les étoiles de votre château? Ou ne trouvez-vous pas le temps de lever la tête et de contempler la beauté des cieux?"

Il se rapprocha d'elle, la dépassa légèrement et s'appuya contre le bastinguage.

- "Vous savez, j'ai beaucoup voyagé et vu de nombreuses merveilles. J'espère pouvoir vous les faire partager un jour..."

Il eut un sourire énigmatique. Il venait de songer qu'une fois rentrés au château, il arracherait Galathée à ses devoirs quelques heures par semaine et l'emmènerait loin de cette atmosphère étouffante. Il fallait souffler de temps en temps pour ne pas devenir fou.

3 ou 4 ans…oui, c’était très jeune… Ses souvenirs remontaient rarement jusque là… A part une scène de dispute entre ses parents, dont les relations, après leur mariage, s’étaient de plus en plus détériorées (d’où le fait que Galathée soit fille unique…).

La jeune fille ne broncha pas lorsque Neffarasiel lui fit compliment de sa beauté lorsqu’elle était enfant. Ce qu’il racontait se plaçait dans les circonstances de la cour, par conséquent, il fallait respecter les convenances, et quoi de plus convenant que de dire à une mère que son enfant était jolie? De plus, on lui avait dit tant de fois qu’elle était belle que la princesse, sans douter de son possible charme, ne faisait plus attention à ce genre de phrases, si légèrement prononcées par les conseillers…

C’est alors que l’ange lui demanda de l’appeler par son prénom. Heureuse que ce soit lui qui propose ce rapprochement, elle hocha la tête avec un sourire.

« Dans ce cas, appelez-moi Galathée. « Ma Reine » c’est un peu trop pompeux pour des amis… »

Son rire, léger et cristallin comme celui d’une petite fille, s’éleva dans la nuit, chaque note semblant monter vers le croissant de lune.

« Et en effet, je préférerais que personne ne soit au courant de notre… véritable relation, comme vous dites… Cela pourrait créer des jalousies… et, même si je ne mets pas en doute vos talents de guerrier, je n’ai pas envie que vous retrouviez un assassin dans votre chambre, comme cela m’est déjà arrivé… »

A ce souvenir, elle toucha du bout des doigts la dague que Myrka l’obligeait à porter en permanence sous ses vêtements. Le tueur l’attendait, caché derrière les lourds rideaux de velours qui masquaient les fenêtres de sa chambre. Elle ne s’en était sortie que par un curieux hasard. En reculant, terrorisée, tandis que l’assassin lui fonçait dessus, la jeune femme avait trébuché contre un livre qui traînait par terre (selon son habitude de rat de bibliothèque…), était tombée… L’homme avait alors tenté de la poignarder, mais elle avait réagit la première, par pur instinct de survie, et deux minutes plus tard, des gardes, alertés par ses hurlements, relevaient un sale bonhomme blessé à l’abdomen par une lame bien aiguisée… Elle n’avait pas envie que Neffarasiel se retrouve dans une situation aussi ridicule, surtout que sa mère l’avait consignée dans sa chambre pendant une semaine, afin qu’elle apprenne à ne pas laisser la fenêtre de sa chambre ouverte…

Le jeune noble parla ensuite des étoiles, que la petite avait évoquées quelques instants plus tôt…

« Je les observais souvent, avant que ces charges me tombent dessus. La nuit, je grimpais sur les toits du palais avec une lunette astronomique, et je les regardais… J’apprenais leurs noms dans les livres, puis je tentais de les reconnaître… »

Neffarasiel était un des rares à entendre ainsi la Reine raconter de son plein gré des passages de son enfance. En en parlant, elle se transformait encore davantage. Sa figure devenait plus douce, plus rêveuse. Galathée possédait une personnalité très complexe, et l’ange avait le don de la mettre assez en confiance pour les lui faire révéler une à une… Seul Tamar avait déjà réussit cet exploit…

Son visage s’assombrit à cette pensée, mais son humeur passa rapidement, car elle se sentait sereine, et libre comme elle ne l‘avait plus été depuis son avènement. Elle aspira voluptueusement une grande bouffée d‘air, avant de continuer.

« Malheureusement, à présent, je n’ai plus une minute à moi… »

Avec un sourire ironique, elle ajouta, révélant sa part d’humour un peu grinçant:

« Vous voyez, je suis obligée de me lever en plein milieu de la nuit pour discuter avec vous… »

Considérant l’ange, la mine joyeuse, elle alla s’accouder au bastingage à côté de lui. Elle parlait avec de plus en plus de franchise et d'amusement.

« Enfin… vous êtes un des seuls pour qui cela vaut la peine… les autres… c’est soit pour leur donner des ordres, soit pour les sermonner ».

Il lui proposa de lui faire partager ses connaissances, de la faire voyager, peut-être…… idée séduisante, car la jeune femme, malgré sa grande culture, n’avait jamais quitté son pays. Voilà pourquoi elle ressentait tant d’impatience à se rendre sur le continent de l’eau. Sûrement aurait-elle le temps d’en visiter quelques merveilles entre deux entrevues avec la Reine Eleonore…

« Ce serait en effet une bonne idée… Je ne sors pas beaucoup… Une bouffée d’air frais, de temps en temps, fais toujours le plus grand bien… »

Elle remit en place ses cheveux, qui, avec le vent, devenaient de plus en plus ébouriffés. Avec une curiosité amusée, elle interrogea son compagnon:

« Connaissez-vous l’endroit où nous nous rendons? Mairenn… Je n’y suis jamais allée… En fait, je ne suis jamais partie du continent du feu… C’est étrange, n’est-ce pas, pour une diplomate… »

Il fut agréablement surpris que la reine- non, pardon, Galathée- lui demanda de l'appeler ainsi en privé. Il ne pensait pas que cela serait à double sens. Il lui fit alors un de ses rares sourires éblouissants, reflets d'une joie profonde et sincère. Ce sourire adoucissait encore ses traits et le rendait encore plus séduisant.

- "Galathée..."

Il savourait ce simple nom... Il le trouvait très beau, comme sa propriétaire d'ailleurs. Il n'était pas insensible aux charmes de la jeune fille. Certes, elle n'était pas voluptueuse et plutôt frêle, mais elle avait un très joli visage avec des traits racés, de beaux yeux clairs et une superbe chevelure de feu. A bien y réfléchir, il semblait avoir du goût pour ce genre de femmes à l'apparence fragile. Cette pensée l'assombrit à nouveau et son sourire radieux disparut aussi vite qu'il s'était épanouit sur les lèvres de Neff.

Le rire léger de la jeune fille l'apaisa étrangement, le trouvant rassurant et charmant. Il commençait à la trouver un peu trop à son goût et s'il avait écouté la voix de la raison, il aurait arrêté là leur échange. Mais il n'avait pas envie d'être raisonnable...

Elle fit alors allusion à une tentative d'assassinat sur sa royale personne et un pli soucieux vint barrer le visage de l'archange. Comment un assassin avait-il pu l'approcher d'aussi près? Le souvenir de maya revint flotter aux frontières de son esprit. Hélas, la traîtrise pouvait revêtir de nombreux visages.

- "J'espère bien que de retour avec vous au Palais, je réussirais à dissuader ce genres d'individus de venir traîner trop près de vous..."

Une lueur dangereuse vint danser dans le regard de l'ange et un instant, Galathée put voir que derrière ses apparences plaisantes et pacifistes, se cachait un guerrier redoutable, un prédateur. La lueur disparut rapidement, alors qu'elle parlait des étoiles. Il eut un sourire en coin.

- "Aurais-je à faire à une érudit? J'ai appris dans le temps certaines étoiles, mais je pense que je ne saurais plus les nommer aujourd'hui... J'aimerais beaucoup voir l'endroit d'où vous observiez les étoiles..."

Il fut à nouveau touché de ses paroles quand à l'intêret qu'elle lui portait. Ils ne se connaissaient que depuis quelques jours et déjà, ils étaient très proches... Il n'osait imaginer ce que cela donnerait à long terme... Elle lui demanda de lui décrire Mairenn. Il se tapota la lèvre de l'index, d'un air songeur.

- "A bien y réfléchir, non ce n'est pas si étonnant que cela. Il n'est pas facile de se libérer de ses obligations et de laisser son royaume, même pour quelques jours. Oui, je suis déjà allé à Mairenn. Autrefois, cela a du être splendide, mais aujourd'hui, les pluies de boue recouvrent tout, anéantissant la beauté exotique de cette partie du continent de l'eau..."

« Une érudite… C’est un bien grand mot… Disons simplement que j’aime apprendre des choses et me perfectionner… »

Elle avait remarqué les divers changements de physionomie du jeune homme. Lorsque celui-ci avait affiché un grand sourire, son visage s’était transformé. Il était d’une beauté exceptionnelle, la Reine l’avait déjà remarqué… Seulement, contrairement à d’autres femmes, qui auraient été séduites dès le début, la petite, bien qu’admirant le physique avantageux de l’ange, ne s’en trouvait guère troublée.

Selon les préceptes de son rang, elle devait épouser un prince, et, si possible, un humain. Neffarasiel n’appartenait à aucune de ces deux catégories. De plus, la rouquine était convaincue qu’en fin de compte, elle ne ferait qu’un mariage de raison, pour rendre son royaume plus fort. C’est pourquoi elle ne considérait aucun homme comme un amant potentiel, même si elle était capable d’en remarquer les charmes.

Elle était parfaitement capable, en tant que Reine, de séduire certains de ses conseillers pour en obtenir ce qu’elle voulait, bien qu’elle manque encore de l’assurance qui était l’apanage des femmes accomplies. Cependant, Galathée n’était encore qu’une adolescente traumatisée par l’amour que lui avait porté son cousin, et elle se tenait soigneusement à distance de tout engagement sérieux.

Quand elle parla de la tentative d’assassinat qui avait faillit l’emporter, une lueur brilla un instant dans le regard du jeune homme. Cette étincelle de dangerosité, la Reine l’avait déjà aperçu dans l’œil des guerriers partant à la bataille. Venant de Neffarasiel, elle ne l’inquiétait pas outre mesure, car elle savait qu’il ne lui ferait aucun mal. Mais, intérieurement, elle plaignait celui qui pourrait causer sa colère…

Décidément, l’ange paraissait d’humeur aussi changeante que la jeune fille, passant du sourire à la rage en quelques secondes, tandis que la souveraine passait du rire aux larmes.

Il lui décrivit le royaume de Mairenn, et les traits de la rouquine s’affaissèrent. Le rapport de l’ange ressemblait comme deux gouttes d’eau à celui qu’Arkonan lui avait fait quelques jours auparavant. Le continent de l’eau, comme celui du feu, s’était dégradé depuis la grande guerre…C’était tellement dommage....

La Reine s’était promis, en acceptant la couronne, (elle n’avait à ce moment là pas vraiment le choix…), de redonner des splendeurs à son pays comme avant l’ultime conflit auxquelles avaient (selon les croyances populaires) participé les déesses… Mais elle avait encore beaucoup à faire, et pour l’instant, ses projets ne pouvaient être réalisés, car elle manquait d’argent et surtout de personnes disposées à l’écouter… peut-être montrerait-elle un jour à Neffarasiel ses croquis de jardins, de bâtiments…

Pour l’instant il n’en existait que des esquisses, mais la petite comptait bien un jour mener son projet à bien. Aesmillian, sa grand-mère, qu’elle admirait profondément, avait déjà eu ce genre de dessein. Mais elle n’avait pas eu le temps de les concrétiser. Sa petite-fille avait donc en tête de prendre la relève…

Soupirant, elle posa un instant sa tête dans ses bras, croisés sur le garde-fou qui l’empêchait de tomber à la mer. Elle mesurait pour la énième fois l’ampleur de sa tâche… L’adolescente se rendit alors compte que sa conduite pouvait paraître obscure à l’ange. Devant un inhabituel besoin de se justifier, elle expliqua d’une petite voix accablée, mais pas tout à fait découragée:

« C’est fou, j’ai l’impression que tout ce dégrade peu à peu… Je vois partout une décadence, un abêtissement… »

Lâchant de nouveau un léger soupir, elle songea à son ton mélancolique, et un petit éclat de rire s’échappa de ses lèvres fines:

« Je sais ce que vous devez penser: quel optimisme! Le royaume du feu a vraiment de la chance d’avoir une Reine aussi joyeuse que moi! »

Elle tourna vers lui ses yeux qui, pour une fois, étaient emplis de malice et d’amusement. On lisait sur son visage les restes d’une enfance heureuse, un brin de tristesse et de fatigue, et l’intelligence, le pouvoir de la femme qu’elle deviendrait dans quelques années, lorsqu’elle serait davantage sure d’elle.

Neffarasiel ne pouvait qu'approuver que sa Reine s'interessa aux choses et veuille en apprendre toujours plus. Une femme intelligente et cultivée... Il fallait bien qu'elle le soit pour conserver son trône et échapper aux pièges du pouvoir. Souvent on avait tort de croire que les princesses ou les reines n'étaient que des écervelées, juste là pour être belles. Si certaines n'avaient pas inventé le fil à couper le beurre, la majorité détenaient une intelligence rusée, influençant leur seigneur et maître là où personne d'autre n'avait accès : le lit. Neff était persuadé que derrière chaque grand homme se cachait une femme.

Et il admirait ce bout de femme au caractère déjà bien trempé, qui oscillait entre une souveraine fière et implacable et une jeune fille en proie aux doutes et à la solitude. Elle lui rappellait tant sa soeur que c'en était presque douloureux. Il était certain que, si un jour il faisait venir sa soeur, les deux femmes se plairaient, tant elles étaient semblables. Et puis, sa jumelle pourrait peut-être apporter l'équilibre à la jeune Reine de par son expérience. Il réfléchirait sérieusement à la question.

Elle parut déçue du tableau qu'il lui fit de Mairenn. Déçue, mais pas surprise. Elle devait déjà le savoir, mais espérait peut-être être détrompée... Elle lui fit alors part de son sentiment que tout tombait en désuétude. Il ne put qu'acquiescer. Que ce soit n'importe quel continent, chacun avait perdu sa splendeur d'antan et continuait à dégénérer. Le mal était partout. Triste époque en vérité.

Elle se tenait sur le garde fou, bras croisés, tête posée dessus et parlait d'une voix découragée. Elle se reprit alors bien vite et laissa échapper quelques mots d'un ton amusé. Elle se tourna alors vers lui, les yeux pétillants de malice. Troublante femme-enfant... Il avala sa salive avant de répondre dans un souffle :

- "Le royaune du feu à de la chance d'avoir une Reine qui se préoccupe ainsi de comment va le monde et qui réfléchit. Qu'aurait-il à faire d'une écervelée qui passerait son temps en bals fastueux et en festins sans fins, épuisant les caisses de l'état? Cela n'a jamais fait avançer un pays..."

Il haussa les épaules et détourna le regard pour le reporter sur l'océan paisible. L'air marin chargé d'embruns l'ennivrait. Il avait toujours aimé voyager, être à l'air libre. En se plaçant aux côtés de Galathée, il renonçait à cette liberté. Il devrait se frayer un chemin dans les méandres du pouvoir et de la fausseté. Un combat acharné et bien plus subtil que celui du guerrier. Oui, les nobles et courtisans se battaient sans relâches pour gagner et conserver les faverus royales, pour éliminer les concurrents, pour influençer la Reine. Rien que d'y penser, il avait le coeur lourd. Renonçer à sa liberté pour accomplir son devoir. Et pourtant, c'est ce qu'il avait voulu. Se rendre utile, racheter sa lâcheté. Le prix à payer était lourd, mais pas insurmontable. Et puis, Galathée était une femme intéressante, auprès de laquelle il se sentait bien. Il admirait la Reine, mais il appréciait encore plus la femme. Et si en plus, ils devenaient amis, alors il n'aurait rien à regretter...

Elle écouta la répartie de Neffarasiel, ne se formalisant pas de son ton légèrement sec. La journée avait été fatigante pour tout le monde… Cependant, elle répondit dans un murmure, haussant à son tour les épaules:

« Si j’avais été une écervelée, comme vous le dites si bien, je serais déjà morte depuis longtemps »

* Ou mariée à un fils de noble et embarquée en province pour laisser le trône à ton cousin… Je préfère encore être dans la tombe…*

Son ton demeurait celui de la conversation la plus banale, plein de politesse. Mais on sentait que sous cette galanterie, planaient des sous-entendus amers, et des souvenirs qu’elle ne pouvait pas dévoilée. La plaie, loin d’être refermée, se rouvrait à chaque geste, à chaque parole, même si, peu à peu, insensiblement, la cicatrisation progressait…

En voyant l’ange lui tourner le dos, la fille de roi ne dit rien pendant un moment. Le jeune homme avait respecté ses moments de silence, elle faisait de même, par politesse et par compréhension. Elle était à la fois étonnée et ravie de la facilité avec laquelle ils étaient parvenus à nouer des liens si rapidement. Peut-être parce qu’au fond, ils étaient de nature semblable. Des jeunes gens, presque encore des enfants, surtout elle, qui avaient vécu dans un milieu noble, et y avaient souffert des drames que de nombreuses autres personnes connaissaient également. Peut-être existait-il aussi une ressemblance au niveau de leurs caractères. Deux solitaires, calmes en apparence…

Profitant de cet arrêt de la discussion, la petite releva la tête, et parcourut du regard la voûte céleste, reconnaissant au premier coup d'oeil la plupart des constellations. Rien de plus beau que les étoiles sur l’océan. Elle comprenait à présent que les marins, malgré leur dangereux métier, veuillent à tout prix repartir au large. Même si elle-même préférait passer sa vie sur le plancher des vaches, il s’agissait d’une impression merveilleuse. Une sensation de liberté. A chaque seconde, le paysage lui paraissait plus beau, l’air plus vivifiant.

*Tu devrais sortir plus souvent… Mais pas en grande pompe comme aujourd’hui… Toute seule… Ou bien…*

Elle coula un regard vers le fils El’Tiarel, qui n’avait pas bougé, et paraissait rêveur, sans qu’elle puisse lire la moindre expression sur son visage, occulté par les nuages qui, lentement, passaient devant le croissant de lune. Depuis combien de temps discutaient-ils? Cinq minutes? Deux heures? La frêle damoiselle n’aurait su le dire. Elle ne sentait plus ni le froid ni la fatigue, et aurait pu rester là encore durant un long moment sans se rendre compte que le temps passait. Elle décida qu’il faudrait tout de même bientôt retourner dans sa cabine. Elle ne voulait pas que son teint pâle se fane à cause de la fatigue, autant par une coquetterie toute féminine que pour ne pas faire jaser ses accompagnateurs. Galathée détestait les rumeurs, et si on apprenait qu’elle avait passé la nuit sur le pont en compagnie du bel homme qu’était l’ange…

Cependant, elle se dit que partir ainsi n’avait rien de très élégant… Et de toute façon, quelques minutes de plus ne la fatigueraient pas davantage, d’autant que pour une fois, elle pouvait goûter à un peu de cette tranquillité qui lui manquait tellement…

Toujours immobile, elle finit par demander, d’une voix très douce, qui permettait à Neffarasiel de faire semblant de ne pas l’avoir entendue s’il ne désirait pas lui répondre:

« Vous semblez songeur… Que se passe-t-il? »

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il lui dise ce qui lui traversait l’esprit… Du moins elle-même n’aurait certainement pas répondu de manière directe… Toutefois, elle s’inquiétait surtout de savoir si la cause du mutisme de l’ange ne venait pas d’elle. Dans sa peur de mal faire, elle vivait toujours dans l’angoisse de blesser sans le faire exprès les personnes qui lui étaient chères, comme elles-mêmes le faisaient en permanence sans le savoir…

Neff continuait à fixer la mer, écoutant à peine la répartie de Galathée. Oh non, elle n'était pas du tout une écervelée et c'était bien pour cela qu'il la respectait. Il aurait été bien en peine de soutenir une conversation avec une fille juste préoccupée par sa prochaine toilette. Il en avait vu défiler dans son adolescence de ces petites nobles, éduquées pour plaire. Plus d'une avait tenté de séduire le jeune homme, dont la noblesse se perdait dans les fond des âges. Les parents apprétaient leur progéniture et les élevait pour qu'elles soient jolies et même faussement innocentes. Combien il avait été surpris de voir que derrière ces candides jeunes filles se cachaient des manipulatrices, prête à le tenir par le sexe. Et oui, il aurait suffi qu'elles l'attirent dans leur lit et lui fasse commettre l'irréparable pour se voir épousées sur le champ afin de laver leur honneur. De fieffées rouées... Heureusement que l'ange réflechissait plus avec son cerveau...

Et puis, il avait eu les mises en garde de ses parents. De son père surtout qui avait connu cela avant lui. Sa mère aussi, si belle et fragile, qui, comme les autres, avait été éduqué pour mettre la main sur un gros parti. Seulement, à la différence de beaucoup, ses parents s'étaient mariés par amour et pas seulement par devoir. L'esprit romantique du jeune homme avait toujours admiré cela et rêvé de le vivre à son tour...

Et il était tombé amoureux de Maya, une simple servante, qui n'avait pas tenté de le séduire comme toutes les autres... Et c'est cela qui l'avait attiré. Et qui l'avait perdu. Il repensait encore à leur première nuit... Il savait que, malgré la traîtrise de la jeune fille, jamais il n'oublierait cette nuit... ni toutes les autres d'ailleurs. Cela avait fait jaser les puritains que le jeune homme couche avec une servante, qu'il ose se souiller avec une domestique. Mais il n'en avait eu cure. Ses parents savaient qu'il entretenait cette relation mais avaient pensé que cela passerait. Et puis, son père était fier de voir enfin son fils honorer une femme.

Quand tout bascula et qu'il se retrouva seul avec sa mère, il dut essuyer les commentaires désobligeants des autres : il avait entretenu une vipère... Il fut même soupçonné d'avoir comploté avec elle pour tuer ses parents. En plus du chagrin, il devait endurer le jugement des autres. Sa soeur avait tout fait pour faire taire ces ragots, mais rien n'y fit. Cela aussi motiva son départ. Mais loin de les calmer, cela enfla les rumeurs : comme il avait été perçé à jour, il fuyait. Le sottise n'avait pas de limite...

La voix douce de Galathée le sortit de ses sombres réminescences. Il aurait pu s'abstenir de répondre... Mais il ne le fit pas. Toujours sans se retourner, il lâcha d'une voix lointaine :

- "Je pensais à mon passé et aux choses que j'aurais voulu changer... Vaines réflexions, puisqu'hélas, le passé reste le passé..."

Il soupira et se retourna vers elle.

- "Apparemment, discuter avec vous est un peu comme une thérapie... Vous me renvoyez sans cesse aux choses que j'ai fui..."

Il reprit très vite, tentant de s'expliquer :

- "Je ne dis pas que cela est mauvais... Juste... troublant."

Il sourit, mélancolique.

- "Vous me rappelez beaucoup ma soeur et... une autre personne que j'ai beaucoup aimé."

Et maintenant, quel serait son avenir? Apparemment, il resterait au service de Galathée jusqu'à la fin de ses jours. Cela lui interdisait-il d'avoir une famille? Non, pas vraiment à bien y réfléchir. Il devait donner des héritiers à sa famille. Sa soeur, après 5 ans de mariage n'avait toujours pas engendré. Mais lui? En était-il capable? Après des mois avec maya, jamais elle n'avait été enceinte. L'idée qu'elle ait pu l'être et ait supprimé le bébé l'effleur et le fit frissoner. Cela était fort possible. Elle pouvait aussi être enceinte lorsqu'il l'avait tué... Il secoua la tête et se passa la main dans les cheveux, chassant ces images morbides.

La jeune femme, pleine de bonnes intentions, qui n’avait posé sa question que pas inquiétude et compassion, se retrouva vexée par la réponse de son compagnon ailé. Voilà donc qu’il lui faisait des reproches! Aussitôt, son visage s’assombrit. Elle était encore sujette aux changements d’humeur provoqués par ses larmes de tout à l’heure, et la réponse de l’ange, en dépit de sa justification, qu’il venait de murmurer, la mit en colère, sans qu’elle puisse s’en expliquer la raison.

Relevant la tête, arrogante, elle déclara d’une voix coupante:

« Croyez-vous donc que durant votre conversation, vous ne m’ayez rappelé aucun mauvais souvenirs? J’en ai certainement autant que vous… »

S’apercevant de son ton désagréable, elle allait s’excuser, se justifier, lorsque le guerrier prononça une quatrième phrase. Voilà qu’elle lui rappelait quelqu’un!

Depuis qu’elle était petite, on lui disait qu’elle ressemblait à son père. Galaad le lui avait rappelé l’autre jour, lorsqu’ils avaient fait connaissance. Et même s’il s’agissait toujours de commentaires admiratifs, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de sentir la colère lui fouetter le sang. Était-elle donc si insignifiante, si incomplète, pour qu’on éprouve le besoin de la comparer à quelqu’un afin de lui donner une place?

Cependant, elle savait que son interlocuteur ne pensait pas à mal, à en voir son sourire, bien que celui-ci demeurât (attention, subjonctif!) sans joie. Mais sa colère ne s’amenuisait pas. Toutes les rancunes qu’elle gardait depuis ces dernier jours semblaient s’être amassées envers Neffarasiel, simplement à cause de quelques malheureusement paroles.

« Je prendrais cela comme un compliment… »

Son ton, néanmoins, n’avait absolument rien de complaisant. A vrai dire, en quelques secondes, la jeune femme avait repris des attitude de monarque. Elle n’était pas méprisante, mais on sentait sa fierté blessée dans ses mains tremblantes, qui agrippaient le bois.

Elle se savait injuste, agressive… mais que pouvait-elle y faire? Il fallait bien qu’un jour, elle explose…

* Pas avec lui… S’il-te-plaît… Tu vas perdre son amitié et sa confiance… Ne fais pas en sorte de te retrouver toute seule…*

Une larme d’impuissance déborda de ses yeux. Elle ne parvenait pas à se calmer, malgré toute sa bonnes volonté. Elle avait un besoin désespéré de ne pas retomber dans sa solitude.

Se mordant les lèvres jusqu’au sang pour éviter de dire une autre bêtise, elle observa le jeune homme. Soudain s’imposa à elle l’envie qu’il la serre dans ses bras pour la consoler. Il n’y avait rien de sensuel dans cet égarement… Simplement, dans ce genre d‘instant, elle avait besoin de se sentir protégée.

Détournant la tête, incapable de soutenir le regard bleu de l’ange, la fragile souveraine soupira, avant de trouver le courage de reprendre la parole:

« Pardonnez-moi… Je me sens tellement fatiguée… Je suis désolée de m’être emportée »

Sa conduite pouvait surprendre l’ange. Les princesses n’étaient pas élevée pour s’excuser, mais, comme dit plus tôt, pour paraître arrogantes et séduisantes. Cependant, Galathée, se sentant en quelques sorte désarmée maintenant que la barrière de son titre était tombée , prenait conscience que seule sa franchise et sa gentillesse entrait en ligne de compte…

« Je devrais peut-être aller me coucher » murmura-t-elle à regret, comme si elle se parlait à elle-même.

La soudaine colère de Galathée et son ton véhément surprirent l'ange qui, s'il n'avait pas déjà été appuyé contre le bastinguage, aurait reculé sous la violence de l'assaut. Non, pas qu'elle eut crié, non, c'était pire : elle parlait d'une voix coupante qui charriait des glaçons. Il était surpris par ce changement radical de personnalité et ne put qu'attendre que la tempête se calme.

Il attendit donc calmement que Galathée laisse tomber sa colère, sa rancoeur, sa frustration... Il avait déjà été lui-même dans ce cas là. Face à tout son chagrin et sa colère impuissante, il était devenu irrascible avec tous et tout le monde. Même sa soeur avait essuyé ses attaques de rage impuissante. Mais elle restait de marbre, attendant qu'il se calme. Alors, elle le prenait dans ses bras, rassurante, réconfortante.

Devait-il faire de même avec elle? Avait-elle un besoin de protection et de sécurité? Accepterait-elle seulement les bras de l'ange autour d'elle? Bien qu'il en mourrut d'envie, il ne le fit pas. Elle se détourna de lui et s'excusa puis se demanda s'il ne valait mieux pas qu'elle se couche. Si forte et si fragile. Sur un coup de tête, il se rapprocha d'elle et l'enlaça, doucement, sans vraiment la serrer, lui laissant le loisir de s'échapper si elle le désirait. La voix de Neff s'éleva, sur un ton d'excuse :

- "Vous n'avez pas à vous excuser... J'ai été maladroit... Je ne voulais pas vous donner l'impression que je vous le reprochais. Ni vous paraître égoïste. Pardon."

Des paroles sincères, murmurées sur un ton contrit.

- "Ne partez pas à cause de ma maladresse..."

Il ne voulait pas qu'elle s'en aille... Il ne voulait pas retrouver la solitude de sa cabine, ses sombres pensées, ses regrets. Et elle non plus, il le sentait. Pourtant tôt ou tard, ils devraient bien se séparer, se souhaiter bonne nuit et retourner à leurs démons. Mais pas maintenant, pas encore...

Galathée sentit deux bras se refermer sur elle. La jeune fille sursauta, tournant brusquement la tête, pour se retrouver nez à nez avec Neffarasiel. Elle tremblait encore de rage, mais son frisson s’accrut. Cette étreinte lui ramenait à la mémoire la façon qu’avait son prince de cousin de la consoler. Un jour, cela avait dégénéré…

La Reine eut tout d’abord un mouvement de recul, mais se raisonna. Cela faisait tellement longtemps… Et elle avait besoin de cette marque d’affection. Lentement, avec d’immenses difficultés, la demoiselle parvint à se détendre un peu. Avec des gestes de petite fille effrayée, elle posa ses mains sur les épaules de l’ange, posa sa tête contre sa poitrine.

La situation lui paraissait étrange, troublante, dérangeante car elle faisait jouer sa mémoire, mais pas désagréable en soi… Étrange mélanges d’émotions… Cela lui arrivait souvent. Voilà pourquoi, parfois, elle se trouvait totalement anéantie, déboussolée.

*Il ne te fera rien… Calme toi…*

Avec un léger sourire, mêlé de reconnaissance, elle se blottit contre le jeune homme, comme elle l’aurait fait avec le frère qu’elle n’avait jamais eu. La demoiselle ignorait comment faisait l’ange pour la deviner ainsi à demi-mot. Elle l’en remerciait intérieurement, car s’il n’avait pas prit toutes ces initiatives qui les avaient rapprochés, elle serait encore assise sur le pont à sangloter comme une malheureuse…

A présent, dans les bras de Neffarasiel, la jeune femme se calmait peu à peu, se rassérénait. Le contact du corps de l’ange la troublait, mais cela n’avait rien à voir avec de douloureuses réminiscences de sa mémoire. Elle n’avait plus envie de partir.

Son compagnon lui présenta ses excuses, sur un ton si contrit que la petite princesse se sentit immédiatement égoïste et injuste d’avoir passé sa colère sur lui qui avait été là pour elle au moment où elle n’attendait plus d’elle. Se dégageant, un peu à regret, car elle avait l’impression qu’on lui ôtait une armure qui l’aurait protégée de tous les maux, elle demeura près de lui. Sa présence ne lui faisait plus peur, à présent qu’elle avait sauté (un peu malgré elle il faut l’avouer) par-dessus l’obstacle du contact physique qui lui faisait si peur. Cela ne signifiait peut-être pas grand-chose pour le beau jeune homme, mais pour elle, c’était une grande victoire. Bien sûr, la Reine n’allait pas se mettre pour autant à sauter au cou de n’importe qui, mais cela augmentait encore la confiance qu’elle éprouvait envers lui.

« Ce n’est pas grave… Ne vous sentez pas coupable! J’ai moi aussi mes fantômes, et ils peuvent revenir aux moments les plus imprévus… »

Elle osa le regarder dans les yeux, un léger sourire aux lèvres. Bien sûr, elle n'allait pas le laisser seul alors qu'il avait l'air si triste...:

« Je resterais avec vous… Vous avez fait la même chose pour moi… Je vous le dois bien… Et de toute façon, je suis mieux ici que seule dans ma cabine… »

Lorsqu’elle réalisa qu’ils n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, l’adolescente recula de quelques pas. Elle avait dépassé sa peur, mais il ne fallait tout de même pas exagérer! Même entre amis, et dans l’intimité, il y avait des convenances à respecter, et elle n’avait pas envie que ses relations avec Neffarasiel deviennent ambiguës… Elle serait alors de nouveau mal à l’aise, et ses angoisses referaient leur apparition.

Elle continua de sourire, même si l’ange ne pouvait que deviner la cause de sa joie. Elle n’avait même plus froid, à présent, et se sentait forte comme elle ne l’avait pas été depuis bien longtemps…

L'archange avait senti Galathée se raidir sous son étreinte. Pourquoi? Parce qu'elle pensait qu'il avait une arrière pensée, que cette étreinte pouvait être plus qu'amicale? Ou était-ce en rapport avec son passé? Toujours ces interrogations... Un jour peut-être, quand ils se connaîtraient mieux, se diraient-ils tout... Peut-être...

Pour le moment, la gène de Galathée avait passé et elle s'était blotti dans ses bras, reconnaissante. Elle était si frêle entre ses bras musclés! Il sentait qu'elle s'accrochait à lui comme un naufragé à une bouée. Comment en étaient-il arrivés à avoir autant besoin l'un de l'autre? cela dépassait l'entendement... Mais, il ne voulait pas comprendre. Il préférait savourer ce moment et tenir la petite Reine dans ses bras. La protéger... toujours.

Mais ce doux moment ne dura pas et Galathée s'arracha à son étreinte, le lui laissant une grande impression de vide. Elle leva les yeux vers lui et lui sourit. Elle resterait encore un peu. La proximité de la jeune fille troublait l'ange. Cela devait être réciproque car elle se recula de quelques pas. Bien qu'il comprit le geste, il le regretta. Mais il était inconcevable que les deux jeunes gens se compromettent ensemble. Et surtout, il ne devait être que l'ami de la reine, rien de plus. Il était certes de sang noble et ancien et digne d'une reine... mais envisager une relation plus intime était dangereux et complêtement inconscient. Galathée épouserait un prince humain et poursuivrait la dynastie. Neff, quand à lui, trouverait une femme, ange de préférence, afin de conserver la pureté de sa lignée. Point final. Toute autre idée était inenvisageable. A la limite, des liens fraternels pourraient se tisser entre eux... C'est tout.

Il continua de regarder Galathée dans les yeux avant d'émettre un petit rire :

- "Voilà que les rôles sont inversés et que c'est moi qui vous demande de rester... Quel piètre guerrier et protecteur je fais là en vous demandant cela..."

La brise faisait voleter ses cheveux couleur de neige, de même qu'elle ébouriffait légèrement ses plumes. Ses ailes immenses étaient repliées dans son dos. Il faisait bon sur ce pont, les étoiles brillaient et il n'était plus seul. Il était plus heureux qu'il ne l'avait jamais été en 5 ans. Et cela, il le lui devait à elle.

- "Merci Galathée."

Pour tout. Pour être ce qu'elle était, pour rester avec lui sur ce pont à la belle étoile, pour lui avoir accorder sa confiance...

Les deux jeunes gens se regardaient dans les yeux, aucun ne détournant la tête, et la petite commençait à rougir, lorsque Neffarasiel éclata de rire. En entendant sa phrase, la Princesse ne put s’empêcher de faire de même, la joie étant communicative. A présent qu’elle se sentait détendue et en sécurité, elle riait beaucoup plus franchement, ne tentant plus de dissimuler les sentiments qui prenaient place et s'enchaînaient en un ballet compliqué sur sa figure de lutin.

« Même les plus forts ont leurs limites… N'est ce pas?»

Elle lui resservait là quelque chose qu’il lui avait dit en arrivant sur le pont, par hasard, et qu'il lui murmurait des phrases douces afin de la consoler et décher ses larmes... Elle accompagna sa répartie d’un clin d’œil, son visage semblant au fur et à mesure de la conversation sortir de son immobilité de glace, avant de continuer, de la même voix pleine d'entrain:

« Et apparemment, la meilleure chose que vous pouvez faire pour me protéger, c’est de m’empêcher de me jeter à la mer tous les deux ou trois jours! Bien entendu, j'attends aussi de vous de m'éloigner des ravins et des étages, et de ne jamais me laisser seule avec une arme ou une fiole de poison à la main»

La petite, à la joie si enfantine, se calma aussitôt en entendant le ton solennel sur lequel l’ange venait de lui parler, pour lui adresser de sincères remerciements. Et Galathée devinait qu’il ne s’agissait pas simplement du fait de rester avec lui, mais qu'il y avait une raison plus profonde à cette reconnaissance,qu'elle éprouvait également envers lui...

Sans être fin psychologue, on pouvait facilement deviner que ces deux Princes, si seuls, trouvaient l’un dans l’autre un véritable réconfort, voire même une raison de ne pas perdre courage. Elle inclina simplement la tête, ayant une manière gracieuse de ne rien dire afin de ne pas troubler le silence complice qui s’installait.

Le vent s’était levé, faisant se gonfler les voiles. Un bruit de pas sourd indiquait que les marins changeaient de quart, les plus fatigués allant se coucher sur l’entrepont, tandis que de nouveaux hommes, justes réveillés, venaient prendre le navire en main.

« J’ai un peu froid… Me pardonnerez-vous si je retourne un instant dans ma cabine pour chercher un manteau? Je vous promets qu’ensuite je ne vous quitterais plus! »

Bien évidemment, le sous-entendu était voulu. Galathée aimait imiter l’humour un peu piquant de ses anciennes petites camarades de jeu, des bonnes ou des filles de cuisinières, bien qu’évidemment elle n’en croit pas un mot. Elle espérait que Neffarasiel aurait la finesse de répondre sur le même ton, et de ne pas la prendre pour ces nobles qui imitaient les roturiers pour s'en moquer...

Par certains côtés, la demoiselle enviait cette classe libre et simple, qui vivait sans doute pauvrement, mais peut-être avec un peu plus d'amour des autres que les princes de sang, qui ne pensaient (sauf exception) qu'au pouvoir et aux ruses pour s'en procurer davantage. Bien sûr, la vision qu'avait Galathée de ces deux classes du peuple était étriquée, mais elle se promis, dès son retour, de se renseigner un minimum, pour voir si ses théories d'enfance demeuraient exactes...

Elle se sentait bien à présent, voir même joyeuse, et un peu folle. Elle avait trouvé tout le réconfort et l’amitié dont elle avait besoin en une personne agréable, qu’elle pouvait elle aussi consoler, faisant jouer la fibre sensible qu’elle tentait de cacher dans son rôle d’impératrice autoritaire.

Après une pirouette de danseuse, comme lui avait appris son professeur, elle s’éloigna d’un pas vif et léger pour rentrer sans un bruit dans sa « chambre ». Elle en ressortit quelques instants plus tard, toujours silencieusement, ayant revêtu un gilet de laine noire. La rouquine s’était également attaché les cheveux, qui lui brouillaient la vue depuis qu’elle était sortie. Une simple queue de cheval, rien à voir avec les torsades complexes dont elle accompagnait d'habitudes ses riches vêtements...

Il n’y avait absolument aucune coquetterie dans son changement de tenue. C’était simplement beaucoup plus pratique si elle devait rester dehors la nuit. Galathée appartenait à cette sorte de femmes qui portaient le pantalon pour faire de l'équitation et des capuchons quand le soleil brillait. Joindre l'utile à l'agréable, en privilégiant l'utile, telle était sa devise lorsqu'elle était en privé.

Revenant se poster à côté de l’archange, elle lui adressa un bref sourire, ne sachant plus s’il lui fallait parler ou demeurer sans mot dire. Le silence ne la dérangeait pas outre mesure. Peut-être devait-elle laisser le jeune homme aborder un sujet qui lui tenait à cœur…

(arfouille...trop court lol)

Il eut un sourire joyeux quand elle lui relança sa répartie d'un peu plus tôt et ne put s'empêcher de répondre à son clin d'oeil complice par une sourire espiègle. Il répondit d'un ton faussement docte :

- "Je vois que mes leçons portent leurs fruits... Je vais me peut-êtreme reconvertir en tant que précepteur..."

Il fit mine de réfléchir à cette idée avant de jeter un coup d'oeil malicieux à la jeune fille. Il la sentait plus détendue, et de fait, il l'était lui aussi.

- "Oh, si vous désirez vous baigner je ne vois pas pourquoi je vous en empêcherais..."

Ton léger pour un sujet qui en fait, était plutôt grave puisque la jeune fille menaçait d'être submergée par ses émotions et ses états d'âme.

- "Mais, si vous y tenez... En plus comme ça, j'aurais le plaisir de jouir égoïstement de votre compagnie seule... Preux chevalier à la rescousse des Reines attirées par l'océan... Ca sonne bien comme titre non?"

Galathée respecta le silence qui s'installa suite aux remerciements de Neffarasiel et il lui en fut infiniment gré. Puis, elle le rompit en déclarant qu'elle avait froid et allait chercher un manteau, avant de revenir promptement, toujours sur le ton de la plaisanterie.

- "Je m'en voudrais d'être la cause d'un vilain rhume alors que j'ai juré de vous protéger. Je rechigne à vous laisser partir, mais si vous me promettez de revenir ensuite et d'être tout à moi alors..."

Il fit un vague geste de la main, toujours tout sourire. Cela faisait des années qu'il n'avait pas plaisanté ainsi. Non pas qu'il soit imperméable à l'humour, non. Il pratiqauti d'ailleurs très bien le cynisme et l'ironie. Mais, là, avec elle, il en était bien loin. Cette espièglerie et cette complicité, il ne les avait connu qu'avec sa soeur et Maya... Cela lui avait manqué...

Galathée s'éloigna en un tourbillon joyeux et disparut vers les cabines. Neff jeta un coup d'oeil vers les matelots qui semblaient se ficher comme de leur première chemise des deux jeunes gens. Et pourtant, il savait qu'ils regardaient et suivaient l'échange. Après, quand à ce qu'ils en déduiraient... Mystère. Il espérait juste qu'il ne mettrait pas Galathée dans l'embarras par son attitude un peu trop familière.

Elle revint alors, étonnamment vite pour une femme de son rang. Elle portait juste un gilet noir et avait attaché ses magnifiques cheveux de feu, au regret de l'archange qui les trouvait splendide, voletant autour de son visage. Elle lui adressa un bref sourire, auquel il lui répondit.

- "J'avoue que j'admire votre rapidité à vous changer. Je m'attendais à vous attendre jusqu'à l'aube."

Il lui fit un clin d'oeil avant de continuer, plus sérieux :

- "Vous êtes fille unique n'est-ce pas? Cela ne vous a jamais manqué un frère ou une soeur à taquiner? Notez bien que quelques fois, les soeurs sont de vrais poisons..."

Il fit mine de regarder autour de lui avant de chuchoter d'un ton complice :

- "Si cette dernière remarque pouvait rester entre nous... Ma soeur me pèlerait vif si elle l'apprenait..."

Le garçon semblait agréablement disposé à la plaisanterie. Cela étonnait Galathée, qui, jusque-là, l’avait trouvé calme, et même, d’une certaine manière, dénué d’humour. Mais si elle-même se dégrisait, pourquoi l’ange n’en faisait-il pas autant, après tout? Cela fonctionnait pas émulation. L’une souriait, l’autre aussi. Elle riait, le deuxième également. Et ainsi de suite. Excellente et innocente façon de se remonter mutuellement le moral!

De toute façon, la nuit était douce, et c’était une des rares occasions qu’avait la Reine de pouvoir s’amuser en toute liberté. Bien sûr, il y avait ces marins, qui les observaient sans en avoir l'air. Elle se promit de ne pas leur donner de raison de répandre des rumeurs… Et si malgré tout, cela se produisait… Il faudrait sévir, même si elle répugnait à cela…

Lorsqu’elle revint, l’homme aux cheveux blancs, malgré sa jeunesse, lui fit remarquer qu’elle avait été rapide à se changer. Avec un sourire finaud, la jeune femme, qui se sentait assez en confiance pour faire un peu de provocation, comme elle le faisait parfois avec son cousin, avant de découvrir un peu brutalement que celui-ci était sensible à ses charmes, changea brusquement de démarche. Ses pas se faisaient plus sensuels, sa robe ondulait. Elle avait déjà joué ce jeu là avec un conseiller, qui faisait chanter son père et menaçait de le destituer à cause d’une histoire d’argent. Bien évidemment Galaël n’avait jamais rien su de la conduite de sa fille, qui portait alors joliment ses quinze ans. Comme toutes les princesses, elle avait été élevée en séductrice, mais ne s’en était servie que cette fois-là. Parvenue à ses fins, d’un simple battement de cil, elle avait planté là le noble, le menaçant de le dénoncer pour atteinte à la dignité princière si celui-ci ne cessait pas de jouer au corbeau. En réalité, Galathée n’avait jamais été autre qu’une intrigante. Mais elle n’en jouait jamais pour son intérêt personnel, et mettait un point d’honneur à ne jamais se montrer indigne de son rang.

Elle tortillait du bout de ses doigts translucides une mèche de ses superbes cheveux, échappés de sa coiffure, et sa voix se faisait douce, soigneusement modulée, tandis qu’elle s’approchait de Neffarasiel en minaudant d'agréables paroles, le genre de conversation galante et oiseuse que l'on peut tenir des heures en ayant recours au minimum d'inspiration. Se plantant devant lui, se haussant sur la pointe de pieds pour être à hauteur de son visage, elle éclata d’un rire aigu, presque vulgaire. Puis, la transformation se fit. Sa figure retrouva sa douceur et son impassibilité de poupée de porcelaine, et son timbre redevint normal. D’une voix redevenue celle d’une fille timide et fière, elle interrogea, un sourire légèrement ironique se dessinant lentement sur ses lèvres, à mesure qu’elle parlait:

« Pensez-vous réellement que je ressemble à ces courtisanes, qui perdent leur temps en chiffons et coiffures… »

Elle haussa les épaules, pleine de mépris pour ces pauvres filles, obligées de se servir d’appâts physiques pour se dégoter un bon parti. Heureusement, en tant que Reine, elle n’avait pas besoin de cela. Son rang attirait déjà beaucoup de prétendants, dont elle n’avait que faire. Quitte à se donner à un homme qu’elle n’aimait pas, la jolie rousse préférait conclure l’alliance la plus intéressante possible… Même si les deux époux se détestaient, au moins, trouver quelqu’un d’utile pour le continent du feu. Galathée n’avait que faire d’une possible vie conjugale. Elle était parfaitement consciente que les souverains traînaient toujours derrière eux une dizaine de maîtresses, vulgaires, ambitieuses, ou charmante. Son propre père n’avait pas fait exception, bien qu’il s’y soit pris avec discrétion, et avait eu le bon goût de ne pas donner à sa fille de frères bâtards, qui auraient ralenti son ascension au trône…

En parlant de frère, voilà que son compagnon avait abordé le sujet. Haussant les épaules, la petite femme répondit, se forçant à sourire tandis que son insouciance retombait comme elle était venue:

« Non, je n’ai ni frère ni sœur… Pendant toute mon enfance, j’ai joué avec mon cousin… »

Le silence se fit, abrupt. Elle ne voulait pas parler de cela, et troubler son bref instant de joie de vivre… Cherchant désespérément un nouveau sujet de conversation, elle éluda la plaisanterie de son interlocuteur. Ne pouvant s’empêcher de retrouver son sérieux, elle demanda doucement, se retournant vers les matelots, qui, immédiatement, firent semblant de regarder ailleurs:

« Pourquoi tenez-vous tant à me protéger, Neffarasiel? Quel intérêt a pu vous faire entrer à mon service? »

Il n’y avait aucune méchanceté dans sa question. Elle était simplement curieuse de savoir ce qui avait motivé l’ange à revenir vers elle… Besoin d’argent? Non, il était aussi riche qu’elle. D’affection? Oui, certainement… Mais encore? Pourquoi avait-il décidé de dévouer sa vie à la cause de la jeune Reine?

[Ohlala, quelle attente Milles excuses...]



L'ange avait regardé la transformation de la jeune femme en séductrice minaudeuse et n'avait pu s'empêcher de déglutir devant le spectacle qu'elle offrait. Elle était redoutable. Il n'aimait pas spécialement ce genre de femmes, mais il ne pouvait pas y rester insensible non plus. Et puis la façon dont elle ondulait des hanches et jouaits avec ses cheveux...

Elle se rapprocha très près de lui et il dut faire un effort pour ne pas se reculer et rester impassible. Le rire qu'elle eut alors lui déplut de par ses accents vulgaires. Et la petite allumeuse disparut pour laisser place à Galathée. Il sourit à sa remarque, heureux qu'elle soit redevenue elle-même.

- "Non, certes non. Et je préfère Galathée à la petite courtisane minaudeuse. Et de loin."

Il fut chagriné de la voir se rembrunir à sa question et évita avec délicatesse d'en savoir plus sur l'enfance de la petite Reine. Apparemment, elle ne souhaitait pas aborder ce sujet et Neff était assez bien plaçé pour comprendre que certaines choses du passé doivent rester enfouies. Le silence s'installa, pesant et l'ange était bien en pein de le rompre.

Ce fut Galathée qui le fit et sa question plongea Neffarasiel dans la réflexion. Question somme tout banale, mais horriblement difficile d'y répondre pour la simple et bonne raison qu'il n'en connaissait pas vraiment les raisons non plus. Il inspira lentement, alors que son regard clair allait se perdre dans le roulis des vagues.

- "Pour être sincère, je ne sais pas. Pour me racheter sans doute? Pour trouver un but à ma vie et me prouver que je vaux mieux que ce que je crois. Enfin, je l'espère."

Son regard revint se braquer sur elle, insondable.

- "Peut-être parce que quand je vous ai apperçu il y a de cela quelques semaines, que j'ai apprit votre solitude, y ai-je trouvé un écho à la mienne? Peut-être espérais-je ne plus être seul et mieux : pouvoir apporter mon aide et mon soutien à quelqu'un? C'est un ensemble de raisons..."

Il sourit doucement, presque avec douleur.

- "Parce que pendant 5 ans, je n'ai noué de liens avec personne, de peur d'être trahi."

Son regard se fit soudain brûlant :

- "Savez-vous ce que c'est que d'être trahi par une personne chère?"

-Moi je le sais...

Galaad monta sur le pont, et jeta un regard à Neffarasiel. Il salua courtoisement Galathée, après quoi, son regarda revint sur l'ange.

-Même par plusieurs personnes.

Il regarda de nouveau Galathée, et dit:

-Désolé de vous avoir interrompus.

Il tourna la tête, et alla sur le mat du navire. Avec une agilité surprenante, il grimpa à même le bois, ses ongles s'enfoncant dans la poutre avec aisance. Il monta à toute vitesse, et se retrouva vite au sommet du mat d'observation. Il regarda le large, le regard vide, maintenant plongé dans les souvenirs de tout ce qui lui était arrivé depuis sa propre naissance.